Chronique ouvrière

La Cour d’appel de Douai prône la discrimination syndicale "hard" à Toyota Onnaing

mardi 22 mars 2022 par Pascal MOUSSY
CA Douai 28 janvier 2022.pdf

Dans son livre paru en 1973 Toyota. L’usine du désespoir, Satoshi Kamata nous livre son témoignage sur la vie dans une usine d’un patron insatiable qui prône à ses ouvriers la religion de l’augmentation perpétuelle de la production.

Fin 2017, la direction de l’établissement d’Onnaing a sacrifié à cette tradition d’exploitation intensive en imposant aux ouvriers des Presses de venir travailler le 1er novembre, pourtant répertorié dans le calendrier comme jour férié.

Il n’est guère étonnant qu’un délégué syndical CGT soit venu apporter son soutien aux salariés qui protestaient contre ce jour supplémentaire de travail particulièrement mal placé.

Il n’y a également rien de surprenant que sa préoccupation de défense des conditions de vie et de travail des salariés ait contrarié la communication du « manager » qui tentait de convaincre les salariés de l’atelier des Presses des vertus du travail pendant un jour férié.

L’échange de propos conflictuels entre le « manager » et le délégué syndical CGT a valu au représentant des intérêts des salariés un avertissement au motif qu’il aurait tenu « des propos irrespectueux de nature à jeter le discrédit sur le manager vis-à-vis de son équipe ».

Le procédé est classique. C’est loin d’être la première fois qu’un patron voulant imposer la loi du silence tente de disqualifier la parole de ceux qui invitent les travailleurs au refus de la dégradation de leurs conditions de vie et de travail en leur attribuant faussement, au soutien d’une sanction ou d’un licenciement, des propos injurieux, violents ou incorrects.

Après avoir examiné les différents témoignages versés aux débats, la Cour d’appel de Douai a relevé qu’il n’était pas établi que le délégué syndical avait tenu les propos incriminés. « Le doute devant profiter au salarié il ne ressort pas de ces éléments avec une évidence suffisante que Monsieur PECQUEUR ait tenu les propos « menteur » et « Monsieur le manager a ouvert son dictionnaire à la lettre D. ce matin » mentionnés dans lettre d’avertissement ».

Ce seul constat de l’absence de réalité du grief tiré de « propos irrespectueux de nature à jeter le discrédit sur le manager vis-à-vis de son équipe » qui avait été invoqué par l’employeur pour justifier la mesure disciplinaire aurait dû conduire les juges à prononcer l’annulation de la sanction.

Mais la Cour d’appel a poussé le bouchon un peu loin pour ne pas avoir à déjuger le patron qui avait mis en avant un faux prétexte pour intenter l’action disciplinaire visant à mettre au pas le délégué syndical portant la revendication du refus de travailler un jour férié.

Il résulte des dispositions de l’article L. 1332-2 du Code du travail que c’est une sanction motivée qui doit être notifiée au salarié. On retrouve ici la même exigence de motivation qui préside à la rédaction de la lettre de licenciement (article L. 1232-6 du Code du travail).

Il est acquis, depuis le début des années 1990, que les motifs inscrits dans la lettre de licenciement fixent les limites du litige et qu’en conséquence, le juge n’a pas à se prononcer sur des griefs apparus au cours de l’instance mais non mentionnés dans la lettre de licenciement (voir, à ce sujet, Cass. Soc. 19 juin 1991, n° 89-40.843 ; Bull. V, n° 310).

L’on voit mal quelle raison légitime autoriserait le juge, dans le cas d’une sanction autre que le licenciement, à offrir un repêchage à l’employeur en examinant le bien-fondé d’un reproche non visé dans la lettre notifiant la sanction.

Dans la présente espèce, les juges de la Cour d’appel de Douai avaient vraiment les yeux de Chimène pour la direction de TOYOTA Onnaing. Ils se sont révélés totalement acquis à la tentative d’étouffer la parole contraire portée par le délégué syndical CGT.

Après avoir rappelé que les témoignages qui leur avaient été soumis ne permettaient pas de tenir pour établis les « propos irrespectueux » dont se prévalait la lettre d’avertissement, ils ont retenu de « ces témoignages concordants, non utilement discutés, que M. PECQUEUR a incité les membres de l’équipe Presse à ne pas venir travailler le 1er novembre ».

Les juges en ont déduit que le comportement du délégué syndical s’analysait « en une incitation du personnel à la désobéissance » et ne relevait « ni de la protection statutaire ni de l’exercice normal de liberté d’expression dont jouissent les représentants du personnel dans l’entreprise ».

Il semblait aujourd’hui acquis que la fonction de délégué syndical consiste à présenter les revendications et réclamations des adhérents du syndicat ainsi que celles de l’ensemble des salariés. « Les délégués syndicaux sont habilités à présenter aux travailleurs aussi bien les « revendications » qui contiennent la prétention à un changement du régime de travail (augmentation de salaire, réduction du temps de travail ou des cadences, etc.) que les « réclamations » proprement dites, orientées vers une meilleure application du régime existant » (J-M. VERDIER, syndicats et droit syndical, volume II, Le droit syndical dans l’entreprise, deuxième édition, Dalloz, 1984, 290).

Cela semble donc relever de l’évidence qu’un délégué syndical est dans l’exercice normal de son mandat lorsqu’il invite les salariés à manifester leur détermination à défendre leurs conditions de vie et de travail en refusant fermement qu’il leur soit imposé de venir travailler un jour férié.

Les juges qui sont à l’origine de l’arrêt rendu le 28 janvier 2022 par la Cour d’appel de Douai n’ont pas admis la dimension revendicative de l’activité syndicale en affirmant que l’avertissement infligé à Eric PECQUEUR méritait d’être sanctionné parce que constitutif d’une « incitation à la désobéissance ». Ils ont également considéré, en condamnant le contestataire à verser à son employeur la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700, qu’il n’était pas question de s’en tenir à une punition symbolique et qu’il fallait frapper au porte-monnaie l’opposant résolu au travail du jour férié.

L’arrêt du 28 janvier 2022 invite les employeurs combatifs à se livrer ouvertement à des actes de discrimination syndicale.

Il résulte des dispositions de l’article 1132-1 du Code du travail qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de ses activités syndicales.

Il est communément admis que des sanctions infligées à des salariés exerçant un mandat syndical relèvent de la discrimination syndicale (voir « Les discriminations au travail », Liaisons sociales. Les Thématiques, n° 96, février 2022, 23).

Il ressort des motifs de l’arrêt rendu le 28 janvier 2022 par la Cour d’appel de Douai que l’employeur qui entend réprimer une activité syndicale n’a pas à perdre de temps en concoctant un prétexte lorsqu’il rédige la lettre de sanction. Il se voit désormais autorisé à annoncer haut et fort que celui qui se risque à inviter les salariés à défendre leurs conditions de vie et de travail rentre dans le champ de l’action disciplinaire.


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