A l’approche des élections du 3 décembre, une table ronde avec six conseillers prud’hommes CGT
Présentation des participants à la table ronde
Lionel DIDOT :
Je suis à la retraite depuis le 30 septembre 2008 de la mutualité agricole de l’île de France.
Je suis au conseil de CRETEIL dans le Val de Marne,à la section agriculture.
Il y a 150 conseillers.
Christian HENRI : je suis agent de banque au Crédit du Nord de Vire (Calvados) depuis 35 ans, conseiller prud’homme, président de section et référiste depuis 1979 (réforme Boulin), formateur national de conseillers prud’hommes pour la CGT de 1991 à 2006. Je siège depuis 2002 au Conseil de Caen (conseil moyen de 84 conseillers (42 & 42)) et lors des prochaines élections du 3 décembre 2008 je suis présenté dans la Section Encadrement.
Didier MALINOSKY :
je suis technicien en logistique dans la société Nexter Systèms et je suis conseiller prud’hommes au conseil de Versailles section industrie et référiste.
Le Conseil de Versailles a, jusqu’aux prochaines élections, 98 conseillers. Dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, le nombre de conseillers, malgré l’opposition ou la réserve de l’ensemble du conseil, a été porté à 112.
Guy MAURHOFER :
Je travaille à EDF, je siège au conseil de Thionville en Moselle (29 membres salariés) je siège depuis 2002, en section industrie et depuis un an en référé.
Claudette MONTOYA :
je siège au conseil de MARTIGUES dans le 13 – 68 conseillers.
Édouard MOUGENOT :
j’ai 50 ans et je travaille dans l’entreprise Carlson Wagonlit Travel qui est la première entreprise mondiale de voyages d’affaires où je suis ingénieur informatique et chef de projet.
Je suis Conseiller Prud’homme CGT en section Encadrement au Conseil de Paris, où je suis Président dans la 4ème Chambre.
Nous sommes 18 Conseillers CGT en Section Encadrement dans ce Conseil.
Chronique Ouvrière : Le conseil de prud’hommes est un tribunal. Ce tribunal présente-t-il la particularité d’être particulièrement proche des justiciables ou est-ce une « machine à juger » des affaires ?
Lionel DIDOT : Ça fait de nombreuses années que je connais ce conseil. Quand je l’ai connu, il me semble que les copains qui m’ont formé et créé ce conseil étaient beaucoup plus proche des justiciables.
Aujourd’hui il me semble que nous faisons plus attention à la jurisprudence de la Cour de cassation et des magistrats professionnels.
Peut être une dérive logique ou inéluctable de la fascination du pouvoir de juger, dominer ou d’être reconnu dans la vie sociale.
La question que je me pose est le pouvoir en place et ce peu importe lequel a-t-il intérêt à contrôler sa justice sociale ?
Pour quelle raison ?
Pour connaître le vrai rapport de force du syndicalisme ?
Pour mesurer son degré de formation syndicale où politique ?
Peut être organiser la contestation pour mieux la contrôler ?
Christian HENRI : J’ai la chance de pouvoir donner deux réponses. De 1979 à 2002, j’ai siégé dans un tout petit conseil, Vire (14) qui vient d’être supprimé (merci madame DATI !) puis en 2002 mon organisation syndicale m’a présenté pour siéger à CAEN. Entre ces deux conseils, c’est le jour et la nuit. A Vire, oui l’on pouvait dire que le cph était proche du justiciable : nous n’avions que très peu de dossiers par an (100/150) et le cph était situé dans un bassin d’emploi à densité humaine. A Caen nous avons une audience de 15/25 dossiers et le temps joue contre le conseiller. La pression est partout : les conseillers employeurs qui sont pressés de finir l’audience ; la Cour qui veut récupérer la salle d’audience l’après-midi ; les avocats qui ne veulent pas revenir l’après-midi, tout ceci concourt à être plus laxiste sur les demandes de report d’audience, à « minuter » le temps de parole et il est très rare qu’un salarié puisse s’exprimer sur son affaire. Je prend le temps de le faire, mes camarades de la CGT présidents d’audience aussi, mais nous sommes que peu et évidemment les conseillers élus sur les listes CGT sont montrés du doigt…. Mais qu’importe.
Didier MALINOSKY : Le bilan que je porte, sur ce sujet, sur les onze années de mandat est contrasté et il ya deux niveaux de réponse.
Si les acteurs du processus judiciaire dans les conseils (greffe, avocats défenseurs syndicaux et conseillers) gardent, en général, la conception d’une juridiction de proximité, il ya cependant certaines formes de dérives touchant surtout à une augmentation des exceptions de procédure de plus en plus « professionnelles ».
Les salariés, même lorsqu’ils sont assistés, ne comprennent pas que leur cas ne soit pas entendu et soit renvoyé à plusieurs mois ou à un an.
Certes il existe une responsabilité d’information de leurs défenseurs (syndicaux et avocats) mais les conseillers prud’homaux doivent prendre en compte ce phénomène. La proximité c’est aussi le délai raisonnable pour entendre les parties et prendre une décision.
Le deuxième niveau est lié aux deux réformes qui ont touché la juridiction : la réforme de la carte judiciaire et les nouveaux textes sur l’indemnisation des conseillers.
Il serait trop long de développer ici mais ces dispositions ont bien comme conséquence un éloignement de la juridiction de la proximité de travail. La volonté est comme même de « professionnaliser » les conseillers en réservant à quelques uns la rédaction des décisions les autres conseillers étant « observateurs » le jour de l’audience et « acteurs » que lors du délibéré.
Cependant, les questions de formes des audiences sont importantes.
Comment ne pas éloigner les justiciables lors qu’elles commencent avec des retards importants et que pour rattraper le retard on expédie l’audience ? Ou qu’à l’inverse certaines affaires sont renvoyées, en fin d’audience, à une autre date car le temps a manqué pour les entendre.
Guy MAURHOFER : Le conseil de Thionville reste un conseil de proximité. Le volume des affaires est de l’ordre de 400 dossiers à l’année.
Proche des salariés pour autant, ce n’est pas toujours le cas. Les salariés n’ont pas suffisamment la parole. En conciliation c’est plus facile qu’en bureau de jugement et encore. Le plus intéressant en terme de proximité c’est incontestablement pour moi le référé. C’est l’ audience qui réserve le plus de surprise et c’est la plus riche en rebondissement.
En bureau de conciliation ou en bureau de jugement les choses sont de plus en plus orchestrées et les salariés souvent absents.
