Chronique ouvrière

Le droit de grève
ne s’achète pas avec 1000 € !

samedi 26 avril 2008 par Pascal MOUSSY, Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
Ordonnance du Tribunal de Grande Instance de Dax du 15 avril 2008.pdf
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La société GT LOGISTICS, qui assure la logistique du fabricant de moteurs TURBOMECA sur le site de Tarnos dans les Landes, s’est fait remarquer par une certaine inventivité dans la mise au point d’un procédé visant à mettre en cause l’exercice du droit de grève.

Suite à l’échec des négociations salariales annuelles obligatoires, il était proposé aux 94 salariés de l’entreprise de logistique d’observer un débrayage d’1 h 30 le 7 février 2008, puis un arrêt total du travail à partir du 11 février.

Dès le deuxième jour du mouvement, le 12 février, la direction sortait de sa poche, pour chacun des salariés, une avance de 1000 € gracieusement remise en échange de la signature d’un « contrat de garantie de permanence de prestations chez TURBOMECA ».

La condition posée par le contrat était de ne pas interrompre le travail et, par voie de conséquence, de le reprendre immédiatement si le hasard du calendrier faisait que le salarié avait cessé son activité le jour de la signature dudit contrat…C’était également dans la logique des choses que le salarié qui venait à interrompre son travail, par exemple pour se mettre en grève, en cours d’exécution de ce contrat, soit tenu de rembourser les 1000 €.

Le 11 mars, le syndicat CFDT multidépartemental des transports routiers Aquitaine Atlantique, considérant être en présence d’une initiative patronale attentatoire à l’exercice du droit de grève, saisissait le juge des référés pour faire annuler le « contrat de garantie de permanence de prestations chez TURBOMECA ».

Le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Dax n’a pu que répondre favorablement à la demande syndicale, après avoir constaté que l’existence du « contrat de garantie de permanence de prestations chez TURBOMECA » était constitutive d’un trouble manifestement illicite auquel il convenait de mettre fin par la mesure de remise en état appropriée.

Il était en effet manifeste que le mécanisme mis en œuvre par le « contrat de garantie de permanence des prestations », concocté à l’occasion de la grève survenue au mois de février 2008 et consistant à prévoir le remboursement des 1000 € en cas « d’interruption du travail », heurtait de plein fouet les dispositions des articles L521-1 et L.122-45 du Code du Travail interdisant les mesures discriminatoires (l’article L.122-45 précisant directes ou indirectes) en matière de rémunération en raison de l’exercice normal du droit de grève.

Le juge des référés ne s’est pas laissé abuser par l’employeur qui avait cru la jouer fine en édictant, le 10 mars, à la veille de la saisine du juge des référés par l’organisation syndicale, une note de service instituant une « prime de permanence de prestations », payable par trimestre (66 € brut) et en présentant l’avance du 12 février comme une avance sur cette prime « prévoyant le traitement sans discrimination de toute absence hors congés payés »…

Le juge des référés ne s’est pas laissé distraire et est revenu au document générateur du versement des 1000 €, le « contrat de garantie de permanence de prestations chez TURBOMECA », qui ne pouvait être sérieusement présenté comme étant dénué de tout lien avec le mouvement de grève qui venait de se déclencher.

Le Président du Tribunal de Grande Instance de Dax a fort justement considéré qu’il devait intervenir en ordonnant l’annulation du document qui constituait le support de l’avance anti-grève et en allouant une somme de 4000 € au syndicat demandeur qui entendait faire réparer le préjudice causé par l’atteinte au droit de grève.

Nous serons plus réservés par la référence dans l’ordonnance à l’article L.122-42 du Code du Travail, qui interdit les sanctions pécuniaires.

Le remboursement des 1000 € que la société GT LOGISTICS se réservait le droit d’exiger n’était pas à proprement parler la réponse à une faute disciplinaire invoquée par l’employeur.

Le remboursement pouvait être demandé sur le fondement du non respect par le salarié de l’engagement prévu par le « contrat de garantie de permanence de prestations ».

Nous sommes ici dans une logique de droit des contrats, qui permettrait à l’employeur d’agir sur le fondement de l’article 1184 du Code civil : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le point n’est point résolu de plein droit. La partie envers
laquelle l’engagement n’a point été exécuté a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances ».

Mais, si l’employeur avait entendu être remboursé, sa demande aurait soulevé le lièvre.

D’après l’article 1131 du Code civil, l’obligation reconnue comme illicite ne peut produire aucun effet. Et, en vertu de l’article 1133 du même code, la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi.

Les dispositions ci-dessus rappelées des articles L.521-1 et L.122-45 du Code du Travail étant particulièrement explicites, la nullité du « contrat de garantie de prestations chez TURBOMECA » était incontestable.

Mais la question pouvait surgir de savoir si les juges prud’homaux n’étaient pas ici en présence d’un cas d’application de l’adage « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » (personne n’est entendu par un juge lorsqu’il allègue sa propre turpitude). Pour être un peu plus clair, il est permis de s’interroger sur l’obligation du salarié de rembourser les 1000 €.

Il a en effet été relevé qu’une « marge d’incertitude » demeure sur la portée de l’adage « Nemo auditur… » en ce qui concerne le droit du cocontractant à un contrat illicite à obtenir la répétition des prestations qu’il a fournies. (Voir, à ce sujet, J. FLOUR, J.L. AUBERT,
E. SAVAUX, Les obligations. 1. L’acte juridique, Armand Colin, 2000, 270 et s.).

En principe, la répétition (ici la demande de remboursement) est admise lorsque le contrat est seulement illicite et n’est pas immoral… Mais elle est refusée en matière de contrats illicites, lorsque l’illicéité tient à des motifs impérieux d’ordre public (ici le refus des mesures discriminatoires pour fait de grève). Plus généralement, il est considéré qu’il ne serait pas satisfaisant que la demande de répétition soit prise en compte, lorsque l’immoralité du demandeur (ici l’employeur qui a profité de la faiblesse économique du salarié pour tenter de briser la grève) est plus grande que celle du défendeur (ici le salarié en lutte pour une augmentation de salaire qui s’est laissé tenter par les 1000 €).

Alors, dans quelle poche doivent aller les 1000 € ? La question est ouverte.


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