Chronique ouvrière
une interview de Karl Ghazi,
Secrétaire de l’US CGT du commerce et des services de Paris

Bas salaires et Précarité le commerce se rebiffe !

mercredi 13 février 2008

Chronique Ouvrière : La journée d’actions du ler février a vu les salariés de la grande distribution se mobiliser pour faire entendre des revendications concernant le pouvoir d’achat, le temps partiel et le travail du dimanche.
Nous te proposons de répondre à des questions qui ont pour préoccupation de savoir si les luttes menées par les travailleurs du commerce et des services s’articulent avec des actions menées sur le plan judiciaire et si l’action syndicale dans les entreprises de ces secteurs est souvent amenée à se consacrer à la défense de droits inscrits dans les textes mais non respectés par les employeurs.

Le pouvoir d’achat renvoie au salaire.
On distingue classiquement le salaire au temps et le salaire au rendement.

Dans les secteurs d’activités suivis par l’US du Commerce et des Services de Paris, les salariés sont-ils confrontés à des employeurs qui brandissent la carotte d’une rémunération « améliorée » par l’acceptation d’un nombre d’heures de travail dépassant la durée légale ou normale du travail, tout en cherchant à payer le moins possible ce dépassement ? Y a-t-il des systèmes de rémunération faisant substantiellement dépendre celle-ci de l’activité déployée par le salarié (salaire au rendement) ?

Comment cela est-il vécu par les salariés concernés ? As-tu connaissance de contentieux significatifs en matière de rémunération ?

Karl Ghazi : Nous sommes en présence d’un problème multiforme.

Il est fréquent de rencontrer des salariés dont les heures supplémentaires ne sont pas payées. C’est une pratique courante dans des enseignes connues de la distribution alimentaire.

Beaucoup de salariés à temps partiel courent après les heures complémentaires. Soit ils se heurtent au refus du patron de leur en proposer, soit l’employeur leur en donne « gracieusement », au coup par coup.

Il arrive également que le patron ne paye pas la totalité du temps de travail. C’est notamment le cas lorsqu’il ne veut pas rémunérer le temps de fermeture en caisse (qui correspond à une durée de 15 à 20 mn). Cette fort discutable pratique a conduit les salariés du Monoprix Saint Antoine à entrer en conflit et à mener une grève victorieuse. Des actions prud’homales ont également été engagées pour voir rémunérer ce temps de travail.

Dans les Grands Magasins existe le système de la guelte. Le salarié reçoit un fixe très bas (inférieur au SMIC). Le reste du salaire correspond à un pourcentage sur les ventes. Ce qui permet à l’employeur de faire pression sur l’intensité du travail et de gêner l’exercice des mandats représentatifs. Les délégués payés à la guelte se plaignent souvent du niveau de leur rémunération, qui est calculée sur une moyenne lissée ne tenant pas compte de la période des soldes (au cours de laquelle ont lieu le plus grand nombre de ventes).

Les deux formes de rémunération (salaire au temps et salaire au rendement) tendent à se rejoindre.

Pour compléter le fixe, nous assistons à une multiplication de primes de rendement, d’objectifs de marge, de présence. Par exemple, la POP à Monoprix : une absence de plus de six jours sur un trimestre entraîne la disparition de la prime. A la FNAC, a été mis en place un système d’objectifs individuels.

C’est lorsqu’il y a une présence syndicale dans l’entreprise que le refus du salaire au rendement se manifeste le plus souvent. Mais le refus syndical peut se trouver en contradiction avec la position de certains salariés. En effet, nous assistons la plupart du temps à un échec des NAO, ce qui se traduit par une absence d’augmentation des salaires. Les salariés comptent alors sur les différentes formes de salaire au rendement pour assurer un niveau de rémunération plus ou moins décent.

Beau coup de salariés sont insensibles à l’explication syndicale sur l’absence de cotisations sociales sur l’intéressement. Ils ont besoin d’argent tout de suite !
Mais la vie rattrape parfois le système patronal de rémunération ! Des conflits sociaux éclatent quand l’intéressement ne tombe pas. Il ne s’agit pas d’expliquer aux salariés mécontents que l’intéressement présente un caractère aléatoire : les salariés considèrent qu’ils ont des besoins qui n’ont que faire de la logique du patron…Et le conflit collectif trouve son issue dans l’attribution d’une prime de compensation.

Chronique Ouvrière : Jusqu’à présent, le code du travail présentait le temps partiel comme une forme de temps choisi. Avec la recodification qui va entrer en vigueur, ce postulat très discutable disparaît. Le temps partiel n’apparaît plus comme une variété de temps choisi. Toutefois, le journal Le Monde des 2 et 3 février cite le PDG de Système U qui assure que 60 % du temps partiel est choisi. Qu’en est-il ?

Karl Ghazi : Dans nos secteurs, 90 à 95 % du temps partiel est certainement contraint.

Mais la querelle de chiffres ne présente qu’un intérêt relatif. Comment vérifier la fiabilité des statistiques affichées de part et d’autre ?