Par principe, chaque fois que le salarié est présent, je le fais venir à la barre pour s’expliquer mais dès que les salariés ne sont pas partie prenante totalement de leur dossier, par représentation, ou confraternité d’avocats, le débat n’est plus le même, il devient vite déconnecté de la réalité.
Un bon souvenir qui me reste de la proximité des situations de travail c’est quand j’ai pu interroger en BJ des salariés d’une société sous-traitante qui intervenaient sur la centrale à laquelle je travaille et qui avaient été sanctionnés pour être partis soi-disant avant l’heure de leur fin de poste.
L’employeur représenté par son avocat, après avoir enfumé copieusement le conseil sur l’importance d’un abandon de poste dans une centrale nucléaire (demain Cattenombyl ?) avait du déposer les armes quand les pointages produits et présentés à charge comme des pointages de badge de sorties d’usine se révélaient être simplement des pointages de l’infirmerie qui reste elle, toujours
située à l’intérieur du site. En effet, un contrôle médical est exercé au départ des salariés pour mesurer la radioactivité prise avant de quitter la centrale mais ils ne sortent pas toujours pour autant immédiatement du site. Une fois cette particularité expliquée, l’argumentation patronale ne tenait plus.
Pour cela il a fallu passer par des étapes de questions réponses successives pour bien situer les faits. Cette configuration géographique bien évidemment était inconnue de l’avocat de l’employeur qui était déstabilisé, sa plaidoirie était entièrement basée sur le droit et sur la réalité de la faute qui semblait acquise.
Seule la présence des salariés et leur participation active en réponse à l’intervention des conseillers salariés avaient permis de mettre ce point en lumière (quand on vous dit que EDF vous doit plus que la lumière...)
De mon point de vue, la proximité c’est aussi la rencontre des personnes impliquées (tout sachant) par le biais d’une mission de conseillers rapporteurs.
Quoi de plus souple et proche dans son fonctionnement qu’un déplacement sur place afin de recueillir directement les informations, les pièces manquantes à la compréhension d’une affaire chaque fois que l’employeur est situé à proximité du conseil. Les seuls obstacles étant la frontière luxembourgeoise où de nombreux employeurs sont maintenant installés.
Claudette MONTOYA : Il est le lieu qui reste accessible à tous (mais pour combien de temps encore !!) – l’esprit historique étant le lieu de règlement de conflit entre patron et salarié (il est loin cet esprit) à proximité du domicile ou du lieu de travail.
Egalement, ce n’était pas une « machine à juger » mais un lieu à rétablir l’équilibre.
Malheureusement, cela ne paraît plus être le cas.
Édouard MOUGENOT : C’est indéniablement un Tribunal particulier, dans la mesure où les magistrats qui y siègent sont élus et non des juges professionnels.
C’est un Tribunal qui se devrait d’être particulièrement proche des justiciables qui sont dans l’immense majorité des cas des salariés qui ont votés pour élire ceux qui vont les juger.
Je dis « devrait » car dans les faits les CPH sont des lieux de bataille de pouvoirs politiques plus que de justice, entre le Patronat d’un coté et les Salariés de l’autre par l’intermédiaire des Organisations Syndicales.
Ceci est particulièrement vrai à Paris qui est le CPH le plus important de France (864 conseillés) et de nouveau plus particulièrement dans la section Encadrement qui est clairement la « chasse gardée » du MEDEF qui y envoi tout ses « super-DRH » quand ce ne sont pas directement des membres importants du MEDEF eux-mêmes qui y siègent en tant qu’Employeur.
Au regard de cette situation, et en fonction de la composition des conseillers lors des audiences, oui c’est souvent « une machine à juger », et particulièrement en Bureau de Conciliation.
En Bureau de Jugement, les discussions entre les conseillers Employeurs et Salariés se font plus sur des fondements juridiques souvent imparfaits, qui majoritairement ne remplissent pas l’intégralité des droits des demandeurs.
Chronique Ouvrière : Qu’est-ce que signifie exercer la fonction de juge pour un militant syndical ?
Lionel DIDOT : Même si la fonction conseiller est de rendre des sanctions au sens étymologique et je pense qu’il faut le faire, nous le faisons bien avec nos enfants et puis dans une société il faut des règles certes négociées mais appliquées.
A mon avis, la fonction la plus importante, c’est de rétablir des valeurs de dignité d’hommes des salariés dans un pan de leur vie, celui de l’entreprise.
Christian HENRI : Exercer la fonction de juge prud’homal, c’est assumer un mandat exactement de la même manière que le mandat DP ou CE, avec la connaissance plus pointue du droit du travail et du maniement des textes, sans oublier le code de procédure, ni plus, ni moins.
Didier MALINOSKY : Ces termes, juge et militant, apparaissent comme contradictoires. Mais là aussi c’est de l’expérience que l’on peut vérifier cette contradiction peut être bien vécue sans en avoir une conception psychanalytique.
L’exercice d’un mandat de conseiller prud’homme salarié est bien sûr de marcher sur ses deux pieds : conseiller prud’homme et militant.
Dire le droit ce n’est pas faire abstraction de sa vie, de ses pensées, de son engagement syndical. Toute femme et tout homme n’a qu’une personnalité et comme nous ne demandons pas à nos « collègues employeurs » de renoncer à la leur, je ne vois pas pourquoi nous renoncerions à la nôtre.
La seule limite existante est le mandat impératif
Nous ne rentrons pas en audience en ayant effectué la lecture de la dernière NVO, nous avons d’autres moments pour le faire, mais nous devons aborder les audiences en mettant toutes nos capacités à comprendre, à analyser et à être actif.
Notre différence avec les Magistrats c’est d’être « du métier », nous connaissons les lieux de travail, les rapports dans les entreprises. C’est notre force, ne la gâchons pas.
Guy MAURHOFER : En tout premier lieu ce qui change par rapport à la fonction de
délégué c’est l’impact immédiat de son intervention de juge qui est visible, l’étendue de ses pouvoirs. Des décisions sont prises et appliquées. Les portes des entreprises environnantes s’ouvrent. Les livres de compte, DADS, registre du personnel sont accessibles. Beaucoup d’infos inaccessibles au délégué deviennent accessibles au juge. On ne conteste pas les demandes du juge.
Se rendre compte que sa voix est décisive est important à mes yeux. En délibéré, il n’y a pas un avis à donner mais une décision qui se prend à égalité avec l’employeur sur la base du dossier et après examen des pièces produites.
Un militant qui passe dans une fonction de juge c’est une expérience vivante pour les
collègues de travail qui généralement trouvent cette fonction valorisante.
