Chronique ouvrière

Les inspecteurs du travail refusent de devenir les auxiliaires du ministre des expulsions !

samedi 24 novembre 2007

Question de Chronique Ouvrière :

Quelles sont les principales dispositions du décret du 31 mai 2007, qui a été présenté comme permettant au Ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, d’utiliser les inspecteurs du travail dans la recherche des travailleurs illégaux ?

Réponse de Martine Corneloup :

Le décret du 31 mai 2007 qui instaure le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement concerne les services de l’inspection du travail à plusieurs titres.
En premier lieu, il donne expressément compétence au ministère de l’immigration pour préparer et mettre en œuvre les règles relatives aux conditions d’exercice d’une activité professionnelle en France des ressortissants étrangers et charge le ministère de l’immigration, conjointement avec le ministre du travail, de la lutte contre le travail illégal des étrangers.
En second lieu, le décret prévoit que pour l’exercice de ses attributions, le ministère de l’immigration dispose de la Direction Générale du Travail qui est, depuis le 22 août 2006, l’autorité centrale chargée la politique travail et de l’animation et de la coordination des actions de l’inspection du travail.

Les syndicats de l’inspection s’étaient précédemment inquiétés du contenu d’une circulaire interministérielle en date du 18 décembre 2006 qui s’intitulait « lutte contre l’emploi d’étrangers sans titre de travail, le travail dissimulé effectué par des étrangers et le prêt illicite de main d’œuvre étrangère ». Ils avaient refusé de s’inscrire dans les actions coordonnées dont les objectifs clairement affichés étaient de procéder à des reconduites à la frontière d’étrangers en situation irrégulière au regard du droit au séjour. Ils s’opposaient, dés juillet 2005, à la politique mise en œuvre par Monsieur SARKOZY alors ministre de l’intérieur qui, au cours d’un comité interministériel de contrôle de l’immigration qu’il présidait, annonçait sa volonté d’organiser la mobilisation des services de contrôle concernés par la lutte contre le travail illégal pour procéder à 23 000 éloignements d’étrangers en 2006.

Les syndicats de l’inspection du travail, depuis les premières décisions prises par les gouvernements successifs pour organiser la coordination des actions de lutte contre le travail illégal entre les différents services de l’Etat concernés (outre l’inspection du travail sont concernés, gendarmerie, police, URSSAFF, PAF, Douane, Services fiscaux), ont toujours dénoncé la volonté manifeste d’orienter les actions de contrôle concertées vers la répression des salariés et plus particulièrement des salariés étrangers. Les structures de coordination se sont multipliées (DILTI, OCRIEST - office central de la répression de l’immigration et de l’emploi d’étrangers sans titre, Comité national et comités Départementaux de coordination sous l’autorité des préfets, COLTI - comités opérationnels sous l’autorité des procureurs de la République, Groupes d’Intervention Régionaux), comme se sont multipliés les textes qui élargissent le champ du travail illégal et les pouvoirs des agents de contrôle de l’ensemble des services. Ces mesures ont toutes pour objet et pour effet de déplacer le champ de la responsabilité de l’employeur vers la recherche de fraudeurs potentiels – logique qui place le salarié dans la même situation que l’employeur (étranger, chômeurs, RMIstes, intermittents du spectacle … il n’est pas rare d’entendre que certaines personnes profitent du système). Quant à l’élargissement des pouvoirs des corps de contrôle, il a surtout eu comme objectif de permettre le contrôle des individus et s’inscrit dans une politique de limitation des libertés individuelles (échanges de renseignements entre services sociaux, fiscaux, judiciaires.., badge d’identification des salariés sur les chantiers, contrôle d’identité, audition des personnes).

Dans ce contexte, la création d’un ministère de l’immigration compétent pour la lutte contre le travail illégal des étrangers ne pouvait manquer de soulever l’indignation des agents de l’inspection du travail.

Question de Chronique Ouvrière :

4 syndicats d’inspecteurs du travail (l’UNAS CGT, le SNU-TEF (FSU), SUD Travai : Affaires Sociales, le SYNTEF-CFDT) ont déposé le 20 juillet 2007 un recours devant le Conseil d’Etat en vue d’obtenir l’annulation de ce décret. Quels sont les arguments développés dans ce recours ?

Réponse de Martine Corneloup :

Les syndicats ont d’abord soulevé comme moyen juridique que le décret d’attribution crée une catégorie juridique qui n’existe pas. En effet, la notion de travail illégal des étrangers n’existe pas ni en droit du travail, ni en droit pénal.

Les syndicats arguent que le terme "travail illégal" – article L. 325-1 du code du travail - recouvre un ensemble de situations juridiques diverses :

- le travail dissimulé par dissimulation d’activité : - articles L. 324-9 et L. 324-10 du code du travail

- le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié : le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement des formalités de déclaration préalable à l’embauche (article L. 320 du code du travail), de remise d’un bulletin de paye (article L. 143-3 du code du travail), de mentionner un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué hors les cas prévus par les accords collectifs.

