Une pratique constitutive d’un trouble manifestement illicite : le rattachement artificiel par une compagnie "low cost" du contrat de travail d’un stewart à la loi espagnole
Il ressort des dispositions de l’article L.1262-3 (ancien article L.342-4) du Code du Travail qu’ un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables à un détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire national français ou lorsqu’elle est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures situées sur le territoire national à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue. Dans ce cas, il est prévu l’application de la législation du travail applicable aux entreprises établies sur le territoire français.
L’article R. 330-2-1 du Code de l’aviation civile précise que ces dispositions sont applicables aux entreprises de transport aérien au titre de leurs bases d’exploitation situées sur le territoire français. Cet article définit la « base d’exploitation » comme « un ensemble de locaux ou d’infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre effectif de leur activité professionnelle » et souligne que « le centre de l’activité professionnelle d’un salarié est le lieu où, de façon habituelle, il travaille ou celui où il prend son service et retourne après l’accomplissement de sa mission ».
Par un arrêt du 11 juillet 2007, Easy Jet Airlines Company Ltd et Sté Ryanair Ltd (Dr. Soc. 2007, 1159 et s.), le Conseil d’Etat, après avoir relevé que les dispositions précitées sont des dispositions de droit matériel et non des dispositions destinées à régler des conflits de lois, a considéré que des compagnies « low cost » ne pouvaient utilement se prévaloir des stipulations de la Convention de Rome permettant le choix d’une loi étrangère, celles-ci s’appliquant uniquement aux situations de conflits de lois en vertu du paragraphe 1 des l’article 1er de la Convention.
Cet arrêt s’inscrit dans la logique de l’article 20 de la Convention de Rome qui rappelle que ladite convention ne préjuge pas de l’application des dispositions qui règlent les conflits de lois dans les législations nationales harmonisées en exécution des actes émanant des institutions des Communautés européennes et prévoit que dans ce cas la convention doit s’effacer. Or, l’ancien article L. 342-4 du Code du Travail était intervenu pour reproduire dans le droit national les règles posées par la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes refusant de confondre la liberté d’établissement et la liberté de prestation de service et relevait incontestablement de la législation prise pour l’application du droit communautaire.
Le juge des référés prud’homal a eu lui aussi à connaître de la pratique de contournement des dispositions protectrices du code du travail chère aux compagnies « low cost ».
Un stewart travaillait pour le compte de la compagnie VUELING AIRLINES, immatriculée en Espagne, organisant à partir de l’aéroport de ROISSY des vols de court-courriers à destination de plusieurs villes européennes. L’intéressé prenait quotidiennement son service à l’aéroport de ROISSY Charles DE GAULLE, où il revenait dans la journée après l’accomplissement de sa mission. Ce qui lui permettait de regagner chaque soir son domicile parisien.
Après s’être vu brusquement signifié la fin de sa relation de travail avec la compagnie, le jeune salarié saisissait la formation de référé du conseil de prud’hommes de BOBIGNY de plusieurs demandes de provisions sur rappel de salaires et indemnités.
Il lui était alors opposé, pour contester le fondement de ses demandes, que son employeur n’était pas soumis au droit du travail français mais à la législation espagnole, en vertu de la Convention de Rome et d’un contrat faisant le choix de la loi espagnole.
Dans la continuité de l’arrêt précité du Conseil d’Etat, le juge des référés prud’homal n’a pas donné suite à l’invitation au voyage qui était proposée par la compagnie « low cost » et a rappelé l’application de la loi française lorsque l’activité est exercée sur le territoire national et ne comporte aucun élément réel d’extranéité.
L’examen des conditions dans lesquelles le stewart exerçait son activité a permis à la formation de référé de constater que le « détachement » dont se prévalait la compagnie aérienne n’avait aucune réalité et qu’il y avait eu dès l’origine le recrutement d’un salarié résidant en France pour une base aérienne située en France. Le juge des référés ne pouvait donc que relever « le caractère purement opportuniste du choix de la loi espagnole ».
En présence du trouble manifestement illicite constitué par un rattachement artificiel du contrat de travail à la loi espagnole, l’intervention du juge des référés prud’homal était inéluctable. L’application des dispositions du Code du Travail relatives au travail dissimulé et au SMIC donnait incontestablement droit au versement des provisions demandées.
Pascal MOUSSY
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Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
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