Avec le troisième témoignage, surgit le doute qui va sauver le salarié "protégé" !
L’actuel article L. 1235-1 du Code du travail réaffirme la règle posée par le dernier alinéa de l’ancien article L. 122-14-3 faisant profiter le salarié des effets bénéfiques du doute. « En cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ».
Le contentieux du licenciement pour faute des salariés investis d’un mandat représentatif a donné l’occasion au Conseil d’Etat de souligner la force de ce principe.
Par son arrêt du 22 mars 2010, Sté CTP PRET A PARTIR (n° 324938), le Conseil d’Etat a souligné qu’une cour administrative d’appel n’avait pas méconnu d’erreur de droit en considérant que le doute subsistant sur l’exactitude matérielle des griefs formulés contre le salarié devait profiter à celui-ci.
Par un arrêt du 6 février 1981, Sté GRUNDIG ELECTRONIQUE (n° 18019, 21401), le Conseil d’Etat, inspiré par une même logique, avait déjà considéré qu’en présence de témoignages contradictoires, la matérialité des faits reprochés au salarié protégé mis en cause, qui n’avait cessé de les nier, ne pouvait être considérée comme établie.
C’est également la lecture des témoignages produits dans le cadre du contentieux qui a conduit le Conseil d’Etat, par son arrêt du 26 décembre 2012, à faire application de la règle du doute.
Pour autoriser le licenciement, l’inspecteur du travail s’était fondé sur deux témoignages de fournisseurs faisant état de sollicitations du salarié investi d’un mandat représentatif en vue d’obtenir des bouteilles de vin à titre de cadeau personnel. Le contentieux suscité par la décision d’autorisation a permis la production devant le juge administratif d’un troisième témoignage révélant des pressions exercées par l’employeur afin d’obtenir des éléments à charge conte le salarié mis en cause.
Il n’y avait pas à proprement parler de contradictions entre les différents témoignages produits sur la réalité des sollicitations abusives reprochées. Mais le troisième témoignage a fait « naître un doute sur les circonstances dans lesquelles ont recueillis les deux témoignages ayant fondé la décision de l’inspecteur du travail ». Le Conseil d’Etat en a déduit qu’il y avait un doute sur la réalité des faits exposés par les témoignages produits par l’employeur.
L’arrêt du 26 décembre 2012 a également permis au Conseil d’Etat de préciser une nouvelle fois la portée du principe qui veut que la légalité d’une décision créatrice de droits soit appréciée à la date à laquelle cette décision a été prise.
Par son fameux arrêt Mattéi du 6 juillet 1990 (Dr. Ouv. 1991, 74), le Conseil d’Etat a souligné que le caractère de décision créatrice de droits attachée à une décision de refus d’autorisation de licenciement prise par l’inspecteur du travail impose au ministre, saisi dans le cadre d’un recours hiérarchique, de se fonder sur des motifs de légalité s’il entend annuler ou réformer cette décision, en tenant compte des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle s’est prononcé l’inspecteur du travail.
Il est donc interdit au ministre de tenir compte de faits postérieurs à la décision de l’inspecteur du travail. « Cependant, cela ne l’empêche pas de tenir compte d’éléments d’appréciation dont l’inspecteur du travail n’avait pas eu connaissance, tels que documents ou éléments de fait confirmant ou révélant une situation préexistante » (J-L REY, « Licenciement de salariés protégés. Les pouvoirs du ministre saisi d’un recours hiérarchique à l’encontre de la décision d’un inspecteur du travail : Les prolongements de la jurisprudence Mattéi », RJS 10/97, 656).
L’arrêt du Conseil d’Etat du 18 janvier 1991, Min. du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle c/ Sté Ateliers Normands (n° 85317), est présenté comme illustrant cette possibilité pour le ministre de tenir compte des informations produites après la décision initiale qui éclairent ou révèlent des faits antérieurs à la décision de l’inspecteur du travail (voir H. ROSE, Y. STRUILLOU, Droit du licenciement des salariés protégés, 4e éd., 1059 et s.).
Le principe posé pour le traitement du recours hiérarchique formé contre une décision créatrice de droits se retrouve lorsque c’est le juge de l’excès de pouvoir qui est invité à se prononcer sur la légalité de la décision de l’inspecteur du travail.
Par un arrêt du 2 février 1996 (n° 149224), le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de souligner que le juge administratif n’a pas à tenir compte de faits postérieurs à l’intervention de la décision de l’inspecteur du travail.
L’arrêt du 26 décembre 2012, après avoir rappelé que « la légalité d’une décision doit être appréciée à la date à laquelle elle a été prise", apporte le même tempérament que celui qui a été amis lors du traitement du recours hiérarchique. « Il incombe cependant au juge de l’excès de pouvoir de tenir compte, le cas échéant, d’éléments objectifs antérieurs à cette date mais révélés postérieurement ».
En l’espèce, « la circonstance que les témoignages du troisième fournisseur aient été obtenus postérieurement à la décision de l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce qu’ils soient pris en compte pour l’appréciation de la légalité de la décision litigieuse dès lors qu’ils concernent des éléments de faits antérieurs à la date à laquelle elle a été prise »
Le troisième témoignage, apparu à l’occasion du contentieux, ne portait pas sur des évènements nouveaux mais donnait un éclairage sur le caractère hypothétique des faits mentionnés dans la demande d’autorisation de licenciement.
Pascal MOUSSY
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