Chronique ouvrière

Une inspection du travail bicéphale

mercredi 14 septembre 2016 par Simon ROLLAND
CA Paris, 2 mars 2016.pdf

Dans un arrêt du 2 mars 2016, la Cour d’Appel de Paris déclare irrecevable l’appel interjeté par un inspecteur du travail sur une ordonnance rendue en référé le 29 janvier 2016 annulant sa décision d’arrêt de chantier.

En effet, l’article 901 du code de procédure civile prévoit dans les cas de procédure avec représentation obligatoire qu’outre les mentions prescrites à l’article 57 du code de procédure civile, la déclaration d’appel contient notamment, à peine d’irrecevabilité, la constitution de l’avocat de l’appelant. Elle doit être également signée par l’avocat constitué.

En l’espèce, seul l’inspecteur du travail avait signé la déclaration d’appel et celle-ci ne faisait pas mention de la constitution d’un avocat. C’est donc logiquement que le juge d’appel déclare irrecevable l’appel de l’inspecteur du travail.

Mais est-ce simplement une erreur de procédure de l’inspecteur du travail ?

Il faut relever que la hiérarchie de l’inspecteur du travail fait partie des intimés. En effet, la DIRECCTE, service déconcentrée du ministre du travail, représentée par le responsable de l’unité territoriale de Paris conclut dans ses écritures que seule l’autorité hiérarchique a qualité pour faire appel et que par conséquent, en l’absence de pouvoir spécial, l’appel de l’inspecteur du travail est irrecevable.

Le juge d’appel déboute la DIRECCTE car l’arrêt ne remet pas en cause la qualité à agir en appel de l’inspecteur du travail. Ce n’est pas d’un pouvoir spécial dont a besoin l’inspecteur du travail mais d’un avocat !

Evidemment, sa prise en charge financière ne peut être assumée que par l’administration de tutelle de l’inspecteur du travail. C’est un véritable levier de blocage pour une hiérarchie en désaccord avec son agent quitte à ne pas respecter l’article 11 de la convention 81 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui prévoit que l’autorité compétente prendra les mesures nécessaires en vue du remboursement aux inspecteurs du travail de toutes dépenses accessoires nécessaires à l’exercice de leurs fonctions.

En l’absence d’avocat, le juge n’a pas pu trancher sur la différence d’interprétation du droit, entre l’inspecteur du travail et l’autorité centrale, qui fondait le litige contre l’arrêt d’un chantier du tramway de Paris exposant des salariés au risque d’exposition à l’amiante, l’entreprise en cause se prévalant d’une position de la Direction Générale du Travail (DGT).

Dans cette affaire, c’est en fait les fondamentaux de l’action de l’inspection du travail qui sont en jeu.

Il faut rappeler que l’article 6 de la convention n° 81 de l’OIT prévoit que le statut et les conditions de service du personnel de l’inspection du travail doit le rendre indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue.

L’ordonnance n° 2016-413 du 7 avril 2016 relative au contrôle de l’application du droit du travail a modifié récemment l’article L. 8112-1 du code du travail en intégrant la garantie d’indépendance dans le code du travail : « Ils [les inspecteurs du travail] disposent d’une garantie d’indépendance dans l’exercice de leurs missions au sens des conventions internationales concernant l’inspection du travail ».

L’article 4 de la convention n° 81 de l’OIT prévoit que l’inspection du travail est placée sous la surveillance et le contrôle d’une autorité centrale. En France, c’est la DGT qui fait office d’autorité centrale. Son directeur est nommé par le Président de la République par décret en conseil des ministres.

La DGT reçoit en permanence des réclamations de syndicats patronaux multiples ou d’employeurs influents pour demander ses avis sur la réglementation du travail. La DGT considère que ses avis rendus dans ce cadre s’imposent aux agents de contrôle de l’inspection du travail. Elle invoque la notion de doctrine administrative pour légitimer ce processus. Elle met en avant son rôle de coordonnateur pour harmoniser les pratiques. La doctrine administrative peut prendre ainsi des formes multiples : circulaire, note technique, schéma, organigramme, courrier de réponse, fiche …

Ni le code du travail dans son article R. 8121-14 relatif aux compétences de la DGT, ni l’arrêté du 22 juillet 2015 relatif à l’organisation de la DGT ne prévoient cette mission d’interprétation des textes du code du travail. En fait, aucune règle ne vient encadrer ce rôle et les positions sont élaborées dans l’opacité des sous-directions de la DGT.

Il n’y a pas non plus de contrôle interne avant l’émission de ces avis : procédure de concertation avec les agents de contrôle, consultation des syndicats de salarié, transparence sur l’origine et la nature des saisines, avis d’experts indépendants ...

Or, bien souvent, les positions prises par la DGT entrent en contradiction avec la pratique du personnel de l’inspection du travail et son interprétation des dispositions du code du travail plus protectrice pour les salariés. Dans le cas d’espèce, l’arrêt de chantier de l’inspecteur du travail était en contradiction avec la position juridique d’un courrier de la DGT adressé à la Mairie de Paris sur la réalité du risque amiante présent sur le chantier d’un tramway de Paris.

Malheureusement, l’article 61 de la loi travail amplifie cette logique en instaurant un véritable rescrit social aux mains de la hiérarchie de l’inspection du travail pour l’application du code du travail. Le nouvel article L. 5143-1 du code du travail prévoit ainsi :

« Tout employeur d’une entreprise de moins de trois cents salariés a le droit d’obtenir une information précise et délivrée dans un délai raisonnable lorsqu’il sollicite l’administration sur une question relative à l’application d’une disposition du droit du travail ou des stipulations des accords et conventions collectives qui lui sont applicables. Ce droit à l’information peut porter sur les démarches et les procédures légales à suivre face à une situation de fait. Si la demande est suffisamment précise et complète, le document formalisant la prise de position de l’administration peut être produit par l’entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi.  »

Les directions régionales du ministère du travail devront d’ailleurs mettre en place ce service en collaboration avec les chambres consulaires ! Il est certain que les interprétations du droit du travail seront pour le moins compréhensives avec les employeurs avec l’assurance de tenir le juge à distance puisque les positions de l’administration pourront être opposable y compris en justice.

La DGT et sa hiérarchie intermédiaire est donc un relai redoutable des influences extérieures indues au sens de l’article 6 de la convention n° 81 de l’OIT tant est grande sa porosité avec le monde économique et ses intérêts. Par la voie hiérarchique, les influences extérieures indues deviennent des ordres s’imposant aux agents de contrôle de l’inspection du travail.

En définitive, il convient de s’interroger sur les garanties d’indépendance qu’offrent réellement le système français d’inspection du travail si celles-ci peuvent être allègrement contournées notamment par l’intermédiaire de son échelon central et désormais par la mise en place d’un rescrit social complaisant.


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