Chronique ouvrière

RENAULT rappelé à l’ordre pour avoir dépouillé le "compte épargne formation" de ses salariés

jeudi 1er décembre 2011 par Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
TGI Nanterre 24 novembre 2011.pdf

La formation représente un enjeu important pour les salariés et les entreprises. La pérennité de leur emploi peut en dépendre pour les premiers, pour les secondes, il s’agit d’un élément important pour leur vitalité et d’un poste budgétaire non négligeable. Les employeurs portent en effet la responsabilité d’adapter leurs salariés à leur poste de travail et de maintenir leur capacité à occuper un emploi en leur faisant suivre les actions de formation appropriées. Il s’agit d’une obligation pour les deux parties et le temps qui y est consacré doit être comptabilisé dans le temps de travail effectif. Cependant, certains essaient d’échapper à cette charge.

C’est ainsi que la société RENAULT, qui emploie un peu plus de trente-six mille salariés, avait décidé de réaliser de grosses économies en la matière. Pour se dispenser d’une partie de ses obligations légales, elle a profité du mouvement général qui a entouré les lois Aubry sur la réduction et l’aménagement du temps de travail et signé le 16 avril 1999 un accord d’entreprise « Sur l’emploi, l’organisation et la réduction du temps de travail » avec un certain nombre d’organisations syndicales, dont ne faisait pas partie la CGT.

Dans le cadre de cet accord, il était institué ce que Renault a appelé, dès cette époque, un Droit Individuel à la Formation s’exerçant dans le cadre d’un un « Compte Epargne Formation », dans lequel les salariés pouvaient engranger, chaque année, une réserve de temps de formation à raison de 35 heures pour les salariés en horaire normal, 25 heures pour ceux qui travaillent en équipe ou 6 jours pour les cadres. Il faut préciser que les salariés se constituent eux-mêmes cette réserve pour sa quasi-totalité, dans la mesure où ce compte est alimenté à hauteur de 30 heures, 20 heures et 4 jours par des jours travaillés au-delà de la durée légale.

Au contraire du Droit Individuel à la Formation légal, le droit issu de l’accord d’entreprise n’est pas portable. Cependant, il peut être capitalisé dans de plus larges proportions et au moment du départ de l’entreprise, le salarié reçoit une indemnité équivalente au solde restant dans le compte.

Cet accord a toujours été présenté par Renault comme une très grande avancée sociale et une anticipation, sur les dispositions de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, qui a instauré un Droit à la Formation Individuelle. En conséquence elle prétend qu’en leur permettant d’exercer leurs Droits à la Formation Individuelle conventionnel, conçu, selon elle, dans un sens plus favorable, elle remplit les salariés de leurs droits nés de la loi de 2004.

Répétant à l’envie ce postulat et jouant sur certaines ambiguïtés de l’accord d’entreprise, voire en soutirant une signature à ses salarié, la société s’organise pour leur faire supporter une part très importante de temps de formation qui devraient rester à sa charge et accessoirement leur imposer des ersatz de formation, qui permettront à la fois de conditionner le personnel et de vider le Compte Epargne Formation. Dans les deux cas, le bénéfice est certain pour Renault et la perte incontestable pour le salarié.
S’appuyant sur l’idée que les Comptes Epargne Formation appartiennent aux salariés, les syndicats CGT Renault et la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT ont saisi le Tribunal de grande instance de Nanterre en référé pour demander que soient prises les mesures permettant de faire cesser le trouble manifestement illicite constitué par les pratiques de la société Renault et la condamner au versement d’une provision sur dommages et intérêts à la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif de la profession par les violations perpétrée.

Par une ordonnance en date du 24 novembre 2011, Madame la Présidente du Tribunal de grande instance de Nanterre a jugé qu’à la lecture des textes relatifs à la formation, il apparaît « avec l’évidence requise en matière de référé que l’initiative du droit individuel à la formation appartient au salarié sans pour autant que l’employeur soit empêché de proposer à son salarié des formations dans le cadre de son DIF (…) », ajoutant que « Si l’employeur peut proposer à son salarié des formations dans le cadre du DIF, il est très clair qu’il ne peut en aucun cas imposer à son salarié une formation dans le cadre du DIF et ne peut sanctionner en aucune manière le refus d’un salarié de suivre une formation proposée par l’employeur dans le cadre du DIF », pour affirmer encore que « l’employeur ne peut décompter du CEF de ses salariés les formations relevant de son obligation en qualité d’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision. Il y est jugé d’une part que l’initiative du Droit Individuel à la Formation (ou DIF) appartient au salarié (I), d’autre part que les formations relevant de son obligation en qualité d’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi ne peuvent être imputées sur le Compte Epargne Formation (ou CEF) prévu dans l’accord Renault. (II)

I - L’initiative du Droit Individuel à la Formation appartient au seul salarié

L’article L 6323-1 du Code du travail permet à tout salarié, possédant une ancienneté supérieure à un an, de bénéficier d’un crédit d’heures de formation de 20 heures par an, cumulable sur six ans dans la limite de 120 heures.