Ce sont aussi de nouvelles perspectives de faire valoir le droit des salariés pour peu qu’une certaine coordination se fasse dans les interventions syndicales et qu’une stratégie se mette en place. C’est toute une foule d’idées nouvelles à expérimenter car je trouve cette activité terriblement pratique, c’est du concret pour le juge comme pour les salariés.
Claudette MONTOYA : D’être le délégué à l’écoute du salarié demandeur et le militant pour régler afin d’efficacité.
Édouard MOUGENOT : C’est avant tout une lourde responsabilité ! On ne fait qu’exercer un mandat important qui nous est confié temporairement par notre Organisation Syndicale.
Ça demande beaucoup d’effort et de travail pour pouvoir acquérir les bases juridiques nécessaires, afin d’exercer cette fonction avec un minimum de pertinence. Ce que souvent beaucoup de militants syndicaux apprécient mal.
Ça devient en fait une formation juridique permanente qui demande des sacrifices personnels et familiaux importants.
Maintenant l’exercice du « pouvoir judiciaire » est passionnant à ce stade, car parfois on à enfin l’impression de pouvoir « remettre les choses dans le bon ordre » et d’obtenir des résultats que l’on sait par ailleurs impossible à obtenir dans nos propres entreprises par l’intermédiaire de nos fonctions syndicales.
Il est indéniable que l’exercice de cette fonction m’a fait découvrir des possibilités d’actions syndicales, et plus précisément de stratégie d’actions syndicales, que je n’aurai pas soupçonnées sans ce mandat, ce qui est un point très positif.
A contrario, et c’est ici une vision très personnelle, je considère que ce mandat ne devrait pas être exercé trop longtemps par les mêmes militants syndicaux. Et ceci dans la mesure où il existe une réelle « usure » de la fonction après de trop nombreuses années à l’exercer.
Certains « vieux routiers » de cette fonction sont « blasés » où pis, déconnectés des réalités de la vie des salariés dans les entreprises, et juge et apprécie les affaires qu’on leur soumet, non plus du point de vue de syndicaliste militant, mais d’un point de vue « d’usages » qui n’ont rien de juridique, syndicalement parlant du moins en ce qui concerne les salariés.
Chronique Ouvrière : Comment se comportent les « juges employeurs » ?
Lionel DIDOT : Avec moi avec un certain respect peut être sans concession mais très souvent en respectant mon analyse.
Christian HENRI : Pour ne prendre qu’un exemple, le CNE, c’est clair. Les conseillers prud’hommes employeurs étaient aux ordres. Pour ma part cela ne me surprend pas puisque j’ai connu l’époque de la « circulaire Sorel ». Mais rien n’a changé depuis. Pas de mission de conseillers rapporteurs tant en conciliation qu’en jugement ; pas de « conciliation active » ; pas de rôle actif du juge pendant les débats (méconnaissance… ou reniement… de l’article 12 du code de procédure civile mais à contrario application à la lettre du 5 et du 6). Le salarié est demandeur donc il doit prouver ! C’est leur crédo… mais comme dans nos boites, c’est toujours non, moins, et il faut vraiment qu’ils soient « acculés » pour obtenir gain de cause pour gagner un dossier.
Didier MALINOSKY : Là aussi, l’expérience est surement différente selon les conseils.
Dans le conseil auquel j’appartiens ils se comportent d’une manière similaire à la nôtre ce qui donne un bon fonctionnement à celui-ci.
Bien sûr nous ne sommes pas d’accord sur de nombreuses choses.
Mais comment pourrait-il en être autrement ? Nous sommes issus de deux entités qui s’opposent, qui s’affrontent dans la vie sociale et économique (sans aborder le politique)
Cette opposition est le socle de la juridiction : la parité
Nous sommes dans un lieu ou notre tache est de régler les différents entre des membres de ces deux entités.
Mais cela ne veut pas dire que nous devons bloquer l’institution. L’intérêt de la partie la plus faible au contrat de travail est d’avoir des décisions prises dans les plus brefs délais et les mieux argumentées.
Guy MAURHOFER : Avant de siéger au conseil j’étais loin d’imaginer que « la justice » pouvait être rendue avec des personnes qui refuseraient d’ouvrir un code du travail, qui n’ont jamais le temps et qui ressassent sans cesse des anecdotes personnelles, des arguments qui ne sont pas dans les dossiers.
Pour les employeurs il est important de botter en touche vite fait et de renvoyer les affaires sous tous prétextes fallacieux.
Au mieux pour eux quand effectivement le salarié a raison malgré tout, parfois ils en conviennent, tout ce qui compte c’est que le montant du chèque versé soit le plus ridicule possible. Il ne faudrait pas que le « casino, le truc pas cher qui peut rapporter gros » que représente le conseil dans la tête des salariés paraît-il (les employeurs savent mieux que quiconque lire dans les pensées des salariés, si si) , il ne faudrait surtout pas que le conseil puisse être attractif.
Chaque fois que les sommes en jeu sont importantes, il s’agit de marchander les montants accordés, voir d’aller en départage pour gagner du temps et parfois éviter de mettre son nom sur des décisions peu honorables aux yeux des représentants du Medef local qui exerce un certain contrôle. Certains se souviennent encore des difficultés rencontrées par leurs prédécesseurs qui se sont vu reprochés d’être trop laxistes.
Les plus malins, pour qui être conseiller c’est souvent avant tout une carte de visite, ça fait toujours bien dans les affaires..., s’empressent de s’assurer les services de plumes « occasionnelles » chez les salariés ou au greffe, pour se débarrasser au plus vite d’une rédaction qui les encombre.
Parfois il y a des employeurs formés en droit, là ça se corse et cela élève toujours le niveau du débat.
C’était rarement le cas pour ce premier mandat et toujours bénéfique pour ma formation personnelle quand cela s’est présenté.
Claudette MONTOYA : Comme des patrons – avec des consignes tranchées.
Édouard MOUGENOT : Si le terme « juge du parti pris » à un sens c’est bien aux Conseillers Employeurs qu’il s’applique ! Comme je l’ai précédemment indiqué, c’est avant tout une « affaire » politique et non juridique avec les employeurs.
C’est une bataille « idéologique » sans fin, dans laquelle seules de solides bases juridiques et un militantisme chevillé au corps peuvent faire la différence.
Il ne faudrait pas oublier que les Conseillers Employeurs, sont eux aussi des militants syndicaux, souvent issus d’organisations syndicales patronales puissantes, auxquels ils rendent des comptes.
Pour être objectif, je dirai que certains sont « corrects » et acceptent d’étudier les affaires d’un point de vue juridique, ce sont souvent des « petits patrons » et non des DRH mais ils sont peu nombreux, et particulièrement en section Encadrement pour les raisons précédemment évoquées.
