Chronique ouvrière

Le référé-liberté lancé par le patron n’a pas marché ! Le préfet avait raison de fermer temporairement l’établissement nettoyé par un faux "auto-entrepreneur"

mardi 6 janvier 2015 par Pascal MOUSSY
Conseil d’État Le 11 Novembre 2014.pdf

Il résulte des dispositions de l’article L. 8221-6 du Code du travail que l’existence d’un contrat de travail peut être établie lorsqu’il est fourni directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui placent l’intervenant censé avoir une activité commerciale dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci et que, dans ce cas, la « dissimulation d’emploi salarié » est avérée si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur à l’article L. 8221-5 du même code (à savoir, la déclaration préalable à l’embauche, la délivrance d’un bulletin de paie, la mention sur ce dernier du nombre d’heures de travail réellement effectuées ou les déclaration relative aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale).

L’article L. 8272-2 du Code du travail prévoit que si l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant l’infraction de « travail dissimulé », elle peut, « si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre provisoire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois ».

C’est en vertu de ces dispositions que le préfet de police a décidé la fermeture immédiate pour quinze jours de l’établissement exploité par la société IDEAC, spécialisée dans l’activité des « autres enseignements », après avoir appris qu’une personne employée par cette société en qualité d’« auto-entrepreneur » pour assurer des tâches de nettoyage des locaux de réunion et de loisirs qu’elle met à la disposition de sa clientèle, exerçait en réalité cette activité dans les conditions du salariat et n’avait, intentionnellement, fait l’objet de la part du gérant de la société d’aucune déclaration d’emploi salarié.

Mettant en avant une atteinte grave et manifestement illégale aux « libertés fondamentales du commerce et de l’industrie », la société IDEAC a entrepris un référé-liberté afin d’obtenir l’annulation de l’arrêté préfectoral ordonnant la fermeture provisoire de l’établissement.

Le juge des référés administratif n’a pas été convaincu par les arguments qui tentaient de convaincre du caractère liberticide de la décision préfectorale.

Il a considéré qu’il résultait de l’instruction et des éléments recueillis lors de l’audience publique tenue par le juge des référés que le préfet de police n’avait pas qualifié les faits de manière manifestement inexacte en estimant que la situation de travail de la personne qui nettoyait les locaux de la société IDEAC revêtait le caractère de l’emploi salarié. Il était notamment apparu que la société IDEAC était, à la date des faits reprochés, la seule à employer les services de l’intervenant, auquel elle fournissait l’ensemble des instruments nécessaires à son activité et que le détail des tâches confiées à ce dernier l’était par voie d’instructions directes du gérant de la société, la consistance précise du service à rendre n’étant pas mentionnée dans « l’accord de prestation de service » conclu entre la société IDEAC et l’intervenant.

Le juge des référés administratif a également considéré que l’autorité préfectorale n’avait pas qualifié les faits de manière manifestement inexacte en estimant qu’ils étaient constitutifs de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié après avoir relevé que l’attestation de l’intervenant, versée au dossier par la société IDEAC, aux termes de laquelle il avait volontairement choisi le statut d’« auto-entrepreneur », n’était pas des plus probantes. Il résultait en effet des déclarations de l’intervenant portées au procès-verbal dressé par le contrôleur du travail que ce choix, à la supposer libre lui avait été suggéré par la société IDEAC. Il s’agissait en fait de la nième version de la liberté revue et corrigée par la nécessité.

Le juge des référés a enfin considéré que le préfet de police n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en fixant à quinze jours la durée de la fermeture des locaux eu égard à la gravité du recours à un faux statut de travailleur indépendant qui avait permis de faire travailler l’intervenant à un tarif horaire inférieur minimum légal.

Après avoir minutieusement expliqué en quoi la décision de fermeture temporaire décidée par le préfet de police n’avait porté d’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l’industrie, le Conseil d’Etat a indiqué qu’il n’y avait aucunement besoin d’examiner s’il existait un situation d’urgence justifiant que soit prise une mesure de nature à sauvegarder la liberté fondamentale revendiquée par la société IDEAC.

Après avoir pris connaissance de l’ordonnance rendue par le Conseil d’Etat, l’ « auto-entrepreneur » qui a subi le joug du salariat, pourrait, en toute liberté, ouvrir un front prud’homal pour obtenir la condamnation de la société IDEAC à lui verser le salaire dont il a été privé pendant la fermeture de quinze jours ordonnée par la décision préfectorale.

Cette fermeture temporaire de l’établissement au sein duquel il exerçait son activité de nettoyage ne correspondait pas un période de chômage partiel. Elle n’intervenait pas plus à la suite d’un conflit collectif ayant été à l’origine d’une « situation contraignante » de nature à libérer l’employeur de son obligation de fournir du travail au salarié tout à fait disposé à mettre à disposition sa force de travail.

Une fois constatée l’indéniable relation de subordination mis en évidence par le juge des référés administratif, la formation de référé du conseil de prud’hommes aurait tous pouvoirs pour ordonner à la société IDEAC de verser, à titre provisionnel, le salaire dont a été privé son préposé au nettoyage des locaux pendant la période de fermeture due au comportement fautif de l’employeur.


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