Il s’agit d’un droit institué au bénéfice du salarié, qui doit pouvoir en disposer à son gré. A l’origine simplement transférable, le DIF est devenu portable depuis la loi du 24 novembre 2009 et les nouveaux articles issus de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009, qui constituent une section consacrée à la « portabilité du droit individuel à la formation », mettent l’accent sur le caractère individuel d’un droit utilisable postérieurement à la rupture du contrat de travail, dont « la mise en œuvre se détache peu à peu de l’accord patronal » (voir F. GUIOMARD, « Toilettage ou mutation de la formation professionnelle », Revue de Droit du Travail, 2010, 107).

Son régime est fixé à l’article L 6323-9, lequel précise que « la mise en œuvre du droit individuel à la formation relève de l’initiative du salarié, en accord avec l’employeur ».

A cet égard, les travaux préparatoires confirment sans ambiguïté que c’est le salarié qui doit être « à l’initiative de la demande de formation relevant du DIF. Cette initiative est exclusive (souligné par nous) », précisant que ce n’est que « la mise en œuvre du DIF [qui] requiert l’accord de l’employeur ». Enfin, au sujet du choix de la formation « Il doit faire l’objet d’un accord « écrit » conclu entre le salarié et l’employeur. L’ANI évoque un accord formalisé. ». (Rapport N°1273 fait au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le projet de (n° 1233) relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social).

Le Droit Individuel à la Formation appartenant au salarié, c’est à lui seul d’en prendre l’initiative, donc de décider s’il entend l’exercer ou non. L’accord de l’employeur n’est requis que dans un second temps, pour la mise en œuvre, dans la mesure où elle s’opère dans le cadre du rapport de travail. Enfin, l’aspect de codécision n’apparaît qu’au sujet du choix de la formation, mais à ce moment encore, la volonté du salarié a sa place, comme le montrent les termes de l’article L 6323-9 du Code du travail, lequel précise en son alinéa 2 que « Le choix de l’action de formation envisagée,(…) est arrêté par accord écrit du salarié et de l’employeur. » (Formation professionnelle, Liaisons Sociales, juin 2010, page 58)
Savoir à qui appartient l’initiative de l’accès à la formation reste donc essentiel. Lorsqu’il s’agit d’une initiative du salarié, comme dans le cas du DIF, le salarié ne peut se voir imposer l’obligation de suivre la formation. C’est au salarié qu’il appartient de décider s’il entend utiliser au cours de l’exécution de son contrat de travail les heures qui lui sont dues au titre de son droit individuel à la formation.

Malgré les termes clairs et précis de la loi, la société Renault entretient à dessein une confusion entre l’initiative de l’exercice du droit, sa mise en œuvre et le choix de la formation. Elle ignore délibérément l’opération en trois temps telle que voulue par le législateur pour s’approprier l’ensemble et imposer des formations choisies par elle à ses salariés au titre du Droit Individuel à la Formation.

C’est cette pratique contra legem qui a été sanctionnée par le juge des référés par son ordonnance du 24 novembre 2011, qui n’interdit pas à Renault de « proposer à son salarié des formations dans le cadre du DIF », mais en précisant que « il est très clair qu’il ne peut en aucun cas imposer à son salarié une formation dans le cadre du DIF et ne peut sanctionner en aucune manière le refus d’un salarié de suivre une formation proposée par l’employeur dans le cadre du DIF »

Cependant le juge des référés ne s’est pas borné à défendre à l’employeur d’imposer des formations à ses salariés dans le cadre du Droit Individuel à la Formation, mais, prenant pleinement en compte les termes de la loi et la place essentielle donnée à l’initiative du salarié, il lui interdit de « débiter des Comptes Epargne Formation de ses salariés des formations qui n’auraient pas fait l’objet d’une demande de ceux-ci au titre de leur Droit Individuel à la Formation »
En outre, le juge a également tenu compte du lien existant entre les notions d’initiative et d’obligation.

