Chronique ouvrière

Technocentre Renault Guyancourt : le "lanceur d’alerte" dénonçant l’atteinte à la liberté syndicale a gagné !

mardi 26 décembre 2023 par Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS et Pascal MOUSSY
Cass. soc. 20 décembre 2023.pdf

Les mésaventures survenues à H. ne sont pas inconnues des visiteurs de Chronique Ouvrière, qui a dénoncé le 12 juin 2016 un licenciement portant atteinte au libre exercice de l’activité syndicale et au droit des salariés des entreprises prestataires intervenant au sein de la collectivité de travail de l’entreprise utilisatrice de communiquer avec les organisations syndicales présentes dans cette entreprise (http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article922).

Chronique Ouvrière a également mis en ligne l’arrêt du 27 février 2018, par lequel la Cour d’appel de Versailles, intervenant dans le cadre de la procédure de référé, a constaté la nullité du licenciement de H. pour atteinte à la liberté d’expression et a condamné la société EURODECISION au versement de sommes provisionnelles au titre de l’indemnité de préavis, de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité pour licenciement nul (http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article961).

Cet arrêt de la Cour d’appel de Versailles a été cassé le 4 novembre 2020 par la Cour de cassation qui a reproché aux juges d’appel d’avoir considéré que H. était recevable à invoquer le statut de « lanceur d’alerte » sans avoir préalablement constaté que le salarié avait relaté ou témoigné de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime.

Il revenait alors à la Cour d’appel de renvoi de déterminer en quoi la remise en cause du droit à la libre communication avec les syndicats de la société RENAULT était constitutive d’un délit.

Par son arrêt du 6 janvier 2022, la Cour d’appel de Versailles (6ème chambre), statuant comme cour de renvoi, a condamné la société EURODECISION à verser à chacun des deux syndicats qui s’étaient constitués parties intervenantes aux côtés de H. , la CGT Renault Guyancourt Aubevoye et Sud Renault Guyancourt Aubevoye, la somme provisionnelle de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession, après avoir considéré que la restriction à la libre diffusion des informations ayant un objet syndical était une atteinte à la liberté syndicale constitutive d’un trouble manifestement illicite.

Mais ce même arrêt a rejeté les demandes de H. fondées sur la nullité de son licenciement après avoir considéré qu’il ne pouvait se prévaloir du statut de « lanceur d’alerte », aux motifs, d’une part, que par ses propos relatifs à la surveillance dont les courriels des syndicats de la société Renault feraient l’objet, l’employeur n’émettait qu’un avis personnel dont la diffusion ne pouvait caractériser la dénonciation d’un délit d’entrave à la liberté syndicale et d’autre part, qu’en facilitant la diffusion des réserves émises par l’employeur relativement à la communication du salarié avec les syndicats du Technocentre, le salarié n’en avait pas dénoncé pour autant un crime ou un délit.

Chronique Ouvrière a mis en ligne cet arrêt avec un commentaire mettant en évidence la pusillanimité des juges qui n’avaient pas voulu sanctionner par la nullité du licenciement de H. la répression de son droit à la communication avec les syndicats de la société Renault, alors qu’ils venaient de reconnaître, en accordant une indemnité provisionnelle à chacun des syndicats intervenants que l’atteinte à la libre diffusion des informations syndicales et au droit de recevoir des informations ayant un objet syndicat était constitutive d’un trouble manifestement illicite (http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article1010).

La Cour de cassation, par son arrêt du 20 décembre 2023, a censuré les motifs par lesquels la Cour d’appel de renvoi avait dénié à H. le droit de se prévaloir du statut de « lanceur d’alerte ». Elle a jugé que l’arrêt du 6 janvier 2022 n’avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations alors qu’il avait relevé, d’une part, que le salarié avait été sanctionné pour avoir échangé des messages avec les organisations syndicales du Technocentre Renault et que, d’autre part, il avait été licencié pour avoir diffusé les propos de son employeur portant atteinte au libre exercice d’une activité syndicale, ce qui constitue le délit de discrimination syndicale.

La Cour de cassation a également mis fin à la saga de H. qui a engagé depuis maintenant plus de sept ans l’action judiciaire visant à l’indemnisation du préjudice causé par la violation des dispositions légales protégeant les « lanceurs d’alertes ». Elle a, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, statué au fond, et considéré comme nul le licenciement de H., licencié pour avoir dénoncé le délit de discrimination syndicale. L’affaire a été renvoyé devant la Cour d’appel de Paris uniquement pour qu’il soit statué sur les conséquences de la nullité du licenciement.

Il reste à tirer la leçon de l’histoire.

H. était le salarié d’une entreprise « extérieure » à Renault. Mais il se considérait comme appartenant pleinement à la collectivité de travail œuvrant pour le compte de Renault et considérait en toute logique qu’il était normal qu’il s’adresse aux syndicats de Renault. Il a entendu dénoncer haut et fort son licenciement manifestement attentatoire à la liberté syndicale. La ténacité dont il a fait preuve pour se faire reconnaître comme « lanceur d’alerte » et faire juger comme nul son licenciement a finalement été payante.

Il appartient maintenant aux organisations syndicales convaincues de la nécessité de donner envie aux salariés des entreprises « extérieures » d’entrer dans l’action avec les salariés des entreprises utilisatrices de faire connaître largement le combat victorieux de H.


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