Chronique ouvrière

Il est manifeste qu’à l’usine du Mans, Renault a licencié pour fait de grève !
Il reste à obtenir du juge des référés une mesure de remise en état pour tous les licenciés !

mardi 27 novembre 2007 par Pascal MOUSSY, Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
Renault le Mans Départage le 16 Novembre 2007.pdf

Au début de l’année 2007, l’usine Renault du Mans restait le dernier établissement de toute la Société Renault dans lequel il n’existait pas d’accord de flexibilité permettant de fixer les jours de repos des salariés au gré de l’employeur. La Direction décidait d’effacer cette exception et proposait alors à la signature des syndicats un accord « relatif au développement de la souplesse et de la compétitivité de l’établissement du Mans ».

A 81,50 %, les salariés de l’usine du Mans, par leur vote, refusaient cet accord de flexibilité (soutenus par la CGT, qui était la seule organisation syndicale à ne pas vouloir donner sa signature) et un conflit collectif, touchant une part non négligeable des effectifs de l’établissement, devait survenir pour une durée de trois semaines.

Les 15 et 16 mars 2007, l’usine était en partie bloquée par un nombre important de grévistes déterminés à faire entendre leur refus du surcroît de flexibilité.

La Direction, s’appuyant sur les syndicats qui lui étaient restés fidèles, avait décidé de passer en force. Une petite armée de cadres était donc employée à disperser les manifestants postés sur la voie publique, aux abords des entrées. Portant une sorte d’uniforme, se protégeant par des boucliers et armés notamment de lances à incendie, ils adoptaient des attitudes provocatrices.

En retour, les grévistes lançaient quelques oeufs frais « en cloche » (les œufs étaient lancés en l’air pour ensuite faire de joyeuses éclaboussures à leur retombée), parfois des insultes et des quolibets à leurs chefs déguisés. Ils déplaçaient également des pierres pour barrer la route aux camions.

Une fois la grève finie, la Direction décidait de licencier cinq grévistes pour l’exemple.

Les lettres de licenciement, à l’exception de celle de l’un d’entre eux qui se voyait ajouter le reproche d’avoir agressé une personne précise, mentionnaient un grief identique : « avoir lancé à plusieurs reprises des projectiles, à savoir non seulement des œufs mais également des pierres, à tir tendu, sur vos collègues non grévistes (…) avec l’intention manifeste de faire mal, voire même de blesser ».

Dénonçant un « prétexte » s’appuyant sur des accusations infondées et tentant de dissimuler la volonté de la Direction d’intimider par la répression les candidats à une future grève, les cinq licenciés, se fondant sur les dispositions légales frappant de nullité le licenciement pour fait de grève (articles L.122-45 et L.521-1 du Code du Travail), saisissaient la formation de référé du Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt (lieu de siège social de l’entreprise) en vue d’obtenir leur réintégration.

Le résultat de cette saisine du juge des référés prud’homal devait être connu le 16 novembre avec le prononcé de l’ordonnance de départage faisant injonction à Renault de réintégrer deux des cinq licenciés.

La condamnation de l’employeur casseur de grévistes ne peut que susciter l’approbation. Mais, à victoire imparfaite, satisfaction partielle. Et le commentaire, s’il ne taira pas les qualités de l’ordonnance, ne manquera de soumettre ses défauts au feu de la critique.

La lecture de la décision du 16 novembre fait penser au juges des référés qui, saisis d’une demande de provision, assimilent la « provision » à une « fraction » en accordant seulement une partie de la somme demandée. Mais le juriste averti sait que la confusion est erronée. « Le mot « provision » ne doit pas être interprété comme permettant à la formation de référé de n’ordonner que le versement d’un acompte, d’une partie de la somme demandée. En réalité, le versement de la totalité de ce qui est incontestablement dû peut être ordonné. » (J. Buffet,
F. Cahen-Fouque, « Conseils de Prud’hommes, Formation de référé », Jurisclasseur Procédure civile, Fasc. 438, (13)).

