Chronique ouvrière

La Poste et l’Usine sucrière et rhumière du Galion condamnées pour intermittence sauvage !

mercredi 2 janvier 2008 par Pascal MOUSSY
la décision de la Cour de Cassation du 31 octobre 2007.pdf
CPH Fort-de-France 22 Novembre 2007.pdf

I. Le contrat de travail intermittent : un contrat très spécial.

Le « contrat de travail intermittent », créé par une ordonnance du 11 août 1986, est un contrat de travail très particulier.

Ce contrat, qui prévoit une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées, permet à l’employeur, pendant les périodes non travaillées, de ne pas être débiteur de l’obligation de verser un salaire à celui avec lequel il reste lié par un contrat.

Mais il n’est pas envisageable pour celui qui est sans travail pendant cette période d’être pris en charge par l’assurance chômage. Etant titulaire d’un contrat de travail, il ne saurait être légalement assimilé à un « demandeur d’emploi »… Si, pendant la période d’inactivité, le travailleur rencontre un autre employeur, sa situation n’est pas vraiment critique. Mais s’il n’en trouve pas, il aura un statut peu enviable de salarié n’ayant pas droit à un salaire. (La circonstance que la code du Travail admette pour le titulaire d’un contrat intermittent un mécanisme de « lissage » du salaire, permettant recevoir chaque mois de l’année un fiche de paye affichant un solde créditeur, ne faisant pas disparaître le fait que la somme mensuellement versée correspond à un douzième de la rémunération annuelle du temps effectivement travaillé). En d’autres termes, si un travailleur intermittent travaille 6 mois sur 12, il percevra sur 12 mois une somme correspondant à 6 mois de travail…

L’ordonnance du 11 août 1986 a précisé que le contrat intermittent ne peut valablement intervenir que s’il a été préalablement autorisé par un accord collectif. Il appartient alors au(x) syndicat(s) représentatif(s) de peser le pour et le contre avant de signer un accord autorisant le contrat de travail intermittent.

La loi Giraud du 20 novembre 1993 va prolonger le mouvement en supprimant le contrat intermittent mais en créant le contrat à temps partiel annualisé.

Le mécanisme du contrat intermittent est repris, mais il n’est plus besoin, avant de proposer au salarié un contrat de travail admettant une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées, de passer par la négociation collective. Le contrat à temps partiel annualisé peut être proposé, même s’il n’a pas été préalablement autorisé par un accord collectif.

Ce nouveau contrat a été perçu comme étant vraiment « tout bénéf » pour l’employeur. « Ce système extrêmement souple risque de transformer le travail à temps partiel en travail « au sifflet » dans lequel le salarié doit se tenir à la disposition de son employeur tout au long de l’année, avec éventuellement des périodes de forte activité rémunérées au taux normal et des moments d’inoccupation. Les seules garanties sont celles prévues par son contrat et cette forme de souplesse n’est subordonnée à aucune contrepartie. On peut alors se demander si le contrat de travail à temps partiel ne va pas devenir l’exemple même du contrat précaire. »
(F. Favennec-Hery, « Le travail à temps partiel », Dr. Soc. 1994, 165).

Pour enrayer un certain nombre de « dérives » encouragées par le régime du temps partiel annualisé, l’article 12 de la loi Aubry du 19 janvier 2000 a abrogé le contrat à temps partiel annualisé et a remis en place le contrat intermittent.

Il a été alors souligné par le nouvel article L.212-4-12 du Code du Travail que le contrat de travail intermittent devait être prévu par un accord collectif définissant les emplois permanents, comportant par nature une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées, susceptibles d’être pourvus par un tel contrat.

Vu le caractère très spécial et très dérogatoire du contrat de travail intermittent, il est apparu au moins indispensable que les syndicats représentatifs de salariés (en tout cas au moins d’entre eux) donnent leur accord sur le caractère « naturel » des emplois pouvant accueillir le contrat particulièrement précaire.

II. Des juges préoccupés de faire respecter les règles encadrant le recours aux contrats intermittents en requalifiant en contrats de travail « normaux » les contrats irréguliers… et en condamnant à payer les sommes dues au titre des périodes « non travaillées ».

Deux employeurs de choc, La Poste et la Société de Production Sucrière et Rhumière de la Martinique, ont été judiciairement épinglés pour la même pratique consistant à passer par-dessus les dispositions légales subordonnant la conclusion d’un contrat de travail intermittent à l’existence d’un accord collectif définissant préalablement les emplois pouvant être pourvus par des contrats intermittents.

Par son arrêt du 27 juin 2007, la chambre Sociale de la Cour de Cassation a cassé la décision de la Cour d’Appel de Montpellier qui avait rejeté la demande de requalification d’un contrat de travail intermittent en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein présentée par une salariée engagée par La Poste en qualité d’agent contractuel main d’œuvre de nettoyage et service général. Cette requalification était en effet inévitable. Les contrats intermittents et les avenants proposés à l’intéressée étaient irréguliers, la convention commune de La Poste -France Télécom ne définissant pas précisément les emplois pour lesquels des contrats de travail intermittents peuvent être conclus.

Par son ordonnance du 22 novembre 2007, la formation de référé du Conseil de Prud’hommes de Fort-de-France n’a pu que donner une suite favorable à une demande de provision sur salaire présentée par 19 salariés employés par l’usine sucrière et rhumière du Galion qui s’étaient vus proposer des contrats intermittents, en l’absence d’accord collectif conforme aux dispositions de l’article L.212-4-12 du Code du Travail.

Le juge des référés a constaté le trouble manifestement illicite constitué par la pratique patronale consistant à s’affranchir des dispositions « encadrant » le recours aux contrats intermittents. Il a ensuite accordé une provision sur les salaires impayés à des salariés qui pouvaient légitimement revendiquer d’être titulaires de contrats de travail à durée indéterminée à temps plein.

Payer de manière intermittente des salariés qui « travaillent au sifflet », c’est peut-être une forte aspiration patronale. Mais il ne faut pas le faire trop sauvagement, il y a tout de même, comme viennent de le rappeler les juges, quelques règles à respecter.

Lire le commentaire de Henri Elisabeth (CGTM)

il y a également un commentaire de la décision de Fort-de-France "Continuer la lutte pour faire appliquer pour faire appliquer l’ordonnance de référé" signé par Henri Elisabeth (CGTM).

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