Chronique ouvrière

Envie d’une grève ? Il ne faut pas avoir peur d’essayer

samedi 4 mars 2023 par Pascal MOUSSY
Arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2022.pdf

Il résulte des dispositions de l’article L. 2511-1 du Code du travail que « l’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié » et que « tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde est nul de plein droit ».

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 2022 se livre à un rappel utile en soulignant que « la nullité du licenciement d’un salarié n’est pas limitée au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève mais s’étend à tout licenciement prononcé à raison d’un fait commis au cours ou à l’occasion de l’exercice du droit de grève et qui ne peut être qualifié de faute lourde » (voir, au sujet de cet élargissement, G. AUZERO, D. BAUGARD, E. DOCKES, Précis Dalloz de Droit du travail, 36e éd., 1965).

A à la fin des années 1980, un salarié de la société Vidéo Bordeaux affecté à la sécurité de l’usine Marcel Dassault avait, au cours d’une grève à laquelle il participait, introduit dans cet établissement, un autre salarié de la société Vidéo Bordeaux en vue de participer à une réunion de négociation avec la direction. Sa lettre de licenciement lui reprochait cette introduction dans l’usine d’une personne extérieure à l’établissement. Le contentieux suscité par ce licenciement a donné l’occasion à la Cour de cassation de préciser que « la nullité du licenciement d’un salarié gréviste au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève » et qu’« elle s’étend à tout licenciement d’un salarié prononcé à raison d’un fait commis au cours de la grève à laquelle il participe et ne peut être qualifié de faute lourde » (Cass. Soc. 22 janvier 1992, n° 90-44.249 ; Bull. V, n° 19).

Cette extension de la protection du gréviste contre le licenciement a été également reconnue par un arrêt du 16 décembre 1992 à des agents d’EDF qui avaient été licenciés pour avoir, au cours d’une grève dont ils étaient partie prenante, appuyé sur les boutons d’arrêt des tranches n° 1 et n° 2 de la centrale du havre (Cass. Cass. 16 décembre 1992, n° 91-41.215 ; Bull. V, n° 592) et, par un arrêt du 9 mai 2012, à un manutentionnaire ayant participé à un mouvement de grève puis licencié pour « avoir porté atteinte à la réputation de l’entreprise en procédant à la distribution, à la clientèle de tracts dénonçant les conditions de travail et de sécurité au sein de cette entreprise » (Cass. Soc. 9 mai 2012, n° 10-24.307 ; Bull. V, n° 131).

Dans son commentaire de l’arrêt du 9 mai 2012, Bernard GAURIAU a relevé qu’« il est donc nécessaire de distinguer participation à une grève et fait commis au cours d’une grève pour mieux embrasser leur auteur dans une même immunité » (Dr. Soc. 2012, 957).

Dans le contentieux à l’origine de l’intervention de l’arrêt du 23 novembre 2022, le salarié avait été licencié pour avoir tenté d’inciter les membres de son équipe à mener une action de grève en réponse au refus de la direction d’engager du personnel supplémentaire.

« Les faits étaient donc antérieurs au début de la grève, qui n’avait, d’ailleurs pas eu lieu. L’employeur y avait vu une « démarche d’intimidation » envers les collègues et une intention de nuire à l’employeur, justifiant un licenciement pour faute lourde » (observations sur Cass. Soc. 23 novembre 2022, RJS 2/23, n° 102).

Cette « antériorité » n’a pas fait disparaître « l’immunité » résultant des dispositions de l’article L. 2511-1 du Code du travail. La Cour de cassation n’a pas suivi les juges du fond qui avaient refusé de constater la nullité du licenciement en opérant un distinguo entre une « intention d’exercer son droit de grève » et une « incitation à la grève ».

L’élément intentionnel était caractérisé. Le salarié mis en cause tentait de déclencher, même sans succès, un mouvement de grève. Les faits reprochés avaient bien été commis « à l’occasion de l’exercice du droit de grève ». Il n’était pas nécessaire que la tentative soit suivie d’effet. Il suffisait qu’elle ait pour objet le déclenchement de la grève pour que le licenciement du propagandiste à l’arrêt collectif de travail soit entaché de nullité.


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