Le juge des référés était ici saisi sur le fondement des dispositions de l’article R.516-31 du Code du Travail, qui lui donnent le pouvoir de prescrire une mesure de remise en état pour mettre fin à un trouble manifestement illicite (en l’espèce, le licenciement pour fait de grève).
Quand un seul salarié gréviste est concerné, il est difficile, si les juges sont sensibles au principe de l’intégrité physique, de fractionner la mesure réparatrice… Quand ils sont plusieurs, on peut plus facilement, en honneur à Salomon, « couper la poire en deux ».

Dans l’affaire des 5 de Renault Le Mans, non seulement, avec 2 sur 5, il n’y a pas eu vraiment équité, mais, également, le juge des référés a parfois pêché par manque de rigueur en n’appliquant pas systématiquement les principes qui auraient dû conduire à ce que soit ordonnée la poursuite des contrats de travail des cinq salariés licenciés pour fait de grève

I. Un rappel parfait des principes généraux qui doivent régir l’administration de la preuve de la faute lourde reprochée au gréviste licencié.

Il ne suffisait pas à la Société Renault d’invoquer une faute lourde à la charge de chacun des cinq licenciés pour faire admettre qu’elle n’avait pas voulu, par leur licenciement , faire payer aux cinq salariés concernés leur participation à la grève.

Il appartenait à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité des faits constitutifs de la faute lourde.

L’ordonnance prud’homale du 16 novembre procède à une énumération exhaustive -et on serait même tenté de dire que le rappel est ici fait avec virtuosité- des règles qui gouvernent l’administration de la preuve de la faute lourde énoncée dans la lettre de licenciement du salarié ayant participé à une grève.

Les juges soulignent qu’il est nécessaire d’examiner, pour chacun des requérants, les pièces versées par l’employeur et de rechercher si elles démontrent qu’il a personnellement commis les faits, constitutifs d’une faute lourde, énoncés dans sa lettre de licenciement.

Ils invitent à lire avec toute la circonspection nécessaire les procès-verbaux d’huissiers versés aux débats par l’employeur. « Les huissiers de justice peuvent être requis par un particulier ou commis par une juridiction afin d’effectuer des constatations purement matérielles mais leurs procès-verbaux, qui n’ont pas le caractère d’acte authentique, valent à titre de simples renseignements sur ce que l’huissier a personnellement observé ; tel n’est pas le cas de renseignements qui lui ont été communiqués par un tiers, a fortiori par le requérant ; spécifiquement les salariés de l’entreprise ne sont pas personnellement connus de l’huissier instrumentaire, qui a noté leur identité sous la dictée des membres de l’encadrement chargés par l’employeur de l’accueillir et de l’escorter ; ainsi en l’espèce la force probante attachée aux faits matériels décrits dans le procès-verbal, précédés de la formule « je constate », ne s’étend-elle pas au nom des protagonistes suivi de la mention « ainsi déclaré » ; leur désignation effectuée dans de telles conditions ne peut permettre, à défaut d’autres éléments d’identification, de leur imputer personnellement des actes illégaux motivant leur licenciement pour faute lourde par dérogation à la protection constitutionnellement reconnue du droit de grève ».

Les juges ont également tenu à attirer l’attention sur le fait que, si les attestations des salariés produites par l’employeur ne devaient pas être écartées systématiquement à cause du lien de subordination qui lie leur auteur à l’une des parties, leur force probante devait être appréciée en tenant compte de leur cohérence interne et avec les autres pièces du dossier, de leur caractère stéréotypé ou original et de la plus ou moins grande proximité hiérarchique de leur rédacteur avec l’instance qui a pris la décision de licenciement.

Les membres de la formation de référé ont enfin tenu à donner la portée qui leur revenait, c’est-à-dire pas grand-chose, aux attestations joyeusement faites par celui qui conduisait les entretiens préalables aux licenciements. « S’il n’est pas interdit à la personne physique qui a, dans le cadre de ses fonctions, représenté l’employeur au cours de la procédure de licenciement de fournir une attestation, voire d’être entendue à l’occasion d’une mesure d’instruction, le principe suivant lequel nul ne peut se constituer une preuve à soi-même impose, sans remettre en cause l’honorabilité de son auteur, de considérer une telle attestation avec les plus expresses réserves ; qu’il en est ainsi des deux attestations de M. Olivier GOURLAEN, corroborant les griefs qu’il a lui-même notifiés à M. CHATAIN et à M. COMPAIN après avoir signé leur convocation à l’entretien préalable ».

