La rupture d’un commun accord, avatar manqué de la "CRP"
En instituant la convention de reclassement personnalisée, la loi du 18 janvier 2005 a permis à la défense patronale de tenter une nouvelle offensive sur le terrain de la rupture d’un commun accord.
En effet, l’article L.321-4-2 du Code du travail énonce désormais que à l’employeur qui n’est pas soumis aux dispositions de l’article L 321-4-3 du même code est tenu de proposer à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique le bénéfice d’une convention de reclassement personnalisée dite « CRP ». Selon ce texte, « en cas d’accord du salarié, le contrat de travail est réputé rompu du commun accord des parties ».
Partant de la lettre du texte, les employeurs avaient imaginé de contester aux salariés licenciés ayant accepté la convention de reclassement personnalisée le droit de contester le motif économique du licenciement. Il a en effet été soutenu, parfois avec succès [1] , que par son acceptation, le salarié aurait en quelque sorte reconnu la validité du motif économique avancé par l’employeur pour rompre le contrat. L’acceptation de la convention de reclassement personnalisée conduirait alors à un mode autonome de rupture pour lequel les règles relatives au licenciement seraient inapplicables. [2].
Dans son arrêt du 5 mars 2008, la Cour de Cassation a tranché cette « vielle question neuve » [3] et mit fin au débat en jugeant, sous le visa des articles L 321-1 et L 321-4-2-I alinéa 4, que « si l’adhésion du salarié à une convention de reclassement personnalisé entraîne une rupture qui est réputée intervenir d’un commun accord, elle ne le prive pas d’en contester le motif économique ».
Par cette décision, la Cour sanctionne la théorie patronale qui voulait en réalité détourner la convention de reclassement personnalisée de son objet (I) pour lui faire produire un effet contraire à ceux voulus par ses concepteurs (II).
I La convention de reclassement personnalisée, modalité d’accompagnement du licenciement pour motif économique
La convention de reclassement personnalisée a été instituée par la loi du 18 janvier 2005. Les débats parlementaires sont dépourvus d’ambiguïté quant au but poursuivi. Ainsi, le rapporteur de la loi présentait l’article 37-4 modifiant l’article L 321-4-2 du Code du Travail de la manière suivante : « cet article vise à favoriser le reclassement externe des salariés dont le licenciement économique est envisagé en substituant au régime actuel du plan d’aide au retour à l’emploi anticipé dit du pré-PARE applicables dans les entreprises de mois de 1000 salariés, une convention de reclassement personnalisée s’inspirant des anciennes conventions de conversion. »
La loi avait renvoyé les organisations patronales ainsi que les syndicats à en définir les modalités de mise en œuvre, lesquelles furent déterminées par accord du 5 avril 2005.
Au terme de l’article 1er de cet accord, il est rappelé que : « il est institué des conventions de reclassement personnalisé dont l’objet est de permettre aux salariés licenciés pour motif économique de bénéficier, après la rupture de leur contrat de travail, d’un ensemble de mesures leur permettant un reclassement accéléré. »
Il sera encore observé que la convention de reclassement personnalisée a été codifiée au sein chapitre 1er du livre II du Code du Travail relatif au licenciement pour motif économique.
Il ne pouvait donc y avoir aucune hésitation quant à la nature de la rupture dans l’hypothèse de l’adhésion par le salarié à une convention de reclassement personnalisée. Il s’agit purement et simplement d’une modalité d’accompagnement du licenciement laquelle a simplement pour objet de faire bénéficier le salarié d’un certain nombre de dispositions censées améliorer ses possibilités de reclassement.
L’adhésion du salarié à la convention de reclassement personnalisée rend la rupture immédiate et lui permet ainsi de bénéficier plus rapidement des aides au reclassement prévues dans le dispositif.
Lors du débat parlementaire, la question de la nature de la rupture réputée intervenue d’un commun accord a d’ailleurs été posée. A cette occasion, il a été indiqué qu’il n’avait jamais été dans l’intention (avouée) du législateur d’empêcher le salarié de contester tant le motif économique du licenciement mais également la légalité de la mesure dans tous ses éléments. Ainsi, Madame de PANAFIEU rapporteur de la loi affirmait : « rien dans cette adhésion ne prive le salarié de son droit à contester la lettre de licenciement et sa motivation, le motif économique du licenciement, les critères relatifs à l’ordre des licenciements et leur mise en œuvre le non-respect de la procédure de réembauchage ou encore l’absence de reclassement comme la Cour de Cassation l’a affirmé s’agissant de l’adhésion du salarié à une convention de conversion.