Les conflits naissent souvent en raison des montants très importants demandés par les salariés cadres, montant juridiquement justifié d’ailleurs, et qui sont majoritairement les sujets de « discorde » où de mauvaise foi évidente de la part des Employeurs.
Les employeurs ne « juge » pas une affaire ils « l’apprécie » où la « considère »…..toute la nuance est là !
Mais le plus dur n’est pas toujours les employeurs comme on pourrai le croire, le pire étant quand le conseillé Salarié qui est avec vous vient à se ranger du côté des employeurs….mais c’est un autre sujet.
Chronique Ouvrière : La procédure prud’homale est orale. En quoi consiste exactement cette oralité ? L’oralité des débats présente-elle des avantages pour les salariés ? Si oui, lesquels ?
Lionel DIDOT : Pour moi c’est qu’un justiciable de toute condition puisse saisir un juge, lui expliquer ses problèmes oralement avec ses mots dans la simplicité, sans qu’il puisse être obligé de passer par une procédure écrite rigide compliquée qui finalement le dégoûtera de faire valoir ses droits et lui fera abandonner toute idée de contestation.
Lui, faciliter d’expression de son litige dans la mesure ou le président d’audience lui permettra d’expliciter ses véritables questions ou interrogations.
Il pourra éventuellement demander la règle de droit applicable.
Christian HENRI : Plus le conseil est important, plus l’oralité se perd. Pourtant lors des audiences de référés, nous retrouvons cette oralité qui permet l’accessibilité au juge du contrat de travail. Lors des audiences de référés, les parties se présentent souvent seuls, avec leurs documents respectifs, et c’est le juge, comme aimait à le rappeler Aristote : « il est évident que le rôle du contestant se borne à démontrer que le fait en question est ou n’est pas de telle sorte, a été accompli ou non ; mais est-il important ou sans importance, juste ou injuste... c’est le juge qui doit en décider ; il n’a pas à l’apprendre des parties » : c’est l’adage que j’aime à faire vivre autant que je le peux : “da mihi factum, dabo tibi jus” ; et sans l’oralité, ce rôle ne peut être rempli. Qui peut mieux que le salarié raconté son histoire, ce qu’il a vécu ? La lecture des conclusions des auxiliaires de justice, outre noyer le conseiller dans la procédure, ne peut pas refléter ce qu’a subit le salarié. Je me souviens d’un dossier de harcèlement (dossier très difficile à gagner) où à la fin des plaidoiries j’ai fait venir le salarié à la barre (son avocat disait les choses sans les dires, comme souvent). Je lui ai demandé de me raconter ce qu’il avait subi. Cela a duré 10 minutes mais ses 10 minutes ont fait basculer le dossier en sa faveur eu égard aux 30 minutes de plaidoiries de chacun des avocats. Nous avons délibéré …. 5 minutes et le harcèlement moral fut reconnu. Restait ensuite à le « quantifier » financièrement mais là c’est un autre débat : le toujours moins des employeurs.
Didier MALINOSKY : Grand débat de doctrine que cette question.
L’oralité c’est d’abord la présence des parties.
Comment recevoir toutes les informations si, ni les employeurs ni les salariés ne sont présents et ne peuvent être interrogés.
Ensuite l’oralité c’est l’expression directe des parties et en particulier la possibilité pour le salarié d’exprimer son vécu, ses « revendications », son mal au travail, son attente.
En sachant que dans la quasi-totalité des cas, c’est celui qui aura le plus de mal à s’exprimer. Inégalité supplémentaire que l’accès à la parole.
C’est, donc, l’obligation pour le conseil des prud’hommes d’être actif et de formuler les questions adéquates.
Guy MAURHOFER : Très souvent le questionnement permet de sortir du cadre pré-établi des écrits et tout de suite des perspectives nouvelles se dégagent.
L’oralité, en tout premier lieu c’est une formidable bouffée d’air pur. Cela permet aux plus démunis de venir présenter leur situation sans fioriture. C’est le contact en chair et en os qui interpelle bien mieux qu’un document écrit. L’oralité c’est vivant et ça force une écoute, une attention, cela nécessite de s’assurer que le greffier puisse enregistrer au mieux ce qui est dit en sachant très bien que c’est le plumitif qui servira de base pour le délibéré futur en cas de contestation.
Quand le salarié est présent, il est possible de décortiquer le film des événements et de pouvoir mettre au clair les faits. L’oralité permet de dénouer le fil, de questionner au fur et à mesure même si le problème est complexe au départ, il est possible de simplifier et de vérifier les dires des uns et des autres en reformulant les propos tenus, immédiatement en présence de tous. C’est un processus nettement supérieur à la lecture des conclusions pour mettre à jour les faits qui ensuite généreront les questions de droits qui leur sont attachés.
J’ai toujours un article du « droit ouvrier » en tête, écrit par Kléber DEROUVROY, un de mes tous premiers formateurs en stage national à Prudis en début de mandat :
« donne moi les faits, je te dirai le droit » . Je reste attaché à ce fil conducteur dans le déroulement de la procédure.
Claudette MONTOYA : Normalement cela devrait être la norme, mais malheureusement, elle est mal exploitée et mal orientée.
Édouard MOUGENOT : Elle est orale en effet, bien que les articles 15 et 17 du Code de procédure civile mettent un « bémol » à cette oralité, en ce sens qu’ils imposent de communiquer préalablement à l’audience, et par écrit les moyens de faits et de droit qui seront invoqués à la barre.
Néanmoins l’avantage de l’oralité des débats fait qu’il est possible, y compris le jour de l’audience de modifier les demandes initiales, voire de les compléter.
Bien peu de salariés se représentent eux-mêmes lors des débats, ce qui est regrettable, et c’est majoritairement des plaidoiries d’avocats auxquels on assiste.
Dans un sens c’est « pratique » pour les conseillers qui écoutent la plaidoirie, celle-ci étant généralement bien structurée juridiquement s’entend.
Mais d’un autre côté le « parler vrais » du salarié manque cruellement à ces discours « bien lisses » pour faire ressortir les éléments significatifs « vécus » par le salarié.
J’ai pour habitude à la majorité de mes audiences, et quand le salarié est présent, de l’entendre après la plaidoirie de son avocat, ce qui met souvent en lumière des détails « de la vraie vie » qui me sont ensuite nécessaires dans le délibéré avec les Conseillers Employeurs.
Enfin, l’oralité des débats permet au Président, dans la mesure où celui-ci est « actif » à l’audience, d’entendre chacune des parties à la barre, et de confronter les affirmations des uns et des autres directement, c’est malheureuse très rare dans la mesure où les Employeurs ne viennent quasiment jamais au procès, ce qui les desserts souvent d’ailleurs.