L’ordonnance prud’homale du 16novembre affirme ainsi son attachement à voir le juge se soumettre à l’obligation d’être particulièrement rigoureux dans l’appréciation des moyens de preuve qui lui sont soumis pour établir la participation individuelle d’un gréviste à des actes empreints d’une volonté de nuire caractérisant la faute lourde.

Il est dommage, pour les 3 qui sont restés à la porte de l’entreprise, que cette rigueur n’ait pas été constante lorsque le juge des référés prud’homal de Boulogne-Billancourt a procédé au traitement du cas de chacun des licenciés.

II. Au moment de l’application des principes, une rigueur inégale dans la vérification des faits reprochés à chacun des 5 licenciés.

La formation de référé a ordonné que deux des licenciés , Patrick Chatain et Yoann Rousseau, soient réintégrés à leur poste de travail, après avoir constaté que l’employeur ne rapportait pas la preuve des jets à tir tendu d’œufs et de pierres , qui leur étaient reprochés dans les lettres de licenciement.

Les juges ont étudié le cas de ces deux grévistes après avoir mis en application les principes ci-dessus rappelés et avoir examiné avec toute la circonspection voulue les attestations d’huissier et les attestations du personnel d’encadrement versées aux débats par l’employeur.
Leur travail de vérification a fait ressortir que la Société Renault était dans l’incapacité de fournir de sérieux éléments de preuve des faits allégués dans les lettres de licenciement.

Les pièces du dossier ont permis de tenir pour établi le fait que Patrick Chatain relevait de la main gauche le col de son pull-over sur le bas de son visage, le bras droit ballant. Ils en on déduit que l’intéressé se signalait par une « utilisation anormale de son col roulé » mais que cela n’était pas suffisant pour que lui soient raisonnablement imputés les jets de projectiles reprochés. D’autant plus qu’au moment chaud de l’action survenue le 15 mars à 16h 30, Patrick Chatain, attendait tranquillement sa fille à la sortie de l’école primaire de Teloche, située à une vingtaine de kilomètres du lieu des échauffourées.

Yoann Rousseau, comme un certain nombre des jeunes d’aujourd’hui (et d’hier), a un tort, celui de ne pas se tenir suffisamment droit. Mais cela ne suffit pas à justifier qu’il soit jeté hors de l’entreprise comme un malpropre !

Les juges n’ont pu que relever que les éléments de preuve fournis par l’employeur pour
convaincre de la culpabilité du jeune gréviste mis en cause étaient un peu légers. La lecture du procès-verbal d’huissier produit pour charger l’intéressé faisait apparaître que c’était sur déclaration de la Direction que l’huissier avait vu Yoann Rousseau lancer des pierres sur
l’encadrement. Les cadres accusant le jeune gréviste dans leurs attestations avaient reconnu dans le jeune homme cagoulé visible sur les photographies Yoann Rousseau, ce « jeune homme dégingandé, légèrement voûté, à l’attitude relâchée ». Mais, comme l’ont relevé les juges, ces « caractéristiques » sont « relativement répandues dans les jeunes générations » et ils n’ont pu que s’étonner de voir les auteurs des attestations reconnaître « sans hésitation », à « sa démarche nonchalante », le jeune Yoann lancer des projectiles à tir tendu avec « une extrême violence »…

Malheureusement, les juges n’ont pas été aussi rigoureux dans le traitement des pièces versées au dossier par l’employeur pour justifier le licenciement de Pascal Compain, Hervé Derenne et Jimmy Frimont.

Pascal Compain était accusé d’avoir lancé des projectiles à tir tendu et d’avoir agressé un membre de l’encadrement. La formation de référé a retenu à la charge du salarié mis en cause trois attestations (dont celle de l’agent de maitrise se plaignant de l’agression), tout en relevant qu’elles comportaient de « menues différences ». Seulement, les différences n’étaient pas si « menues » que ça et méritaient peut-être d’être qualifiées de « constatations contradictoires » .Et il est surprenant que les juges aient accordé du poids à des attestations parce qu’elles étaient conformes aux constatations de l’huissier… qui indiquait le nom de Pascal Compain précédé de la mention « ainsi déclaré ».