[4]
La Cour d’appel de PARIS a statué en ce sens dans deux arrêts du 22 mars 2007 : « considérant qu’en définitive aucune disposition, ni aucune raison ne justifie que le droit de contester la cause de son licenciement reconnu à tout salarié licencié pour motif économique, soit retiré au salarié passible d’un tel licenciement, au seul motif qu’il a accepté une convention de reclassement personnalisée. »
La référence réitérée au dispositif de la convention de conversion, dispositif supprimé après le 30 juin 2001 par l’arrivée du « PARE », soulignait opportunément l’analogie avec la jurisprudence rendue en la matière. L’adhésion à la convention de conversion entraînait la rupture du contrat de travail d’un commun accord. Cependant, la Cour de Cassation avait jugé que l’existence d’une convention de conversion impliquait « l’existence d’un motif économique de licenciement qu’il appartient au juge de rechercher en cas de contestation. » [5]
Dès lors qu’il ne s’agit que d’une modalité d’accompagnement du licenciement, il ne pouvait être qu’abusif, sinon malhonnête, de voir dans l’adhésion du salarié à la convention de reclassement personnalisée un mode autonome de rupture insusceptible de contestation sur le motif économique.
Cette thèse fut pourtant défendue. Pour parvenir à ce résultat, la thèse patronale allait détourner la convention de reclassement personnalisée de son objet pour inventer, contra legem, un mode autonome de rupture.
II L’impossible accord du salarié à une rupture inéluctable
L’argumentaire patronal, auquel quelques décisions ont emboîté le pas, s’est construit tout entier autour de ce seul pan de phrase de l’article L 321-4-2-I : « en cas d’accord du salarié, le contrat de travail est réputé rompu du commun accord des parties ».
Oubliant les conditions dans lesquelles le salarié était amené à donner son « accord » à la rupture, les employeurs prétendirent alors voir dans l’adhésion à la convention de reclassement personnalisée un mode autonome de rupture en quelque sorte « débarrassé » de toute obligation découlant de la réglementation du licenciement et ce, naturellement, au bénéfice de l’employeur.
La pirouette est imparfaite. Si un consentement existe, il n’est donné qu’à la seule convention de reclassement personnalisée. En déduire que le salarié, qui deviendrait tout à coup juge et partie dans la rupture, aurait validé le motif économique est hâtif.
Le salarié, qui n’a pas même le choix de poursuivre ou non le contrat, a encore moins celui de valider ou pas le motif économique de la rupture. Si le salarié adhère à la convention de reclassement personnalisée, le contrat est réputé rompu d’un commun accord. S’il n’y adhère pas, le licenciement sera prononcé. L’employeur devra alors motiver la lettre de licenciement conformément à la loi. Il devra aussi justifier de recherches de reclassement et respecter les critères d’ordre des licenciements.
Le salarié n’a pu donc exprimer aucun accord véritable sur une rupture inévitable dont, au surplus, il n’a aucunement l’initiative.
Il s’en déduit nécessairement que l’accord du salarié ne peut porter que sur les modalités de la rupture. Par son acceptation, le salarié rend la rupture immédiate. Et pour lui permettre effectivement de rentrer sans délai dans le dispositif de reclassement et de percevoir les indemnités qui y sont attachées, aucun délai congé ne sera dû par les parties.
Pour autant, et c’est toute la portée de la décision rendue par la Cour de Cassation le 5 mars dernier, la décision de rompre le contrat pour motif économique qui relève du seul fait de l’employeur, doit pouvoir être contestée.
A cet égard, la Cour de Cassation n’a pas manqué de viser l’article L 321-1 du Code du Travail dont l’alinéa 2 énonce que « les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture [mis en gras par nous] du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées à l’alinéa précédent. »
Le salarié qui a adhéré à la convention de reclassement personnalisée pourra donc toujours saisir la juridiction prud’homale en contestant le motif économique voire le non-respect de l’application des critères d’ordre du licenciement.
Il pouvait difficilement en être autrement au risque de conduire à des situations de fait absurdes distinguant plusieurs catégories de salariés.
En effet, la convention de reclassement personnalisée est uniquement proposée par les entreprises employant moins de 1 000 salariés. Les salariés des grandes entreprises auraient donc été les seuls à pouvoir contester dans tous les cas le motif économique du licenciement. D’autre part, parmi ces entreprises de moins de 1 000 salariés, lors d’un licenciement collectif, ceux qui n’auraient pas adhéré à la convention de reclassement personnalisée auraient pu agir en justice, et faire juger le cas échéant l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement, tandis que cette possibilité aurait été interdite aux autres…
L’arrêt du 5 mars 2008 a donc mis fin à la controverse qui s’est fait jour autour de la convention de reclassement personnalisée. Gageons toutefois que le débat n’est pas clos en ce qui concerne la rupture d’un commun accord introduite par l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008.
Annexes
[1] CA Douai 23 février 2007, n°06/01057
[2] Convention de reclassement personnalisée et contestation de la rupture, JC GOURET, Semaine Sociale Lamy n°1313 page 13
[3] Note de Madame Emilie DURLACH Revue Droit du Travail, juin 2007, page 387
[4] Débats AN page 368
[5] CCASS Soc, 29 janvier 1992, pourvoi n°90-43229
Anne GÉRAULT-MARTIN
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