De l’audience de mise en l’état en matière prud’homale
Depuis le 1er août 2016, les Conseils de Prud’hommes sont obligatoirement saisis par requête [1] .
En pratique, les parties demanderesses communiquent souvent quelques pièces et un argumentaire succinct, voire quelques lignes d’explications, sur le formulaire. Les parties défenderesses, quant à elles, ne communiquent quasiment jamais rien avant la tenue du bureau de conciliation et d’orientation (BCO).
A l’audience de conciliation, les conseillers fixent des diligences.
A ce jour, force est de constater que celles-ci sont toujours aussi peu respectées et les demandes de renvoi formulées en bureau de jugement (BJ) sont encore nombreuses.
Les défenseurs syndicaux peuvent témoigner que, dans un grand nombre de cas, les avocats des employeurs ne communiquent leurs pièces et écritures que tardivement, souvent moins d’une semaine avant l’audience de jugement.
Pourtant, le BCO dispose de véritables pouvoirs de mise en état [2]. Il peut organiser des audiences spécialement tenues à cette fin et imposer, ou non, la présence des parties [3] .
Cette disposition, issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 “ pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances ”, dite « Loi Macron » doit-elle être combattue par les conseillers prud’hommes militants ?
Pour répondre à cette question, il convient d’étudier les effets de sa mise en œuvre, d’une part sur les délais de traitement des dossiers, d’autre part sur l’exercice du mandat prud’homal.
I) La construction d’une démarche militante
Dans certains Conseils, par accord (tacite ?) entre appareils des syndicats ouvriers et patronaux, aucune modification aux règlements intérieurs n’a été apportée dans le but de contrer, en bloc, toute velléité d’application des nouveaux pouvoirs donnés aux BCO [4] .
Néanmoins, à titre individuel, des initiatives sont prises : renvoi à une audience de jugement ordinaire proche en cas d’absence du défendeur, ou sur demande des parties de renvoi à un bureau restreint …
Dans notre exemple [5] , au BCO du 2 mai 2017, pour chaque affaire, une date de bureau de jugement ainsi que des dates limites de communication de pièces avaient été données.
En sus, la formation avait également fixé une date d’audience de mise en état, avec comparution non obligatoire des parties.
Au bureau de conciliation du 29 novembre 21017, auquel avait été « accrochée » l’audience de mise en état, le Conseil eut la surprise de constater que plusieurs parties étaient comparantes. Tous les avocats présents, côté salariés comme employeurs, manifestèrent leur satisfaction de cette initiative. A cela, plusieurs raisons : un moyen de pression sur les clients indolents qui tardent à fournir à leurs avocats les éléments demandés et sur les avocats eux-mêmes qui concluent parfois au dernier moment, les problèmes étant réglés dès l’étape de l’audience de mise en état.
Des ordonnances de clôtures furent rendues, fixant celles-ci à une date proche des audiences au fond.
Naturellement, il fut indiqué aux parties, qu’en cas d’accord entre elles sur ce point, les conclusions ou pièces nouvelles pourraient être produites jusqu’au jour de l’audience, par respect de l’oralité de la procédure.
Mécaniquement, le nombre de demandes de renvoi soulevées devant les bureaux de jugement diminueront, ce qui entraînera une diminution des délais de traitement. Qui en profitera, sachant que les demandeurs sont en très grosse majorité des salariés ?
Au surplus, quel effet aura l’instauration de cette procédure sur l’image des Conseils de Prud’hommes ?
II) La valorisation du rôle du conseiller prud’homal
Les pouvoirs conférés au BCO permet de transformer ce qui ressemble trop souvent à une chambre d’enregistrement en véritable audience présidée par un juge actif qui influe sur le déroulé de la procédure, vérifie le respect des droits de la défense et assoit son autorité face à des avocats parfois condescendants.
La juridiction ne subit plus automatiquement la négligence des parties mais organise un cadre contraignant et sécurisant.
Ce rôle renforcé que remplit le juge est le meilleur argument contre l’échevinage [6] , dont le prétexte officiel est la prétendue mauvaise qualité de la justice rendue par les non professionnels ; étant observé par ailleurs que ce discours n’est guère tenu envers les juges des tribunaux de Commerce.
Rappelons que l’échevinage (système d’organisation judiciaire par lequel une juridiction de jugement est composée simultanément de magistrats professionnels et de juges non professionnels) [7] était préconisé par le rapport Marshall [8] pour les Conseils de Prud’hommes.
La loi Micron citée plus haut introduit franchit une première étape dans l’introduction de ce système. Elle permet désormais le renvoi d’une affaire par le BCO en BJ présidé par le juge départiteur [9] , si les parties le demandent ou la nature du litige le justifie, ou bien en cas de désaccord entre le conseiller du collège salariés et celui du collège employeurs, sur une demande d’ordonnance, par exemple.
Il est à craindre que la démarche ne se poursuive. Les magistrats non professionnels coûtent certes moins chers que les autres, mais le nombre d’affaires nouvelles dans les Conseils a considérablement baissé depuis la création de la rupture conventionnelle, l’obligation de saisine par requête et la loi EL KHOMRI [10]. Les ordonnances Micron [11] ne vont qu’aggraver le phénomène.
Ne pas tenir d’audience de mise en état profite, à court terme, aux employeurs, l’échéance de leur éventuelle condamnation étant repoussée. A moyen terme, le gouvernement saura tirer profit de l’incapacité des syndicalistes à assumer leur rôle de juge pour légitimer la professionnalisation de la prud’homie.
Et les travailleurs auront perdu un magnifique conquis social.
Alors, n’est-il pas temps pour les conseillers prud’homaux militants de s’approprier une arme juridique favorable aux salariés et bénéfique à l’institution ?
[1] Article R1452-1 du code du travail
[2] Article R.1454-4 du code du travail
[3] Article R.1454-1 du code du travail
[4] http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article945, “Faut-il jeter aux orties la loi Micron ? ”
[5] Voir pièce jointe
[6] Réflexion inspirée par un propos de Pascal Rennes, à l’occasion d’une formation « journée de droit social » à l’ISST de Bourg-la-Reine, courant 2016
[7] Site de la CGT : « Prud’hommes : des bougés et des avancées à conquérir »
[8] Rapport du groupe de travail présidé par Didier MARSHALL, premier président de la cour d’appel de Montpellier, sur les juridictions du XXIe siècle, remis à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, en décembre 2013
[9] Articles LL1454-1-1 et L1454-2 du code du travail
[10] LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
[11] Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail