Chronique ouvrière

La fin du déni pour le salarié dit "protégé" ?

jeudi 12 septembre 2013 par Michel DESRUES
CAA Paris 27 novembre 2012.pdf
CAA Marseille 11 juin 2013.pdf

Selon Monsieur Jean-Denis COMBREXELLE, l’inamovible directeur général du travail depuis 2001, "il n’entre pas dans le champ de contrôle de l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé d’apprécier les causes de l’inaptitude médicalement contestée".

— Circulaire DGT 07/212 du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés, page 67

Or, on sait – articles L 1152-1, L 1152-2, L 1152-3 du code du travail – que "toute rupture intervenue en méconnaissance" des dispositions relatives au harcèlement moral "est nulle".

Cependant, en application du principe de la séparation des pouvoirs, la Cour de cassation ne cesse de rappeler que le contentieux de la rupture pour inaptitude en raison d’un harcèlement subi par un salarié protégé ne relève pas du juge civil.

—  Cassation, sociale, 15 novembre 2011, n° 10-30463
—  Cassation, sociale, 6 juin 2012, n° 10-27694
—  "Où il se confirme que dans certains cas le salarié dit protégé l’est moins qu’un salarié "ordinaire" – Alain HINOT – Chronique ouvrière 25 novembre 2011 et 7 octobre 2012

De même, jusqu’à peu, la juridiction administrative souligne qu’il n’appartient pas à l’inspecteur du travail de rechercher les causes d’une inaptitude.

—  Cour administrative d’appel de NANTES, 14 avril 2011, n° 09NT01319
—  Cour administrative d’appel de LYON, 18 septembre 2007, n° 05LY00314

Comme l’ont écrit les inspecteurs du travail Jacques DECHOZ et Sophie GEYNET-BOURGEON, "cette position place le salarié protégé dans une situation infiniment moins favorable que celui non investi d’un mandat électif ou syndical, puisque, à l’inverse de celui-ci, celui-là ne peut faire valoir la nullité du licenciement dont il est l’objet. Ni devant le juge administratif ni devant le juge judiciaire".

—  "Salariés protégés, salariés exposés, salariés sacrifiés" in "le droit ouvrier", mai 2012, 329-331

Ce véritable déni de justice doit cesser.

Un revirement commence à s’opérer dans plusieurs cours administratives d’appel, en attendant la décision du Conseil d’Etat.

La Cour administrative d’appel de PARIS – 27 novembre 2012, n° 11PA03323 – est on ne peut plus claire :

"Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l’inaptitude physique, il appartient à l’inspecteur du travail, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si cette inaptitude est telle qu’elle justifie le licenciement du salarié, compte tenu notamment des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi, ainsi que de l’ensemble des règles applicables à son contrat de travail ; qu’au nombre de ces dernières figurent les dispositions précitées du code du travail prohibant le harcèlement moral ;

qu’il suit de là qu’il appartient à l’inspecteur du travail de vérifier, lorsque le salarié en fait état lors de l’enquête contradictoire, si celui-ci subit des agissements répétés de harcèlement moral, cette circonstance, si elle est établie, devant le conduire à refuser l’autorisation d’un tel licenciement".

La Cour administrative d’appel de MARSEILLE – 11 juin 2013, n° 12MA02400 – suit le même raisonnement frappé au coin du bon sens :

"Il appartient ainsi à l’inspecteur du travail, lorsque le salarié fait état de harcèlement moral lors de l’enquête contradictoire, de vérifier si celui-ci subit des agissements répétés qui pourraient être constitutifs de harcèlement moral, et, s’il relève des indices de l’existence de tels agissements, de refuser l’autorisation de licenciement sollicitée".

En définitive, les dispositions prohibant le harcèlement moral, qui figurent dans le code du travail, font bien partie du bloc de contrôle de l’administration.

Il revient maintenant à l’inspecteur du travail de prendre ses responsabilités, en "refusant l’autorisation sollicitée pour laisser au salarié la possibilité de quitter l’entreprise par la procédure de résiliation judiciaire de son contrat de travail, procédure qu’il avait d’ailleurs enclenchée par la saisine du conseil de prud’hommes" (Cour administrative d’appel de PARIS – 27 novembre 2012)


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