- le cumul d’emploi des fonctionnaires et agents publics de l’état ou le cumul d’activité au delà de la durée maximale du travail. – article L. 324-1 à L.324-3 du code du travail.

- l’emploi de salarié étranger sans titre de travail - article L. 341-6 du code du travail.

- les opérations à but lucratif qui ont pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre et les opérations à but lucratif de fourniture de main d’œuvre qui ont pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés ou d’éluder l’application de la loi (articles L. 125-1 et L. 125-3 du code du travail).

- les fraudes au revenu de remplacement – article L. 365-1 du code du travail.

Ils démontrent :

Que ces infractions peuvent être commises par des personnes physiques quelle que soit leur nationalité (le cas échéant, la personne morale peut être déclarée pénalement responsable)

Qu’il n’existe pas de délit de travail dissimulé, d’opération de main d’œuvre à but lucratif, de cumul d’emploi, de fraude au revenu de remplacement ou d’emploi d’étranger sans titre de travail qui soit spécifiquement lié à la nationalité ou à l’origine ethnique du commettant de l’infraction. Ils notent que si l’étranger sans titre de travail n’a pas le droit de travailler, la commission du délit d’emploi d’étranger sans titre de travail est commise par un employeur en qualité d’employeur et non en qualité, le cas échéant, d’étranger.
Que la notion de lutte contre le travail illégal des étrangers renvoie à une notion de recherche d’infraction en regard de la nationalité ou de l’origine du commettant.

En second lieu, les syndicats soulignent alors que cette nouvelle catégorie juridique "travail illégal des étrangers" est fondée sur une distinction par l’origine ou par l’appartenance à une ethnie, une nation ou une race ; qu’une telle distinction est discriminatoire et qu’elle contrevient tant aux dispositions des conventions internationales, qu’aux dispositions des conventions européennes et aux dispositions de la constitution et des lois régissant le droit français.

Enfin, en troisième lieu les syndicats se sont attachés à démontrer que la mise à disposition de la DGT auprès du ministère de l’immigration avait pour effet de placer l’inspection du travail à disposition du ministère de l’immigration. Les syndicats considèrent que cette mise à disposition fait obstacle à l’exercice des missions principales de l’inspection du travail et contrevient aux dispositions de la convention internationale de l’OIT qui encadre l’exercice des missions de l’inspection du travail et en particulier, met en cause le principe général d’indépendance des inspecteurs du travail dans leur action.

En effet, l’inspection du travail a une mission de protection des travailleurs et de lutte contre les discriminations dans le travail. Les syndicats considèrent que l’inspection du travail dont la mission principale consiste à assurer la protection des travailleurs dans l’exercice de leur profession et contre les violations du droit du travail dans l’entreprise ne saurait être associée à des actions de contrôle où l’individu et son origine nationale ou ethnique sont déterminants sans que cela porte atteinte à l’exercice des missions de l’inspection du travail.

Ils citent à l’appui de leur recours la définition des objectifs fixés par le chef de l’état au ministère de l’immigration et du chiffrage par ce dernier du nombre de reconduites à la frontière et rappellent que les inspecteurs du travail ne sont pas chargés de faire appliquer les règles relatives au droit au séjour.

Question de Chronique Ouvrière :

Quelle a été la réponse du Conseil d’Etat ? Quels commentaires appelle-t-elle ?

Réponse de Martine Corneloup :

Le Conseil d’Etat a rejeté la requête des syndicats de l’inspection au motif que les syndicats de l’inspection du travail ne justifiaient pas d’un intérêt leur donnant qualité pour déférer les dispositions du décret au juge de l’excès de pouvoir. Il considère en effet qu’il s’agit d’un simple décret d’attribution qui n’a pas pour objet d’affecter, par lui-même, les conditions d’emploi et de travail des agents exerçant leurs fonctions dans les services concernés. Il considère également que les dispositions attaquées n’ont pas pour objet, ni pour effet de contrevenir aux dispositions de la convention 81 de l’OIT et que la mise à disposition de la DGT ne porte pas atteinte aux droits que les inspecteurs du travail tirent de leur statut.

Le Conseil d’Etat rappelle également que les membres du corps de l’inspection du travail participent à la mise en œuvre des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle définies par les pouvoirs publics. Que les dispositions litigieuses n’ont pas pour objet ou pour effet de créer des missions statutaires nouvelles ; qu’elles n’ajoutent ni ne retranchent aux missions de l’inspection du travail.

Cette décision est éminemment politique.

La semaine dernière, nous apprenions qu’un projet de décret modifiant le statut particulier de l’inspection du travail pour permettre l’affectation directe des inspecteurs et contrôleurs du travail (sans passer par la voie du détachement) au ministère de l’immigration devait être signé. Les organisations syndicales immédiatement mobilisées ont obtenu le retrait de ce projet mais ceci démontre bien que les conséquences de la création d’un ministère de l’immigration exerçant des attributions en matière de travail illégal sur le statut de l’inspection du travail, sont patentes.

