Chronique ouvrière

Les droits du délégué syndical sont peut être mieux protégés par le code civil que par l’OIT

jeudi 7 avril 2016 par Alain HINOT
Cass. Soc. Le 6 avril 2016.pdf

Cet arrêt de cassation partielle du 06 avril 2016 (n° 14-23198 - publié au bulletin sur le 1er moyen), nous éclaire d’abord (2ème moyen rejeté), sur la portée pratique qu’entend donner la Chambre sociale aux dispositions de l’art. 07 de la convention OIT n° 158 qui prévoit "qu’un licenciement ne peut intervenir avant que le salarié ait eu la possibilité de se défendre contre les allégations formulées par son employeur"].

Ce texte, qui peut être invoqué directement devant un tribunal, permet de considérer que la lettre de convocation à l’entretien préalable à un éventuel licenciement, lequel a pour objet d’examiner contradictoirement les griefs reprochés par l’employeur, devrait indiquer avec une précision suffisante ces griefs afin de permettre au salarié de préparer utilement sa défense.

Ce n’est pas la position que retient la Cour régulatrice en ce début de printemps, clôturant provisoirement un débat emblématique qui parcourait les prétoires des juridictions du travail depuis une vingtaine de mois.

Les juges du quai de l’Horloge estiment ici : "que l’énonciation de l’objet de l’entretien dans la lettre de convocation adressée au salarié par un employeur qui veut procéder à son licenciement et la tenue d’un entretien préalable au cours duquel le salarié, qui a la faculté d’être assisté, peut se défendre contre les griefs formulés par son employeur, satisfont à l’exigence de loyauté et du respect des droits du salarié".

Néanmoins, on s’approche d’un vrai progrès en ce domaine car cette décision exprime très clairement l’idée qu’un entretien préalable respectueux des droits du salarié, doit d’une part, être régulier en la forme (notamment en ce qui concerne le droit du salarié à pouvoir être assisté), d’autre part, fonctionnel (au sens où le salarié doit d’abord prendre connaissance des griefs de l’employeur ou des raisons économiques ou personnelles du projet de licenciement) et enfin, loyal (au sens où le salarié doit pouvoir se défense effectivement, ce qui peut laisser supposer qu’il pourrait demander à prendre connaissance de certains éléments de preuve détenues par l’employeur et disposer du temps nécessaire pour les examiner et y répondre).

A défaut de réunir ces conditions, un entretien préalable à licenciement ne peut plus être considéré comme répondant aux exigences de l’art. 07 de la convention OIT n° 158.

Ainsi, ce qui renvoyait auparavant à de simples vices de procédure (comme, par exemples, l’absence d’indication de la faculté d’assistance sur la lettre de convocation ou un entretien qui se transforme en simple discussion de salon sans qu’aucun grief ne soit réellement articulé) et ce qui n’entraînait même aucune sanction (comme le fait de convoquer un salarié dès l’aurore au siège social d’une société à plusieurs centaines de kilomètres de son lieux d’affectation sans le provisionner des frais engendrés par le déplacement alors même que son dernier salaire vient d’être amputé de moitié par l’effet d’une mise à pied conservatoire en cours, de sorte que le salarié est placé dans l’impossibilité de se rendre à l’entretien), devraient dorénavant relevé logiquement de vices substantiels, propres à qualifier le licenciement subséquent de nul ou, à tout le moins, comme dépourvu d’une cause réelle et sérieuse.

L’autre apport important de cet arrêt (1er moyen publié au bulletin entraînant cassation partielle) est relatif à la problématique de la forme que doit revêtir l’expression d’une démission d’un mandat syndical.

Pour débouter un salarié de ses demandes au titre de la nullité de son licenciement pour non-respect de son statut protecteur de délégué syndical, la cour d’appel de Versailles avait jugé que la déclaration affichée dans l’entreprise par le délégué syndical par laquelle il affirmait sa décision « de ne pas avoir de mandat de n’importe quel syndicat que ce soit, au sein de la Société d’exploitation de l’hôtel du parc de Bougival », constituait une manifestation claire et non équivoque du salarié de mettre fin à sa fonction de délégué syndical.

La controverse portée devant la Cour de cassation par les mémoires respectifs des parties traitait alors des différentes façons, à dispositions d’un délégué syndical, lui permettant de mettre fin à son mandat tout en libérant l’employeur, à coup sur, de l’obligation de solliciter l’administration en cas de projet de licenciement.

Doit-il simplement en informer l’employeur, le personnel, le syndicat, ou bien, tout ce petit monde à la fois ?

Pour sa part le délégué syndical avait toujours soutenu la théorie du contrat de mandat et avancé, notamment, les dispositions des articles 2003 et 2007 du code civil qui prévoient que le mandataire (en l’espèce le délégué syndical) peut toujours renoncer à son mandat en notifiant sa décision au mandant (en l’espèce le syndicat), de sorte que la démission d’un mandat syndical adressée uniquement à l’employeur, ou a fortiori aux seuls salariés de l’entreprise (comme en l’espèce), n’emporte pas fin du mandat.

C’est ce raisonnement logique qu’adopte la Chambre social en posant l’attendu de principe suivant : "le délégué syndical peut renoncer à son mandat en informant l’organisation syndicale qui l’a désigné de sa renonciation".

Et de poursuivre :

"Qu’en statuant comme elle a fait, sans constater que le salarié avait informé l’organisation syndicale qui l’avait désigné de sa volonté de mettre fin de façon anticipée à son mandat de délégué syndical, ce dont il résultait que ce mandat n’avait pas pris fin et qu’il ne pouvait être licencié sans autorisation de l’inspecteur du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés".

Moralité : Il y a peut-être quelques fois autant à gagner en piochant dans le Code Napoléon de 1804, que dans une Convention international de 1982, tant il est vrai qu’il n’est jamais sage d’être trop en avance sur son temps.