Chronique ouvrière

L’avertissement est rattrapé par les droits de la défense

lundi 6 juin 2011 par Pascal MOUSSY
Cass Soc arrêt du 3 mai 2011.pdf

La sanction est définie par le Code du travail comme « toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération  ». L’avertissement est habituellement perçu comme « ne produisant pas de tels effets » mais ayant seulement une « connotation morale ». Mais il peut néanmoins être considéré comme une sanction disciplinaire. « S’il est évident qu’une telle mesure n’a pas d’incidence immédiate sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié, il n’en reste pas moins qu’elle peut à terme, mais non de façon certaine, produire de tels effets » (voir Liaisons Sociales, n° 15783 du 28 janvier 2011, « Droit disciplinaire », 44).

L’avertissement a jusqu’alors fait l’objet d’un traitement particulier de la part de la Cour de cassation. Celle-ci a retenu à son égard « une solution mixte », consistant à le tenir « pour une sanction, au sens substantiel du terme, c’est-à-dire par son objet, mais non au sens formel sous le rapport de la procédure  » (J. LE GOFF, Droit du travail et société, Tome I, Les relations individuelles de travail, 424).

L’employeur qui entend infliger un avertissement à un salarié n’est pas tenu de respecter la « procédure normale » (J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, Droit du travail, 25e éd., 729), appelée parfois la « procédure renforcée » (Liaisons Sociales, n° préc., 57), qui impose la tenue d’un entretien préalable avant qu’intervienne la sanction (art. L. 1332-2 C. trav.). Il a seulement à suivre la « procédure simplifiée », qui consiste à informer par écrit le salarié des griefs retenus contre lui dans le même temps qu’il notifie la sanction (art. L. 1332-1 C. trav.).

Cette procédure « allégée » dont fait l’objet l’avertissement ne fait pas l’unanimité.

Il est acquis que l’avertissement présente le caractère d’une sanction disciplinaire. « L’enjeu de la qualification de « sanction disciplinaire » n’est nullement de dire que telle ou telle mesure est valide. Il s’agit au contraire de dire que telle mesure s’annonce suspecte, dangereuse et qu’elle doit être passée au crible du droit disciplinaire avant de pouvoir être considérée comme valide » (J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, op. cit., 719). Or, l’esprit du droit disciplinaire est de permettre la mise en œuvre des droits de la défense avant que soit prise irrévocablement la décision de sanctionner, surtout si l’avertissement est le prélude à une sanction plus grave, pouvant aller jusqu’au licenciement (voir, dans ce sens, J. LE GOFF, op. cit. 424).

Mais la Chambre sociale se voulait insensible à l’argument invitant à considérer que les véritables garanties attachées au droit disciplinaire ne permettaient pas de se satisfaire de voir le salarié frappé d’un avertissement mis devant la « sanction accomplie », privé de la possibilité de discuter de la légitimité de sa sanction disciplinaire avant qu’elle n’ intervienne.

La Cour de cassation tenait à affirmer que la circonstance que l’avertissement annonce, pour l’avenir, une éventuelle sanction susceptible d’avoir une incidence, immédiate ou non sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération, n’enlève rien au fait que l’avertissement n’a pas par lui-même une telle incidence et que l’employeur n’est donc pas tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable (voir Cass. Soc. 19 janvier 1989, n° 85-46575, Bull. V, n° 50 ; Cass. Soc. 13 novembre 1990, n° 87-42812, Bull. V, n° 545).

Mais la prise en compte de la finalité du règlement intérieur devait conduire à une inflexion de cette jurisprudence.

Le règlement intérieur fixe notamment «  les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur » (art. L.1321-1 C. trav.).

Edicter le règlement intérieur relève des prérogatives de l’employeur mais cet « acte règlementaire  » (voir J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, op. cit., 696), fixant les règles de vie à l’intérieur de l’entreprise s’impose à tous ceux qui en font partie, y compris au chef qui l’a élaboré (Cass. Soc. 25 septembre 1991, n° 87-42396, Bull. V, n° 381).

L’accent a été mis sur la fonction d’ « information préalable des salariés  » dévolue au règlement intérieur. « Dans la prédétermination de la sanction l’employeur n’est plus détenteur d’un pouvoir mais titulaire d’un droit dont la finalité n’est pas la satisfaction de ses intérêts égoïstes et qui, pour cette raison, s’identifie plutôt à un droit – fonction. Alors que le détenteur d’un pouvoir dispose, au seuil de l’action, d’une liberté de choix fondée sur la libre évaluation de ses objectifs, le titulaire du droit-fonction est soumis à un devoir d’agir afin d’atteindre les buts que la loi a prédéfinis. Dans la prévision de la sanction disciplinaire, l’employeur est désormais privé de la liberté d’agir ou de ne pas agir car l’information préalable des salariés constitue une garantie essentielle dont il ne lui appartient plus d’apprécier l’opportunité  »
(F. DUQUESNE, « Légalité disciplinaire dans l’entreprise » : l’épilogue ? », RJS, 2/11, 90 et s).

C’est dès lors en toute logique que la Cour de Cassation a posé le principe qu’ une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par le règlement intérieur (Cass. Soc. 26 octobre 2010, n° 09-42740).

Ce « retour en force du règlement intérieur  » (Liaisons sociales n° 15856 du 12 mai 2011) a conduit la Cour de Cassation à revenir sur sa jurisprudence qui refusait par principe le droit à un entretien préalable au salarié concerné par un avertissement.

Par son arrêt du 3 mai 2011, la Chambre sociale a cassé la décision rendue par une cour d’appel qui suivait docilement sa jurisprudence refusant de reconnaître le droit à un entretien préalable en cas d’avertissement en soulignant que « le règlement intérieur énonçait que, sauf en cas faute grave, il ne pourrait y avoir de licenciement que si le salarié a fait l’objet d’au moins deux sanctions, ce dont il résultait qu’un avertissement pouvait avoir une incidence sur la présence du salarié dans l’entreprise  ».

De l’information donnée par le règlement intérieur, il ressortait que l’avertissement pouvait avoir une incidence, même non immédiate, sur la présence du salarié dans l’entreprise. Le salarié pouvait donc légitimement revendiquer un entretien préalable.

Cette reconnaissance de la mise en œuvre des droits de la défense avant qu’intervienne l’avertissement présente plusieurs mérites.

Une bonne discussion permise par l’entretien préalable peut avoir pour effet que l’employeur n’écrive pas la lettre d’avertissement.

La confrontation des points de vue au cours de l’entretien préalable peut amener le salarié à constater une absence totale de légitimité de la sanction. Et si, malgré tout, celle-ci est prononcée, la victime de l’injustice disciplinaire, forte des arguments échangés lors de l’entretien préalable peut se sentir déterminée à en obtenir l’annulation en saisissant la juridiction prud’homale.

Dans les entreprises où existent des capacités d’action collective et de mobilisation en temps utile, le moment de l’entretien préalable peut être l’occasion de se retrouver tous ensemble devant le bureau (ou à l’intérieur, selon l’inspiration) du directeur ou du préposé à l’entretien jusqu’à ce le projet d’avertissement soit déclaré par son auteur nul et non avenu.


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