Chronique ouvrière

Salaire gelés. Mobilité imposée. L’accord Sevelnord nous ressert la "solution d’avenir".

dimanche 9 septembre 2012 par Marie Laure DUFRESNE-CASTETS

La rentrée devrait être rude. Chaque jour sont annoncés des fermetures d’entreprises ou d’établissements, des plan sociaux, des chiffres du chômage alarmants et ce, sur fond de morosité économique.

Pourtant, les travailleurs auraient tort de s’inquiéter. L’été semble avoir été fructueux et certains pensent pour eux, nous proposant un « new deal social », lequel permettrait de « réconcilier emploi, compétitivité et sécurité juridique » ( Les Ateliers de la Convergence, SSL 3 septembre 2012 n°1549, page 8), d’autres entendent « refonder » le droit du travail ( J.Barthélémy et G. Cette « Droit social : pourquoi et comment le refonder ? » Revue de droit social, septembre 2012, page 763). Cette doctrine, qui n’est pas neuve, promue avec constance par le même courant, reprend une nouvelle vigueur avec l’arrivée des sociaux-libéraux au pouvoir, lesquels, sur ce plan, ne se différencient en rien des libéraux. Depuis plusieurs décennies, toujours sous couvert d’urgence économique et d’un prétendu sauvetage de l’emploi, les uns et les autres participent avec ardeur à la déconstruction du droit du travail Il s’agit des patrons dits sociaux, des membres éminents de la CFDT et de prétendus experts, dont la caractéristique est de vivre au service du patronat.

A la lecture, il apparaît que ces réformateurs zélés n’ont rien inventé. Ils dénoncent, comme leurs prédécesseurs, les « rigidités » du droit du travail en France, proposant simplement, au nom de la sauvegarde de la « compétitivité », l’effacement de la règle légale au profit d’une atomisation d’un droit exclusivement issu de la négociation collective, ce qui permet de brader les droits des salariés. Ce sont ces chantres du recul social, dont ils assurent qu’il s’effectue pour le bien des salariés qui ont signé un accord dit de maintien de l’emploi chez Bosch, à Vénissieux en 2004, au prix d’un accroissement de la durée du travail et d’un gel des salaires, accord renouvelé en 2010, mais qui n’a pas empêché la disparition de 400 emplois sur le site. L’exemple des salariés de Continental Clairoix est plus choquant encore, puisqu’en 2009 le licenciement des 1120 salariés du site était annoncé, malgré la signature d’un accord du même type par la CFTC. La liste de ces accords serait longue de PEUGEOT MOTOCYCLE en 2008 à GENERAL MOTORS de Strasbourg en 2010, qui n’ont pas protégé l’emploi, mais ont contribué à la dégradation des conditions de travail.

Les mêmes rédigent, promeuvent et signent maintenant des accords dits de « compétitivité », lesquels appartiennent à la catégorie faussement nommée des « accords gagnant/gagnant », véritables marchés de dupes dans lequel les salariés sont censés renoncer à un certain nombre de droits en contrepartie d’un maintien de la compétitivité de leur entreprise, elle-même censée garantir l’emploi.

C’est dans ces conditions qu’était conclu le 26 juillet 2012 un « accord sur les l’adaptation des conditions de travail, la pérennisation des emplois et le développement de l’entreprise », par les syndicats CFE-CGC, FO et SPI-GSEA chez SEVELNORD, filiale de PSA, qui est passée en dix ans de 4500 salariés à 2700 aujourd’hui.

Il faut souligner que cet accord a été signé au lendemain de la tenue de la réunion du comité central d’entreprise de PSA PEUGEOT CITROËN, consacrée au projet de réorganisation du groupe et de réduction de ses effectifs par la suppression de 8 000 emplois et sous la menace de la fermeture de sites.

Cet accord a été conclu pour une durée déterminée de trois ans, voire cinq si les parties considèrent que les mesures qu’il comporte sont toujours « en adéquation au projet industriel et commercial de l’entreprise ». Fondé sur un chantage à l’emploi, il ne serait guère original si les abandons de droits exigés des salariés, touchant à la rémunération et aux conditions de travail, n’étaient pas si nombreux et si importants et s’il n’était présenté comme véritable prototype.

Le gel des salaires pour au moins deux années, quand le salaire moyen n’atteint pas plus de 1 400 euros, risque de rapidement apparaître comme la mesure la plus insupportable.