II - Sur l’interdiction d’imputer sur le Compte Epargne Formation (ou CEF) institué par l’accord Renault les formations relevant de son obligation en qualité d’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi

Certes, l’article 4.2.2 de l’accord Renault stipule que la demande de formation au titre de ce compte épargne formation est présentée par « le salarié ou la hiérarchie lors d’une réflexion menée en commun sur le développement des compétences ou à l’occasion de l’entretien annuel ».
Faudrait-il en déduire que le Droit Individuel à la Formation ne relève pas de la seule initiative du salarié ?
Pour répondre, il faut se souvenir que la société a toujours soutenu que l’accord Renault du 16 avril 1999 a été un « texte précurseur » et que le Droit Individuel à la Formation qu’il a institué préfigurait celui qui a été consacré par la loi de 2004, mais il faut également admettre qu’il doit maintenant se mettre en conformité avec le Droit Individuel à la Formation tel qu’il est défini par la loi du 4 mai 2004. En effet, ces dispositions conventionnelles qui anticipaient sur la reconnaissance légale d’un Droit Individuel à la Formation auraient dû normalement être adaptées pour tenir compte de l’entrée en vigueur des dispositions d’ordre public de la loi du 4 mai 2004.

L’actuel article L. 6323-6 du Code du travail indique qu’« une convention ou un accord collectif de branche ou d’entreprise peut prévoir des modalités particulières de mise en œuvre du droit individuel à la formation » et l’article L. 6323-8 prévoit que « des priorités peuvent être définies pour les actions de formation mises en œuvre dans le cadre du droit individuel à la formation par convention ou accord collectif de branche ou d’entreprise ». Il en résulte que, par voie d’accord, on peut prévoir un nombre d’heures alimentant le droit individuel à la formation plus important que les vingt heures annuelles légales. On peut également en déduire que l’employeur peut se référer aux priorités définies conventionnellement avant de donner son accord à la demande de formation qui a été présentée par le salarié.
Cependant l’accord collectif ne saurait déroger aux dispositions légales, sauf lorsqu’une dérogation est expressément prévue par celle-ci. Et le droit de la formation ne rentre pas dans les hypothèses où la dérogation est admise (sur les cas de dérogation, voir article 43 de la loi du 4 mai 2004 et J. PELISSIER, G. AUZERO, E. DOCKES, Droit du travail, 25e éd., Dalloz, 2010, 1317 et s.).

Depuis, le 4 mai 2004, ce qui caractérise le droit individuel à la formation, c’est que sa mise en œuvre dépend de l’initiative du salarié et aucune disposition conventionnelle ne peut remettre en cause le principe d’autonomie qui doit présider aux conditions d’exercice de ce droit individuel en faisant valoir un crédit d’heures plus important que les vingt heures annuelles légales ou une prise en compte sur le temps de travail.
Accepter le transfert de l’initiative du salarié vers l’employeur reviendrait à inclure le droit individuel à la formation dans la catégorie des formations imposées par la loi et à prendre le risque de faire rentrer le salarié dans le champ du pouvoir disciplinaire, en cas de refus de sa part de suivre la formation voulue par l’employeur, ce qui constituerait une totale dénaturation du droit individuel à la formation voulu par la loi.
C’est bien cette irrigation des dispositions conventionnelles du droit individuel à la formation par le principe posé par le nouveau dispositif légal qui a conduit la Cour de cassation, par son arrêt RENAULT AGRICULTURE du 16 janvier 2008 (Bull. V, n° 10 ; RJS 4/08, n° 464 ; Revue de Droit du Travail, 2008, 245), à affirmer que les temps de formation non demandés par les salariés ne peuvent être débités des COMPTES Epargne Formation.
Et c’est par application de ces principes qu’au cours de sa motivation, le juge s’est attaché à situer les différents types de formations ainsi que leur régime pour en déduire que, lorsque nous nous situons dans le cadre du Droit Individuel à la Formation et d’une initiative appartenant au salarié, nous sommes dans une logique de simple faculté. Le salarié est seul maître de disposer du droit qui lui appartient, donc de prendre ou non l’initiative de la demande.

En revanche, dans le cas de l’initiative de l’employeur, nous rentrons dans une logique d’obligation, d’abord, celle de l’employeur qui doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, ensuite, celle du salarié, qui est tenu de suivre la formation. Dans ce dernier cas, nous sortons du cadre du Droit Individuel à la Formation et les temps consacrés aux actions menées ne peuvent être imputés sur le Compte Epargne formation. C’est donc en toute logique que le juge en déduit que « l’employeur ne peut décompter du CEF de ses salariés les formations relevant de son obligation en qualité d’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi »
Le juge a clairement délimité la catégorie des actions de formation entrant dans le Droit Individuel à la Formation, qui peuvent donc être imputées sur le Compte Epargne Formation. Renault doit savoir maintenant que ne peuvent en faire partie les formations imposées par l’employeur à ses salariés, pas plus que les formations relevant de l’obligation de l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, c’est-à-dire celles qui peuvent être rendues obligatoires par l’employeur.

Et c’est parce que Renault se livrait à ces deux types de pratiques que le juge l’a condamnée à réparer le dommage ainsi causé à l’intérêt collectif de la profession représentée par la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT.


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