Chronique ouvrière

Haro sur la motivation ! (Lorsque le nouveau contentieux administratif du PSE déclenche les passions)

dimanche 15 juin 2014 par Pascal MOUSSY

La presse spécialisée a remarqué un jugement du 22 avril 2014 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a annulé pour insuffisance de motivation une décision d’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (voir Liaisons sociales quotidien n° 16589 du 13 mai 2014, jurisprudence hebdo).

Dans ses conclusions, le rapporteur public avait relevé que l’insuffisance de motivation qui entachait la décision de la DIRECCCTE allait « à l’encontre de l’esprit de la loi nouvelle, s’agissant d’un aspect substantiel du contrôle opéré à l’égard du document unilatéral de l’employeur » (« L’étendue de la motivation de l’homologation du PSE par la DIRECCTE », conclusions d’Isabelle Servé, Rapporteur public, Semaine sociale Lamy n° 1631 du 19 mai 2014, 7).

Ce rappel du caractère essentiel de l’obligation de motiver n’est pas vraiment nouveau et se rattache à des principes fondamentaux.

« L’obligation en cause est importante. La motivation est propre en effet à satisfaire à trois exigences : - celle de la démocratie, car il est conforme à ses principes que les administrateurs rendent compte aux administrés des raisons pour lesquelles ils se sont déterminés ; - celle d’une bonne administration car l’obligation de motiver contraint les autorités administratives à examiner attentivement le bien-fondé des décisions qu’elles projettent et est ainsi susceptible de prévenir des décisions insuffisamment étudiées ou difficiles à justifier ; - celle enfin d’un bon contrôle de l’administration : la connaissance des motifs des décisions permet aux intéressés de mieux apprécier s’il y a pour eux matière à réclamation ou à recours, tandis que le travail du juge, s’il est saisi, est facilité » (R. CHAPUS, Droit administratif général, tome 1, 15e éd., 1131).

C’est donc avec quelque surprise que nous avons lu dans les Cahiers sociaux le commentaire chagrin du jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a été écrit par Grégoire LOISEAU, Professeur à l’école de droit à la Sorbonne.

I. L’employeur interdit de contestation du refus qui lui fait grief ? (Ce n’est pas encore la dictature du prolérariat)

Grégoire LOISEAU reproche au jugement d’avoir fait preuve d’une « compréhension tatillonne de l’exigence de motivation » (G. LOISEAU, « De l’esprit des lois », Les Cahiers sociaux, n° 263, mai 2014, 293).

Les fondements de la critique se révèlent étonnants.

Grégoire LOISEAU pose le postulat que l’obligation de motivation concerne avant tout la décision de refus d’homologation… parce que celle-ci n’est pas susceptible de recours.

« Bien que la loi ne fasse pas de différence selon que l’homologation est accordée ou refusée, c’est dans ce dernier cas que la décision doit être tout particulièrement motivée. Le refus d’homologation, ou de validation, n’étant pas susceptible de recours, l’employeur est contraint de reprendre son projet en y apportant les modifications nécessaires et présenter une nouvelle demande après avoir consulté le comité d’entreprise. Il est donc impératif qu’il sache exactement sur quels points procéder aux changements ou aux aménagements nécessaires, pour se conformer aux directives légales : cette connaissance résulte à titre principal de la motivation de la décision de l’administration dont on peut légitimement attendre qu’elle identifie les insuffisances du projet à l’origine du refus d’homologation » (G. LOISEAU, art. préc., 293).

Il est vrai que l’article L. 1233-57-7 du Code du travail donne la possibilité à l’employeur qui s’est fait retoquer de présenter à l’autorité administrative une nouvelle version de son plan de sauvegarde de l’emploi. « En cas de décision de refus de validation ou d’homologation, l’employeur, s’il souhaite reprendre son projet, présente une nouvelle demande après y avoir apporté les modifications nécessaires et consulté le comité d’entreprise ».

Nous souscrivons bien volontiers à l’idée qu’il est bénéfique pour l’employeur de voir l’administration appliquer à la lettre le texte de l’article L. 1123-57-4 du Code du travail qui indique que « la décision prise par l’autorité administrative est motivée ». Une lecture attentive de la motivation de la décision de refus devrait permettre à l’employeur de procéder à une nouvelle rédaction permettant de rendre le plan de sauvegarde de l’emploi présentable au regard des exigences légales.

Mais c’est seulement dans l’esprit de Grégoire LOISEAU qu’a été posée la règle interdisant à l’employeur de former un recours contre une décision de refus d’homologation ou de validation.

La possibilité de présenter une nouvelle demande auprès de la DIRECCTE n’interdit pas à l’employeur de contester la décision de refus qui lui a été opposée, s’il considère que le plan de sauvegarde de l’emploi présenté initialement était conforme aux prescriptions légales.

La décision de refus fait incontestablement grief à l’employeur. Elle donne les clefs du succès aux salariés qui contesteraient judiciairement des ruptures du contrat de travail qui interviendraient dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi n’ayant pas été homologué ou validé.

Il ne saurait dès lors être interdit à l’employeur de déférer la décision de refus au juge de l’excès de pouvoir.

Grégoire LOISEAU le relève lui-même. « L’instruction DGEFT/DGT n° 2013/13 du 19 juillet 2013 relative à la mise en œuvre de la procédure de licenciement économique collectif donne d’ailleurs pour consigne que la décision de refus soit dument motivée et qu’elle mentionne les délais et voies de recours (fiche 3) » (G. LOISEAU, art. préc., 293).

Il parait difficile de déduire de cet impératif de la mention des délais et voies de recours au moment de la notification de la décision de refus que l’employeur serait privé de la faculté de contester ladite décision.