Chronique Ouvrière : Le conseil des prud’hommes peut régler des litiges par la voie de la « conciliation ». Cela se produit-il souvent ? Est-ce une bonne chose ?
Lionel DIDOT : Non !
Partagé sur cette question quand on voit que les employeurs essaient de favoriser un conciliation à minima lorsque de dossier est favorable au salarié.
Ils se retranchent derrière la volonté des parties de mettre fin au litige.
Le salarié lui n’a pas toutes la vue d’ensemble du litige souvent il voit un apport immédiat d’argent qui va lui permettre de pallier à des ennuis financiers.
Christian HENRI : J’ai une façon assez particulière d’aborder la conciliation dans un grand nombre de cas de licenciement (hors le harcèlement) chez les patrons de TPE. J’essaye au maximum de convaincre les parties que chacune des parties peut faire un effort pour effacer ce qui vient de se passer et de reprendre les relations contractuelles. Dans le tout petit conseil de Vire où je siégeais j’ai réussi plusieurs fois à « ressouder » les relations contractuelles et je connais encore des salariés qui travaillent encore alors que le licenciement avait été prononcé. A Caen j’ai été surpris d’être à deux doigts de le faire à plusieurs reprises mais d’être contré par l’assistant du demandeur. La conciliation se situe au plus près de l’évènement ; les souvenirs sont encore frais. C’est une phase essentielle pour faire comprendre à l’employeur qu’il s’est fourvoyé et que son intérêt est de ne pas poursuivre dans cette voie et au salarié qu’aujourd’hui, avec un taux de chômage élevé, il est peut être préférable de retourner dans l’entreprise. Mais je ne manque jamais de préciser à l’intention de l’employeur que je ne veux pas revoir le dossier dans les mois qui viennent. En réalité donc, ces cas de figures sont très rares et la juridiciarisation de la prud’homie y est pour une très grande partie responsable.
Didier MALINOSKY :
A Versailles le taux de conciliation se situe vers 10/12 %.
Pour ma part que je pense que c’est une bonne chose en raison du délai assez court pour le salarié de se voir remis dans ces droits.
Faut-il encore que cette conciliation se réalise en respectant les droits du salarié.
Nous devons non seulement dire le droit mais aussi l’appliquer.
Nous ne sommes pas des médiateurs. Notre fonction n’est pas de trancher de manière médiane entre les demandes du salarié et celles de l’employeur.
A ces conditions, je pense que la conciliation est une bonne chose.
Guy MAURHOFER :. La conciliation totale c’est très rare. Même une conciliation partielle est rare. Très souvent l’employeur ne veut pas concilier du tout, ou le plus souvent l’employeur tente de concilier en dessous des droits des salariés en jouant sur les délais.
Il me paraît évident que la première rencontre au Bureau de Conciliation doit permettre au salarié de se sentir épaulé. Ce n’est pas toujours le cas. Ce n’est pas toujours facile non plus quand le salarié vient les mains dans les poches ce qui arrive parfois. Même pour obtenir une simple mise en l’état du dossier par voie d’ordonnance cela nécessite un combat singulier avec l’employeur à côté de soi et une grande vivacité. D’autant plus si vous n’avez pas la présidence de l’audience.
Si le salarié est confiant, s’il a senti que ses chances de l’emporter sont grandes il demandera plutôt une condamnation car il a souvent un sentiment fort d’injustice et il a été contraint de venir réclamer son dû. A ce moment la conciliation lui importe peu.
Claudette MONTOYA : Pratiquement rien ne se passe en conciliation – ou alors très rarement lorsque le défendeur n’est pas là !!
Cela rend le procès plus compliqué par la suite, car des mesures peuvent être prises en BC de différents types jusqu’à des mesures de conservations ou de recherche de preuve (s)/
Édouard MOUGENOT : C’est possible.
C’est trop rare malheureusement, car souvent après avoir fait l’inventaire précis des droits des salariés, l’Employeur qui pensait s’en tirer à bon compte avec de maigres indemnités se rétracte.
Ca peut être une bonne chose, si et seulement si, l’intégralité des droits et préjudices éventuels subis par le salarié sont exactement couvert par cette conciliation.
Il m’est arrivé encore récemment, et en Bureau de Jugement, de faire concilier les parties à la barre.
Mais ça reste l’exception, et dans l’immense majorité des cas, les parties s’en remettent à l’appréciation des Conseillers….puis à celle de la Cour d’Appel ! .
Chronique Ouvrière : Est-ce que la juridiction prud’homale est en mesure de répondre aux situations d’urgence vécues par les salariés en détresse sur le plan financier ou/et jetés en dehors de l’entreprise dans des conditions particulièrement inadmissibles ?
Lionel DIDOT : Non et de moins en moins avec les nouvelles mesures décidées par notre parlement.
Christian HENRI : En théorie, oui. En effet la formation des référés peut en trois/quatre semaines rendre, à titre provisoire, une décision remplissant le salarié de la plupart de ses droits. Malheureusement les référés prud’homaux ont été tellement dénaturés par le collège employeur qu’ils sont peu efficients. De même, le bureau de conciliation devrait rendre des ordonnances, remplissant pour partie et à titre provisoire le salarié de ses droits. Là encore, il y a « mandat impératif » donné par le MEDEF pour y faire échec. Mais il ne faut pas désespérer et remettre chaque jour l’ouvrage sur le métier….
Didier MALINOSKY : Pas toujours, mais la responsabilité est malheureusement partagés entre la juridiction et les défenseurs des salariés (avocats ou défenseurs syndicaux).
Les délais de convocations et surtout de rendus de décision devant les référés sont souvent hors de proportion avec les situations d’urgence.
Un salarié sans revenu pendant un mois est souvent au bord de la catastrophe. C’est peut-être une formule à la « Monsieur de La Palice » mais il n’a que son salaire pour vivre et des décisions à plusieurs mois après ne sont pas admissibles.
Mais que dire lorsque ce sont les mêmes défenseurs qui sollicitent ou acceptent des renvois.
Là aussi les conseillers doivent être actifs et faire ce qui est nécessaire pour se prononcer le plus rapidement possible.
Guy MAURHOFER : Elle est en mesure de le faire mais c’est trop rarement le cas.
Je garde un souvenir encourageant d’une ordonnance en référé qui a été rendue à Thionville pour la réintégration d’un militant syndical. Dans tous les cas, il ne faut pas ménager sa peine et son temps pour obtenir une décision favorable aux salariés car je n’ai jamais rien obtenu sans effort.
Souvent c’est un véritable combat de chien auquel il faut se livrer pour faire entendre la voix de l’urgence et de la détresse.
Même parmi les salariés qui aujourd’hui siègent avec moi, tous n’ont pas toujours la même vision « de l’urgence ou de la détresse ». Tous n’ont pas connu le chômage et les bas salaires, le crédit qui ampute la moitié de la paie, cela pèse dans les décisions à prendre à ce moment là en délibéré.
Il y a une certaine banalisation aujourd’hui des retards de paiements de salaires ou un sentiment d’impuissance devant les écrans de fumée déployés par les avocats des employeurs qui utilisent toutes les ficelles de la procédure et les allégations gratuites pour disqualifier les salariés qui n’ont pas toujours pris la mesure de la difficulté et préparé leur dossier. C’est bien sûr particulièrement vrai quand ils viennent seuls mais pas seulement.
Le référé est vraiment l’endroit idéal pour se confronter aux situations d’urgence et il faut imposer sans cesse que le référé serve à autre chose que donner un certificat de travail ou une attestation assedic comme le souhaitent les employeurs. Les lettres de noblesse du référé sont encore à gagner sur la place de Thionville car les ordonnances sont encore trop peu nombreuses et trop peu audacieuses à mon goût.
Je pense qu’une CGT qui entend gagner la bataille des ordonnances a une position originale au conseil et peut être tout à fait décisive sur l’évolution future de la jurisprudence
Claudette MONTOYA : OUI, elle devrait être à près de 70 % des cas aujourd’hui en mesure de régler les urgences mais très peu utilisée par les praticiens du droit mais également par les conseillers prud’hommes mal appréhendé
Édouard MOUGENOT : Elle le devrait en tout cas, et c’est normalement le rôle du Bureau des référés.
C’est néanmoins à ce Bureau que nous constatons le plus grand nombre d’échecs des demandes d’urgence faites par les salariés en situation de détresse.
L’une des raisons à cette situation et que les employeurs tentent par tout moyen de neutraliser ce type d’action, comme c’est le cas également en Bureau de Conciliation.
Pour un employeur un « bon procès prud’homal » est un procès qui s’inscrit dans le temps, et plus c’est long….mieux c’est.
Il suffit pour s’en convaincre de lire les nombreux jugements rendus par les Cours d’Appel qui font suites à ces jugements en Référé, pour comprendre ce mécanisme de « blocage » exercé par les conseillers Employeurs en Bureau de Référé.
La notion de l’urgence et de l’évidence leur est pour le moins inconnue à ce stade.
Chronique Ouvrière : Il paraît que le bureau de conciliation a des pouvoirs juridictionnels. Qu’est-ce que cela signifie ? Exerce-t-il souvent ces pouvoirs ?
Lionel DIDOT : Oui il en a.
Ils sont généralement peu connus et, plus grave, peu utilisés.
Christian HENRI : Oui c’est exact et j’en faisais état lors de la question précédente. Le bureau de conciliation a le pouvoir de rendre des ordonnances pour ordonner des provisions sur salaire et accessoires au salaire, sur différences indemnités. Il a même le pouvoir de prendre des mesures d’instruction. Hélas trop peu de conseillers activent ces pouvoirs. Entre les conseillers prud’hommes des autres organisations qui ont une méconnaissance complète de ceux-ci et les conseillers employeurs qui obéissent aux ordres du MEDEF, il ne reste plus beaucoup de place. Toutefois il ne faut pas être défaitiste et continuer. Ca rentrera dans les mœurs. Le bureau de conciliation a un autre pouvoir qui n’est pas suffisamment actionné : c’est celui de vérifier que l’affaire est en état d’être plaidé avant de la renvoyer devant le bureau de jugement. Si cette compétence était actionnée, nous n’en serions pas à constater les délais exorbitants, au détriment bien entendu du salarié, que nous rencontrons. Pour illustrer, au conseil de Caen, il faut .1, 1/2 mois entre la saisine et le bureau de conciliation mais pour que le salarié voie son affaire traitée au principal, il faut compter 12 à 15 mois ! Et si l’on ajoute les délais de départage variant entre 9 et 13 mois, faisons les comptes…… Le salarié a le temps de « crever » avant de voir ses droits rétablis !!
Didier MALINOSKY : C’est la question du faux candide.
Bien sûr le bureau de conciliation a des pouvoirs juridictionnels qui concerne soit la désignation de conseillers rapporteurs, soit le versement de provision, soit la remise, y compris sous astreinte, des documents que tout employeur est tenu de remettre, soit toute mesure d’instruction nécessaire à la préservation des preuves.
Je crois que je n’ai rien oublié.
Mais la seule connaissance des attributions ne veut pas dire application. Peu de demandes d’ordonnance sont effectuées par les salariés et leurs défenseurs et la possibilité de se prononcer d’office pour le conseil sur des mesures d’instruction est ignorée. C’est sûrement le point le plus « critiquable » du fonctionnement de la juridiction
Guy MAURHOFER : Beaucoup de conseillers ne perçoivent pas les possibilités d’intervenir qui leur sont ouvertes par la voie des ordonnances. Sous la pression patronale, faire vite et évacuer des dossiers quasi vide en direction du Bureau de Jugement reste le fonctionnement trop habituel du Bureau de Conciliation, car souvent c’est ne pas retarder le BJ qui omnubile les conseillers salariés. Au mieux une mesure de mise en état est souhaitée, elle est rarement mise en place par le BC.
Pour moi, le BC peut prendre des mesures immédiates et imprimer dès le premier contact avec le tribunal une direction positive et prometteuse pour le salarié. C’est prendre l’avantage décisif tout de suite dans le bras de fer qui est engagé. Et c’est bien ce que refusent à tous prix les employeurs.
Je me souviens d’une ordonnance de conciliation sur des jours de fractionnement de conges payés qui étaient dûs et que l’employeur ne voulait pas payer. Il s’agissait alors d’imposer une rectification des bulletins de paie afin de permettre de visualiser les jours restants à prendre. Le compteur du mois qui devait permettre la pose de ces congés ne le permettait pas au moment du BC car l’employeur refusait de les donner et de les faire figurer. C’est l’ordonnance de conciliation qui a imposé à l’employeur de rectifier la feuille de paie, ainsi les salariés ont posé leurs congés et le temps même que l’appel en exès de pouvoir ait lieu, la difficulté était passée. Sans compter que l’appel a été infructueux, les jours de fractionnement ne devant pas être payés, seuls les bulletins de paie devaient être rectifiés et cela restaient bien dans le pouvoir de la formation. Cette ordonnance à fait du bruit chez un des plus gros employeurs du secteur.
Disposer d’un pouvoir juridictionnel c’est pouvoir engager la responsabilité de la formation sur une mesure immédiatement applicable et difficilement contestable même si cette mesure n’en reste pas moins provisoire car elle aura besoin d’une confirmation ensuite. Parfois ce n’est plus nécessaire car l’employeur ne va pas toujours au bout du processus. Il n’y a pas que des salariés qui se découragent.
Certains conseillers ne vivent pas dans le moment présent c’est dommage, le BC exercerait davantage ses pouvoirs.
Claudette MONTOYA : Enormément de pouvoirs de tous ordres, mai pratiquement pas exercé.
Édouard MOUGENOT : C’est un fait trop souvent ignoré par de nombreux conseillers salariés : en Bureau de Conciliation les pouvoirs des juges sont très nettement supérieurs, à ceux dont ils disposent ensuite en Bureau de Jugement !
Les juges en matière de Conciliation ont des pouvoirs juridictionnels étendus qui leurs permets de :
Gérer administrativement le dossier
De concilier les parties en étudiant le dossier sur le fond du litige
De dresser un PV de conciliation totale ou partielle ou de non-conciliation
De faire l’inventaire des droits des parties
De prononcer des mesures d’exécution provisoires
De mettre en l’état le dossier notamment par toute mesure de conservation des preuves et pièces nécessaires au débat
Et pour ce faire de rendre des Ordonnances, notamment en matière de bulletin de salaire, documents sociaux et autres actes justifié par l’urgence et l’évidence des demandes faites.
Ces pouvoirs sont-ils utilisés dans les faits : la réponse est clairement non !
Et ce, pour deux raisons principales.
La première est d’ordre Administrative, dans la mesure où les bureaux de conciliations se déroulent de 09h00 à 13h00, et qu’en quatre heures les deux juges doivent étudier conjointement un minimum de 40 affaires ! soit 6 minutes par affaire. Et que dans ces conditions il est pratiquement impossible d’exercer normalement une étude sereine et complète d’un dossier.
La seconde est d’ordre « syndicale », les Employeurs considérant que le Bureau de Conciliation n’est qu’une « chambre d’enregistrement » de Bureau de Jugement, et bloquent toute tentative de déroulement normal des débats, par mise en départage si nécessaire, et par de nombreux incidents d’audience.
Chronique Ouvrière : Qu’est-ce que le départage ? Y en a-t-il beaucoup ? Les relations avec les juges départiteurs sont-elles des relations d’égalité ou des relations de pouvoir ?
Lionel DIDOT : Surtout sur le quantum des dommages intérêts.
Sur le pouvoir du juge des référés.
Pour moi et avec le juge départiteur actuel se sont des relations d’égalité d’échange politique. En ce sens j’entends par des choix politiques ou ce qu’une décision va résonner dans les commentaires des entreprises.
Christian HENRI : Lorsque les conseillers n’ont pu trouver une solution majoritaire au litige qui leur est soumis il est fait appel à un magistrat professionnel du tribunal d’instance, appelé juge départiteur, pour trancher le litige. La formation étant alors en nombre impair 3 (BC, Référés) ou 5(BJ) une majorité en ressortira obligatoirement. De ce que je connais, le juge, au lieu de se considérer comme l’arbitre, se comporte comme le sachant. En terme technique, l’on dit souvent que le juge départiteur doit être omnes inter pares, il se considère comme primus inter pares. Mais là également si le conseiller prud’homme sait se faire respecter, la donne est différente, à tout le moins dans les relations d’égalité. C’est un combat permanent sur tous les fronts.
Didier MALINOSKY : Deuxième question du faux candide.
Lors des délibérés il arrive que les conseillers en nombre pair ne parviennent pas à adopter une « position commune » ou majoritaire. C’est souvent sur des questions de principe ou d’application d’une jurisprudence du conseil, par exemple des nullités de plans de sociaux
Dans ce cas une nouvelle audience est convoquée qui sera présidée par un magistrat du tribunal d’instance.
Pour les chiffres je ne pourrai que parler de ceux du Conseil de Versailles. Ceux-ci varient chaque année en fonction du type « d’affaires ». Ainsi en reprenant l’exemple ci-dessus lorsque vous avez des contestions d’un plan social par plusieurs dizaines de salariés qui se traduit par un départage, leur nombre absolu augmente.
Il tourne, donc, pour nous entre 60 et 100 par an soit entre 5 et 8%.
Les relations avec les juges départiteurs sont entièrement dépendantes des relations dans le conseil. Elles doivent être différentes lorsque vous avez un taux de départage qui atteint les 50% d’un autre qui arrive à 5%.
Mais là aussi l’appréciation est différente entre des sections ou le taux est faible et celles ou il peut-être fort.
Il est vrai que le juge départiteur arrive en fin de procédure, la tentation est forte de reprendre à son compte l’entièreté de la décision. Cependant les relations entre magistrats et conseillers sont, en cours de délibéré, des relations d’égalité.
Guy MAURHOFER : Le départage est plutôt rare. La chose la plus frappante c’est de voir que le milieu social joue un rôle important. Dès qu’il s’agit de montants ou de conditions de travail, le regard qui est porté par le départiteur laisse apparaître une distance certaine vis à vis des salariés. On est loin de la proximité dont on parlait tout à l’heure. En même temps, le respect du contradictoire ou le questionnement en audience est souvent plus facile.
Pour ce qui me concerne, je trouve que l’argumentaire des conseillers salariés est pris en compte même si la relation de pouvoir existe.
En ce qui concerne le droit, c’est souvent le seul départage qui permet un débat juridique approfondi au moment du délibéré.
Après il s’agit aussi de savoir si le départiteur souhaite ou non innover ou s’il préfère se fondre dans le moule existant des décisions précédentes.
Claudette MONTOYA : RAREMENT D EGALITE _ J’ai connu des magistrats attentifs au monde du travail comme l’affaire de Nestlé – diverses réintégrations dans différentes entreprises tant de militants que de salariés en présence de refus d’appliquer l’article
l 122.12 mais cela est rare.
PLUS DE RELATION DE POUVOIR
Édouard MOUGENOT : Le départage est la phase du procès où les Conseillers Employeurs et Salariés sont d’une opinion opposée sur un dossier, et font alors appelle à un juge professionnel appelé également juge départiteur afin que celui-ci tranche le débat.
Oui malheureusement les départages sont trop nombreux, et plus particulièrement actuellement en fin de mandat des Conseillers.