Hervé Derenne se voyait reprocher d’avoir les 15 et 16 mars, lancé sur le personnel d’encadrement, à tir tendu, non seulement des oeufs, mais aussi des betteraves crues. Les juges n’ont pu que constater qu’aucun fait précis n’était caractérisé à l’encontre d’Hervé Derenne pour le 16 mars. La Société Renault n’avait donc pas hésité à mentir pour charger le dossier. Mais elle s’est vue absoute pour la journée du 15 mars, les juges prenant en considération le caractère « précis » des faits attestés par 4 membres du personnel d’encadrement... Ils se sont également déclarés sensibles au fait que les attestations soient corroborées par les constatations de l’huissier. Or, ces « constatations » provenaient toujours d’un procès-verbal qui faisait précéder le nom du salarié mis en cause de la mention « ainsi déclaré ».

Jimmy Frimont, l’autre jeune membre du groupe des licenciés, faisait l’objet de l’accusation type, celle d’avoir lancé des œufs et des pierres à tir tendu, toujours sur les mêmes cadres. Les juges ont considéré comme établis les faits reprochés à l’intéressé, après avoir relevé qu’il avait été « formellement identifié par plusieurs salariés qui expliquent comment ils l’ont reconnu, malgré la précaution qu’il prenait de masquer son visage ». Ils se sont particulièrement attardés sur les deux attestations faites par un cadre, qui s’y était pris en deux temps. La première attestation était sommaire. La deuxième, faite à la veille de l’audience de départage, était « beaucoup plus circonstanciée ». Elle faisait apparaître que Jimmy Frimont faisait partie d’un groupe lançant des œufs et des pierres. Mais elle tenait aussi à relever
qu’ « il n’était pas possible de reconnaître formellement chaque personne du groupe », et elle poursuivait : « Mais je confirme que j’ai reconnu sans aucun doute possible Mr J FRIMONT »…

Ici encore, pour la troisième fois, le doute n’a pas profité au salarié mis en cause. Ce qui est d’autant plus contestable que les juges avaient à appliquer les règles régissant l’administration de la preuve de la faute lourde.

III. La provision accordée au titre de la réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif par des licenciements pour fait de grève : acompte ou aumône ?

La formation de référé n a pas démenti la Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, partie intervenante, qui faisait valoir que le licenciement de salariés grévistes en violation des règles légales cause en tant que tel aux intérêts collectifs de la profession un préjudice dont les syndicats professionnels sont en droit d’obtenir réparation.

Après avoir donné son assentiment au principe de la demande présentée par l’organisation syndicale, elle a, « compte tenu des circonstances de l’espèce », limité à un euro la provision sur dommages et intérêts allouée.

Il y a maintenant près de dix ans, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a considéré, à propos du non respect de la procédure de licenciement, que la réparation d’un préjudice n’est pas assurée par l’allocation d’un franc symbolique (voir Cass. Soc. 11 mars 1998, Bull. V,
n° 136).

D’après la table de conversion, un euro c’est mieux qu’un franc. Mais le compte n’y est quand même pas. Ce n’est pas parce que l’intervention syndicale soulève devant le juge une pure question de principe qu’elle doit se voir gratifier par une somme dérisoire.

Dans la première moitié du XXème siècle, à l’époque pionnière de la reconnaissance de l’intervention syndicale en justice, on criait victoire quand était obtenu le franc symbolique.

Mais, aujourd’hui, l’évolution est perceptible. Dans les années 2000, il est communément admis par le juge des référés invité à accorder une provision sur dommages-intérêts que le syndicat qui vient dénoncer le patron qui a licencié un gréviste peut raisonnablement prétendre à une somme comprise entre 500 (CA Paris, 12 avril 2005, Dr. Ouv. 2005, 490) et 5000 euros (CA Paris, 27 février 2003, Dr. Ouv. 2003, 298).

Certains reprochent à la CGT d’être archaïque et de ne pas vivre avec son temps.

L’organisation syndicale qui a accompagné les 5 de Renault Le Mans devant le juge des référés prud’homal aura certainement à cœur de les démentir en se joignant à l’appel des 3 laissés pour compte et en maintenant sa demande de 5000 euros.


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