Si le texte du code du travail permettant le passage du temps partiel au temps plein (article L.212-4-9) était correctement appliqué, nous verrions bien quelle serait la proportion de salariés désirant rester à temps partiel. Mais les employeurs essaient de « la jouer fine »… Monoprix, par exemple, prétend qu’il n’y a pas d’emploi à temps complet correspondant à la demande du salarié. Il y a bien 35 heures à pourvoir. Mais la direction du magasin s’arrange pour les horaires « disponibles » permettant d’accéder à un temps plein correspondent aux mêmes horaires que ceux déjà effectués par le salarié souhaitant sortir du temps partiel…

Chronique Ouvrière : Existe-t-il d’autres dispositions légales concernant le travail à temps partiel dont l’application suscite des difficultés ?

Karl Ghazi : Les employeurs affirment une volonté manifeste de ne pas appliquer les dispositions de l’article L.212-4-3 du code du travail qui prévoient que le salarié à temps partiel à droit à un réajustement du nombre d’heures garanti dans son contrat de travail, lorsque l’horaire moyen réellement effectué pendant une période de douze semaines consécutives ou pendant douze semaines au cours d’une période de quinze semaines a dépassé d’au moins deus heures par semaine le nombre initial d’heures prévu dans le contrat de travail.
Les patrons font effectuer des heures à tire-larigot mais contournent l’obligation de réactualiser le nombre d’heures contractuel en faisant signer des « avenants à durée déterminée » afin de ne pas toucher au nombre d’heures figurant dans le contrat initial.

Chronique Ouvrière : Comme c’était considéré comme du travail à temps choisi, le code du travail n’a pas prévu d’action syndicale en substitution pour les salariés à temps partiel. L’action en substitution aurait permis à l’organisation syndicale d’être l’animatrice du procès visant à obtenir la requalification du contrat à temps partiel « irrégulier » en contrat à temps complet.

Penses-tu que la nouvelle présentation du code du travail devrait être mise à profit pour que la CGT revendique que l’action syndicale en substitution soit inscrite dans les dispositions régissant le contrat à temps partiel ?

Karl Ghazi : Sans aucun doute.

L’action en substitution nous faciliterait beaucoup la tâche. Elle permet de sortir de l’affrontement individuel et de donner une dimension collective de nature à donner du courage aux salariés pour aller devant les tribunaux.

Chronique Ouvrière : Est précaire, d’après le Petit Robert (je ne parle pas de notre ami, membre du comité de rédaction de Chronique Ouvrière, Robert Pelletier, qui est un grand gaillard), ce qui « ne s’exerce que grâce à une autorisation révocable ». Sont donc touchés par une dimension de la précarité les salariés soumis à la pression de venir travailler le dimanche, dont le droit au repos et à la vie (privée ou publique) est ainsi mis entre parenthèses par le patron.

Peux-tu nous parler d’actions significatives menées contre le travail du dimanche ?

Karl Ghazi : Il y a eu le 1er février, qui a vu se mobiliser les salariés d’une partie du commerce contre le travail du dimanche. Ne manquent pas de saveur, à ce sujet, les propos du patronat qui a présenté cette dénonciation faite par les salariés concernés comme une menace contre une liberté…

Mais, d’une manière générale, nous avons du mal à mobiliser les salariés à cause de la majoration prévue pour le travail du dimanche.

Il s’agit pourtant d’une majoration « précaire ». Les dispositions de l’article L. 221-19 du code du travail précisent que la majoration de salaire est soumise à la condition du caractère« exceptionnel » du travail du dimanche. Et une interprétation littérale du texte a conduit les juges à considérer que le salarié qui travaille régulièrement le dimanche n’est pas fondé à réclamer la majoration pour tous les dimanches travaillés.

Les actions contre le travail du dimanche sont portées par les salariés les plus conscients du danger d’une remise en cause de leurs droits et libertés. Nous sommes ici confrontés à l’exigence d’une communication syndicale…dont la caisse de résonance est encore un peu limitée avec 2 à 3 % de syndiqués dans le commerce.

Chronique Ouvrière : En dehors du droit au repos et à « une vie familiale normale », connais-tu d’autres droits et libertés fondamentales mises en cause par les patrons du commerce et des services ? Pour garder un emploi leur permettant de vivre ou, le plus souvent, de survivre, les salariés ont-ils tendance à baisser la tête et à serrer les dents ou y a-t-il des libertés particulièrement sensibles qui entraînent une réaction immédiate lorsqu’elles sont menacées ?

Karl Ghazi : Une liberté toujours menacée : la liberté syndicale.

Nous sommes confrontés à une politique systématique de contestation de nos délégués syndicaux.

Par ailleurs, il n’y a pas de reconnaissance de la pénibilité du travail. Les caissières et les femmes de chambre effectuent des tâches, dont la pénibilité est constamment niée par les patrons. Les femmes de chambre, avec leurs problèmes de dos, n’arrivent pas à l’âge de la retraite. Certains des gestes répétitifs effectués par les caissières démolissent leur santé.

Les temps de repos et les plannings de travail initialement fixés ne sont pas respectés. Des appels systématiques sont faits pour que les caissières viennent jouer les « bouche-trous ». Elles n’ont pas le droit de manger à des heures convenables.

La liberté du choix de la tenue vestimentaire est souvent malmenée.

D’une manière générale, c’est l’absence de respect des personnes qui déclenche le conflit. Dans la plupart des cas, la présence syndicale facilite la réaction en permettant la riposte collective. Mais il peut y avoir des cas de révoltes individuels, plus rares… et pas nécessairement tous connus.


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