Il y a autant de réponses possibles concernant les relations avec les juges départiteurs…..qu’il y a de juges départiteurs.
Avec certains ou certaines, les relations sont « saines » et équilibrées, alors qu’avec d’autres c’est à peine s’ils nous disent bonjour.
Eux aussi ont leurs « sensibilités » bien marquées, et connues de tous au Conseil.
La principale difficulté lors des audiences de départage, vient à nouveau des Conseillers Employeurs qui ne viennent jamais à ces audiences, et qui de ce fait nous empêchent de pouvoir avoir un vrai délibéré avec les juges départiteurs.
Chronique Ouvrière : Comment se présente l’évolution de la juridiction prud’homale ?
Lionel DIDOT : Je ne suis pas optimiste sur l’avenir de cette juridiction.
Christian HENRI : A deux mois de l’échéance du 3 décembre qui sera la 7 ème élection prud’homales depuis la réforme BOULIN de 1979, l’on a de quoi être pessimiste sur l’avenir de la prud’homie telle qu’on pouvait la connaître. 63 conseils ont été supprimés cette année, la circulaire SJ 08.005-AB1/25.07.08 relative à l’indemnisation des conseillers prud’hommes qui technocratise le fonctionnement des conseillers en limitant leur temps tant de rédaction que d’étude préalable et postérieure des dossiers, en un mot qui « flique » les conseillers, l’obligation de l’avocat obligatoire devant la Cour de cassation qui élimine par l’argent l’accès à la Justice, toutes les mesures prises vont dans le même sens : influer sur la juridiction pour à terme la professionnaliser. Mais peut être pas la professionnaliser comme on pourrait l’entendre : proposer aux organisations syndicales que les conseillers prud’hommes ne fassent plus que cela : juger. Des travailleurs, juges permanents, je connais des conseillers d’autres organisations qui en rêvent. Rappelons-nous les tentatives d’intégration intellectuelle faites de ci, de là par certaines cours invitant des conseillers prud’hommes à siéger à leur côté, leur faisant croire qu’ils seraient « omnes inter pares ». Un Conseil par département, des salariés, triés sur le volet qui siègeraient en permanence, donc coupés de leurs pairs……
C’est pourquoi il faut que la campagne soit axée bien entendu sur le droit réparatoire (le maintien dans l’emploi est la seule réparation d’un licenciement abusif : aucune somme ne peut réparer cette injustice et le droit à l’emploi est un droit constitutionnel) mais elle doit être axée vers la mise sous protection des conseils de prud’homme et de la prud’homie telle qu’elle existe par les travailleurs.
Didier MALINOSKY : Dans environ un mois auront lieu les élections aux conseils des prud’hommes.
Ces moments d’élection sont toujours des moments de modifications de leur composition.
Quelques fois résultat de modifications des rapports de force syndicaux mais le plus souvent par un renouvellement important des conseillers.
A Versailles pour la 3ème élection consécutive le taux de renouvellement sera, en moyenne, de 50%. Un certain nombre est consécutif à des décisions des conseillers (retraite, désir de militer sur d’autres terrains, non représentation par la structure)
Conjoncturellement c’est toujours des mois pour reformer les nouveaux conseillers et assurer la continuité de la juridiction dans l’attente d’une participation de ces nouveaux conseillers.
Mais au delà mes inquiétudes vont à la mise en place des nouveaux textes et en particulier de ceux qui traitent des activités judiciaires des conseillers.
Limiter les temps des conseillers par cette « forfaitisation »n’est pas une bonne chose. Elles compliquent le fonctionnement des conseils, donnent l’impression aux conseillers d’être sous tutelle donnent des responsabilités de contrôle aux présidents qui s’apparentent à des fonctions hiérarchiques.
Ses inquiétudes sont aussi renforcées par la mise en place de la carte judiciaire avec la suppression de 62 conseils dans des régions ou les services publics ont déjà été supprimés.
Dernier point, la nouvelle rédaction du code du travail bouleverse tous les schémas et la mise en application des contre réformes affaiblit les garanties légales du droit des salariés.
L’appréciation pratique des conséquences est à faire non seulement pour les prochains conseillers mais aussi pour tous les acteurs du processus prud’homal.
Guy MAURHOFER : Au Conseil, les moyens matériels et humains ne sont pas à la hauteur de ce qu’on serait en droit d’attendre. Supprimer de nombreux conseils reste à l’ordre du jour : 2 sur 4 en Moselle cette année. La tension monte sur les charges de travail et leur répartition entre les différents acteurs de la juridiction.
La guerre sur les temps de préparation des audiences, les rédactions est une volonté marquée de réduire les interventions des salariés et la qualité des décisions à rendre.
En coupant cours au flux des demandes par le biais de la prescription par exemple, des modifications du code où par le biais du découragement des justiciables après moultes renvois, défauts de procédure, il semble que maintenir une activité prospère soit une gageure par les temps actuels.
Malgré tout ne boudons pas notre plaisir quand il est possible et faisons de notre mieux.
La fin du mandat actuel et les difficultés en terme d’assiduité laisse entrevoir que les motivations ont du mal se maintenir tout comme pour d’autres mandats syndicaux. Ceci dit les employeurs ont plus encore de difficulté à tenir leurs propres engagements au conseil.
Vu de mon côté, la difficulté première reste le manque de formation de qualité dispensée aux conseillers salariés ce qui pourrait favoriser grandement leur audace.
La CGT ferait bien de prendre en compte ce paramètre et réintégrer dans le giron de PRUDIS Pascal Moussy à qui je dois beaucoup.
Claudette MONTOYA : A mon humble avis en voie de refonte profonde parce que les professionnels du droit ne considèrent plus cette institution comme un lieu d’équilibre.
Mais également parce que le faible taux de syndicalisation n’arrange pas l’esprit de combat et de maintient de celle-ci.
Édouard MOUGENOT : Malgré tout ses défauts, cette institution reste malgré tout très appréciée par les salariés, et ils nous le disent souvent.
Et le pouvoir politique ne s’y trompe pas, lui qui s’escrime depuis deux ans à vouloir détruire cette institution, et modifiant outrageusement l’outil essentiel des CPH qu’est le Code du Travail, et en imposant de nombreuses Lois et Décrets qui limite et bride les actions de cette justice et de ceux qui l’exercent.
Aucune institution juridique n’a subi en si peu de temps autant d’attaques violentes de la part du législatif et de son gouvernement que l’institution prud’homale depuis deux ans.
Je reste confiant dans l’avenir de cette juridiction, malgré toutes ses imperfections, elle reste un outil essentiel au service des salariés dans un contexte politique et social de plus en plus perturbé.