Il faut y ajouter qu’aux termes de l’accord, la mobilité interne devient une « prérogative de l’employeur ». Elle ne peut donc être refusé par le salarié et ce, sans changement de rémunération, l’accord précisant en outre qu’au gré de l’employeur, le salarié peut être muté vers un poste de de qualification inférieure, son accord n’étant nécessaire que dans le cas où l’affectation est supérieure à une année. Alors il est considéré comme un salarié « prêté ». Pour se préparer à ce changement qui peut entraîner des conséquences considérables pour la personne concernée, celle-ci dispose d’un délai de prévenance qui est compris entre 5 et 10 jours. A cet égard, il pourra peut-être être rappelé par des salariés dont la vie aurait été malmenée par l’exercice de ce nouveau pouvoir accordé par la négociation collective à l’employeur que la chambre sociale accomplit avec vigilance « un travail de « ‘police’ jurisprudentielle lorsqu’est en discussion une stipulation contractuelle attentatoire à un droit ou une liberté du salarié » (Note d’ Alexia Gardin sous Cass. Soc. 28 février 2012, DO juillet 2012, page 502 ; A. Linden « Garantie des droits fondamentaux du salarié : éléments de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation », DO janvier 2011, page 73 ; CA Aix en Provence 8 septembre 2011, note Alexia Gardin, DO mars 2012, page 227)

Outre un assouplissement des règles de recours au travail temporaire, de longue date utilisé dans des conditions illicites, l’accord du 26 juillet 2012 use des possibilités élargies de recours au prêt de main d’œuvre qui lui sont ouvertes par la loi du 29 juillet 2011, qui a considérablement assoupli les conditions de licéité de cette pratique (Liaisons sociales n°179/2011).

L’employeur profite encore du laxisme de certains syndicats pour modifier dans un sens régressif l’accord de réduction et d’aménagement du temps de travail, réaffirmant explicitement que l’aménagement du temps de travail constitue « un outil significatif d’adaptation » de la production. En effet, au-delà de la suppression de journées dites de « RTT », sans compensation, la direction obtient une avancée considérable dans la flexibilité du temps de travail avec la clause de « garantie quotidienne de production » qui, pour « protéger ses clients et ses fournisseurs de ses aléas internes » lui permet d’allonger une séance de travail de 21 minutes et ce, sans avoir prévenu les salariés par avance.

L’accord réduit également les délais de prévenance encadrant la création ou la suppression de régimes de travail et prévoit que les compensations en rémunération ou en repos prévues dans les dispositions préexistantes, en cas de travail le samedi ou bien de sixième séance au-delà d’un cycle hebdomadaire seront supprimées à compter de 2013.

Comme dans tous les accords « employeur- gagnant /salariés-perdants », les engagements pris en contreparties de cette régression considérable de la condition des salariés de SEVELNORD sont flous et incertains. PSA s’engage en effet uniquement à ne pas recourir à un plan de sauvegarde de l’emploi durant les trois prochaines années et à organiser une concertation sur ses conséquences sur l’emploi pour le site de SEVELNORD, six mois avant le lancement du nouveau véhicule appelé K-ZERO, à condition que cette filiale de PSA soit choisie par la maison mère pour le produire

Cette signature a été célébrée par les politiciens locaux, qui se sont réjouis de ce qui a été présenté comme un sauvetage de SEVELNORD. Messieurs Borloo et consorts ont saisi cette occasion pour annoncer que les collectivités publiques soutiendraient PSA et son nouvel associé TOYOTA, ce qui signifie que, comme par le passé, de nouvelles aides publiques seront versées au constructeur automobile.

Enfin, il n’est pas indifférent d’observer que cet accord est présenté comme pouvant « constituer une solution d’avenir pour PSA ».

Or, depuis près d’une dizaine d’années, par la voix de sa doctrine, le patronat, soutenu par certains syndicats propose la généralisation de tels accords et les présente comme la solution à la crise de l’emploi, dans la perspective de ce qu’il appelle une « refondation » du droit social, c’est-à-dire une dénaturation d’un droit d’abord conçu pour la protection des salariés et non pour les soumettre entièrement aux besoins du commerce.

C’est donc à juste raison que la CGT exprime la crainte que, dans ces temps de chantage à l’emploi, il ne devienne un modèle dans l’industrie, voire dans tous les secteurs d’activité. C’est au demeurant ce qu’a souligné le délégué syndical CGT, qui a refusé de signer un tel accord.

Le document d’orientation remis aux syndicats le 7 septembre par Ministre du travail ne rassure guère. Certes, à aucun moment les mots de flexibilité et d’accord de compétitivité ne sont utilisés, mais les pistes proposées, notamment celle de la possibilité de voir donner un blanc-seing par l’administration du travail à des accords organisant les licenciements collectifs, interdisant ainsi toute possibilité de contrôle du juge, indiquent que le temps de la résistance est loin d’être fini. (Voir Le Monde, samedi 8 septembre 2012, page 8).


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