En rappelant dans le présent arrêt que le décret du 20 août 2003 précise que les membres de l’inspection du travail, outre les missions qui leur sont dévolues par l’article L.611-1 du code du travail, participent à la mise en œuvre des politiques de l’emploi et que les dispositions attaquées ne rajoutent, ni ne retranchent rien aux missions de l’inspection, le Conseil d’Etat indique implicitement que les agents publics sont tenus de mettre en œuvre les politiques définies par le gouvernement. Il s’est par ailleurs refusé à considérer que la participation de l’inspection du travail à la lutte contre le travail illégal des étrangers pouvait constituer une atteinte aux missions de l’inspection. Bien que l’aspect discriminatoire et la stigmatisation des étrangers soulignés par les organisations syndicales ne soient pas évoqués directement, cette formulation valide l’existence de mesures particulières de contrôle s’agissant des infractions de travail illégal commises par des étrangers.

Le Conseil d’Etat s’est, en outre, refusé à conforter le principe d’indépendance des inspecteurs du travail dans leur action individuelle qu’il a pourtant érigé en un principe général du droit dans un arrêt 8 juillet 1998, alors même qu’une telle suggestion était ouverte par le commissaire du gouvernement.

Si comme l’indiquait le commissaire du gouvernement lors de l’audience publique, ce n’est pas le décret d’attribution qui peut être porteur, par lui-même, de mise en cause des principes qui régissent l’action de l’inspection du travail mais les conditions dans lesquelles s’effectueront les opérations mises en œuvre au titre du contrôle du travail illégal des étrangers sous l’égide du ministère de l’immigration, alors les inspecteurs du travail et leurs organisations syndicales continueront à refuser d’effectuer des actions concertées organisées dans l’objectif de procéder à des reconduites à la frontière de personnes en situation irrégulière au regard du droit au séjour.

Question de Chronique Ouvrière :

Une mobilisation des inspecteurs du travail hostiles aux dispositions du décret « Hortefeux » est-elle aujourd’hui envisageable ? Dans le cas d’une réponse affirmative, quelles formes pourrait-elle prendre ?

Réponse de Martine Corneloup :

Depuis deux ans déjà, les agents de contrôle de l’inspection du travail refusent d’appliquer les directives qui nous enjoignent de faire avec la police des contrôles ciblés sur les étrangers.

Lors des états généraux de l’inspection du travail qui regroupaient quelques 800 agents, une résolution par laquelle les agents s’engageaient et appelaient leurs collègues de l’inspection à ne pas s’engager dans une politique de répression des étrangers a été adoptée à l’unanimité.

Les organisations syndicales CGT, FO, SNU- TEF et SUD Travail ont diffusé en octobre 2007, un tract appelant les agents à ne pas accepter d’être les auxiliaires d’une politique de répression et d’arrestation des travailleurs étrangers.

Elles écrivent : « il est de la responsabilité de chaque agent de contrôle de résister et de désobéir, collectivement et individuellement, à des ordres iniques dont l’application zélée a conduit récemment deux personnes désespérées à se défenestrer. »

Les organisation syndicales réclament du gouvernement des dispositions qui permettraient, dés lors qu’un agent de contrôle constate qu’un salarié est en situation de travail illégal au service d’un employeur, que cette situation de fait entraine régularisation de la situation de la personne au regard des droits à séjour, à autorisation de travail et à protection sociale.

Les organisations syndicales envisagent, comme elles l’ont déjà fait par le passé, de déposer un préavis de grève illimité qui sera activé dés lors que des agents de l’inspection se trouveraient dans l’obligation de participer à une action visant à entrainer la ou comportant le risque de reconduite à la frontière de salariés en situation irrégulière.

Les prémices d’un réseau Emploi, Formation, insertion mobilisant les agents des services ANPE, ASSEDIC, DDTEFP,… pour empêcher l’application des directives, circulaires, lois qui bafouent les droits des étrangers, pour faire reconnaitre le droit de désobéissance des professionnels confrontés à des actions en contradiction avec leurs missions de service public, pour témoigner …sur le modèle du Réseau Education sans Frontières…se dessinent.

Le corps de l’inspection du travail est aujourd’hui constitué autour de principes forts dans la manière de conduire l’action. Les salariés sont en situation de subordination vis-à-vis de leur employeur et subissent les conditions de travail et d’emploi dans lesquelles ils sont placés. Le seul rôle de l’inspection du travail est de permettre aux travailleurs de ce pays, quelle que soit leur nationalité et leur origine de faire valoir leurs droits. Pour cela, l’inspection contrôle l’application du droit du travail dans les entreprises et le respect par l’employeur des dispositions légales et règlementaires. Elle refusera toutes les dérives qui amèneraient à considérer le salarié responsable des conditions de vie au travail qu’il connait.

En annexe de cette interview, des documents PDF à lire avec Acrobat Reader

Le recours des syndicats d’inspecteurs du travail
La défense du Ministère
La réplique des syndicats d’inspecteurs du travail
L’arrêt du Conseil d’Etat, 14 Nov 2007

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