Ce n’est donc pas le prétendu déséquilibre instauré au détriment de l’employeur qui serait de nature à justifier une tolérance du juge de l’excès de pouvoir envers une décision d’homologation ou de validation insuffisamment motivée.

II. La loi d’un silence total n’est pas acceptable.

Il résulte du troisième alinéa de l’article L. 1233-57-4 du Code du travail que « le silence gardé par l’autorité administrative pendant les délais prévus au premier alinéa vaut décision d’acceptation de validation ou d’homologation ».

Cette possibilité d’intervention d’une décision d’homologation ou de validation implicite, donc non motivée, donne à Grégoire LOISEAU un argument qui lui paraît déterminant pour que soit acceptée une motivation laxiste. « Par hypothèse, une telle décision d’homologation par défaut n’est pas motivée. Faut-il dès lors traiter plus sévèrement les décisions d’homologation rendues par l’administration, exposées à une nullité pour cause d’insuffisance de motifs, que celles valant acceptation de l’homologation faute pour la Direccte de s’être prononcée dans les temps ? Il serait tout de même curieux que, par une compréhension tatillonne de l’exigence de motivation, il serait toléré de ne rien dire mais condamnable d’en dire insuffisamment » (G. LOISEAU, art. préc., 293).

Mais il est loin d’être acquis que l’exigence de motivation n’ait plus de sens dès lors qu’est admise l’éventualité d’une décision implicite.

Les interrogations soulevées par la coexistence d’une obligation de motiver et la naissance d’une décision implicite ne sont pas vraiment nouvelles. « Une décision implicite ne saurait évidemment être motivée. Que doit-il en résulter quand elle est intervenue dans une hypothèse où une décision explicite aurait dû être motivée ? » (R. CHAPUS, op. cit., 1131).

En ce qui concerne les décisions implicites de rejet, la réponse est donnée par l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979. « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».

Il en ressort que le principe de motivation n’est pas entièrement absorbé par l’intervention d’une décision implicite de rejet.

S’agissant des décisions implicites d’acceptation, leur relation avec l’obligation de motivation n’est pas envisagée par la loi.

Invité à apprécier la légalité d’une décision implicite d’acceptation intervenue à la place d’une décision explicite qui aurait dû être motivée, le Conseil d’Etat a considéré qu’une telle décision est légale en raison du fait que, par sa nature même, elle ne saurait être motivée (voir CE 20 juin 1978, Lenert, n° 00661, Rec. 284, AJDA 1978, 450 ; CE 16 novembre 1984, Dieudonné, n° 39565, Rec. 372).

Il a été souligné que cette prise de position n’était « pas à l’abri de toutes critiques (…) dans la mesure où l’administration a désormais la faculté, lorsqu’elle décide d’accorder l’autorisation demandée, de se soustraire légalement à l’obligation de motiver » (O. DUTHEILLET DE LAMOTHE, Y. ROBINEAU, chron., AJDA 1978, 443).

L’acceptation implicite d’une demande n’est pas un acte anodin. « Il reste que l’acceptation implicite d’une demande a plus de conséquence que son rejet. Il peut en résulter des risques, par exemple, pour l’intérêt général, ou l’ordre public, ou pour les libertés individuelles » (R. CHAPUS, op. cit., 508).

On comprend dès lors qu’au cours de la discussion qui a précédé l’intervention de l’arrêt Lenert du 20 juin 1978 (préc.), le commissaire du gouvernement ait proposé que toute personne ayant qualité pour la contester puisse demander à l’administration, avant l’expiration du délai de recours, le lui indiquer les motifs d’une décision implicite d’acceptation (voir O. DUTHEILLET DE LAMOTHE, Y. ROBINEAU, chron. préc., 443).

Il a été relevé que « si cette solution ingénieuse n’a pas emporté la conviction de la Section du contentieux, c’est sans doute en raison de son caractère par trop prétorien » et que « le moment était peu favorable à l’élaboration par la Section du contentieux d’une jurisprudence prétorienne sur la motivation des autorisations implicites » (O. DUTHEILLET DE LAMOTHE, Y. ROBINEAU, chron. préc., 443 et s.).

Le mécanisme d’acceptation implicite mis en place par les nouvelles dispositions de l’article L. 1233-57-4 du Code du travail peut donner l’occasion de rouvrir le débat sous des auspices plus favorables.

Il ne saurait être sérieusement contesté qu’une décision implicite d’homologation ou de validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi présente des risques importants pour les salariés dont le licenciement est programmé par le plan de « sauvegarde ».

Il semble pour le moins légitime que les salariés concernés ou les organisations syndicales ayant vocation à défendre leurs intérêts puissent, dans le délai du recours contentieux, demander à l’administration les motifs ayant présidé à la décision d’acceptation.

Un silence persistant serait de nature à permettre la saisine du juge des référés du Tribunal administratif sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative.

Il résulte en effet des dispositions de cet article qu’ « en cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».

Le caractère implicite de la décision d’acceptation ne permet pas aux salariés ou aux syndicats intéressés d’avoir une opinion sur la légalité des motifs qui ont conduit à l’homologation ou à la validation du plan de sauvegarde de l’emploi.

Le délai de recours contentieux étant de deux mois, il y a sans nul doute urgence à obtenir l’information permettant de savoir s’il y a matière à discuter la légalité de la décision prise par la DIRECCTE.

Ce qui justifierait pleinement la démarche qui s’inspirerait du référé probatoire prévu par l’article 145 du Code de procédure civile et qui consisterait à demander au juge administratif des référés qu’il ordonne à la DIRECCTE de communiquer aux intéressés, en temps utile, les motifs de sa décision d’homologation ou de validation.


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