Chronique ouvrière

Viveo : la nullité ne réussit pas à frapper la fraude que la Cour de cassation laisse s’échapper

mercredi 16 mai 2012 par Pascal MOUSSY, Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
Cass. Soc. 3 mai 2012.pdf

Le 3 mai, l’arrêt Viveo est tombé : « L’absence de cause économique ne justifie pas l’annulation du PSE » [1].

Les commentateurs patronaux ont salué l’arrêt très chaleureusement.

« La France est montrée du doigt pour la rigueur de ses règles sociales, mais la France est digne, car elle montre l’exemple contre l’arbitraire en offrant un socle de protection véritable à ses salariés, situation rare comparée aux Etats dans lesquels règle le « licenciement sans cause ».

Ne ridiculisons pas notre Code du travail en entravant les décisions de gestion de nos entreprises.

Si certains abus ont pu être commis par certains, n’oublions pas nos PME, nos chefs d’entreprise réellement contraints de faire face, comme ils le peuvent, à ce désordre économique inquiétant.

La Cour de cassation vient de sauvegarder à la fois l’attractivité économique de la France déjà suffisamment mise en péril et les garanties accordées par nos lois à nos salariés. » [2]

Ceux qui se situent aux côtés du monde du travail ont été plus réservés et ont fait part de leur intention de ne pas en rester là.

« Cet arrêt est rendu alors qu’une vague de plans de suppressions d’emplois, qui auraient été mis en sommeil pendant la campagne, est redoutée après l’élection présidentielle. Le chômage en France est déjà au plus haut depuis 1999 avec près de 2,9 millions de chômeurs en catégorie A ».

« Viveo : malgré l’arrêt de la Cour de cassation, le combat continue contre les plans sociaux » [3] .

Nous situant bien évidemment dans le second camp, nous encourageons ceux qui entendent faire juger qu’il ne suffit pas que l’employeur présente un « plan de sauvegarde » bien ficelé pour qu’échappent à l’annulation les licenciements ayant une cause illicite.

I. La Cour de cassation refuse de distinguer la sanction de l’inexistence manifeste du motif économique de celle de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

C’est au visa de l’article L. 1236-10 du Code du travail qui prévoit que « seule l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi soumis aux représentants du personnel entraîne la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique » que l’arrêt rendu le 3 mai 2012 par la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que « la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ».

Cette solution a été présentée dans le rapport du Conseiller Pierre BAILLY comme s’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence de la Chambre sociale qui « a, dès 1996, fait une distinction entre le contrôle du plan social et la vérification de la cause du licenciement » [4].

Il doit être souligné que les six arrêts cités par le conseiller rapporteur concernent l’appréciation portée par le juge sur la cause invoquée par l’employeur pour justifier la réorganisation conduisant à une suppression ou transformation de l’emploi ou à une modification d’un élément essentiel du contrat de travail.

Or, ceux qui ont invité la Chambre sociale à ne pas entrer en voie de cassation ont insisté sur le fait que, dans l’affaire Viveo, il ne s’agit pas pour le juge de se livrer à une vérification de la cause réelle et sérieuse du licenciement, mais à un contrôle de l’existence du motif économique.

« Le vice qui affecte de type de licenciement n’est pas seulement une absence de cause réelle et sérieuse, mais plus radicalement une inexistence du motif » [5].

« Dans l’affaire Vivéo, l’inexistence du motif est manifeste. Or l’employeur se prévaut pourtant d’une sorte d’immunité économique, « charbonnier est maître chez lui », et s’abstient, même à titre subsidiaire, de justifier de ses actes de gestion devant les juges et avant, auprès des représentants du personnel »… « Il faut aussi souligner que l’inexistence manifeste d’un motif économique reste un fait relativement rare. La sanction de nullité ne frappera donc qu’une délinquance sociale manifeste, celle dont le mépris des règles la conduit à frontalement violer le code du travail. Dans ces conditions une telle solution posera un principe fort sans fragiliser des entreprises, au demeurant et par hypothèse en bonne santé économique » [6].

Mais l’arrêt du 3 mai n’a pas voulu affirmer le principe d’une condamnation efficace d’une inexistence manifeste du motif économique, se réfugiant derrière le distinguo entre la sanction du plan de sauvegarde de l’emploi irrégulièrement conçu et celle d’une absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

II. Le plan de l’employeur qui se prévaut faussement d’un motif économique, pour faire prendre en charge par l’assurance chômage un groupe de travailleurs qui a œuvré pour la prospérité de l’entreprise, a une cause illicite.

Le « détournement de pouvoir » a été proposé comme l’un des fondements possibles de la nullité du plan contesté dans l’affaire Viveo, « tant il semble bien correspondre à l’objectif recherché, à savoir sanctionner les procédures de licenciement engagées en connaissance de ce que la raison économique ne correspond pas à celles admises par le législateur » [7].

Dans une optique voisine, les voies de la fraude et de la cause illicite mériteraient également d’être explorées.

La fraude se définit comme « un détournement de la règle de droit constituant dans la mise en œuvre de règles juridiques pour en tirer un profit illégitime » [8]. Dans une hypothèse de fraude, « le sujet cherche à obtenir un avantage dont il aurait dû être normalement privé ou à échapper à une obligation à laquelle il était tenu » [9].

Il ressort du principe contenu dans l’adage « Fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout) que la fraude doit faire l’objet d’une sanction de nature à neutraliser le trouble causé à l’ordre social causé par le fraudeur. « La fraude prive d’effet tout ce qu’elle couvre » [10].

L’acte juridique frauduleux peut être frappé d’une nullité qui « l’anéantit complètement » [11]. « La maxime « fraus omnia corrumpit est un précieux instrument de défense de l’ordre juridique. Parce que la fraude « fait exception à toutes les règles », la ruse immorale, qui trouble l’organisation sociale, est déjouée. Le fraudeur est pris à son propre piège car il reste largement prisonnier du mécanisme qu’il a déclenché, sans pour autant atteindre le résultat prohibé qu’il visait » [12].

Il a été relevé qu’ « il subsiste un large secteur où l’on peut hésiter entre l’application de l’adage « fraus omnia corrumpit » et la nullité pour cause illicite » et que « la plupart du temps, l’intention frauduleuse peut donner lieu à l’application de l’article 1131 du Code civil tel que l’interprètent les tribunaux » [13].

L’article 1131 du Code civil pose le principe que « l’obligation sans cause ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun objet ». Il est précisé par l’article 1133 du Code civil que « la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ».

Il a été jugé par la Cour de cassation, à propos de l’article 1133 du Code civil que « la cause est illicite quand elle est contraire à l’ordre public sans qu’il soit nécessaire qu’elle soit prohibée par la loi » [14].

Il peut s’agir de préserver des règles de « morale sociale » qui recèlent « une valeur sociale propre à contribuer à l’organisation de la société ». Ce qui peut donner lieu à l’annulation d’actes tendant « à réaliser un gain considéré comme immoral » [15].

La sanction de la cause illicite ou immorale ne peut être qu’une nullité absolue, dans la mesure où « c’est l’intérêt général qui est concerné » [16].

Nous sommes bien dans une logique de cause illicite lorsque l’employeur, pour échapper à ses obligations ou pour réaliser un gain contraire à la morale sociale, présente faussement comme étant de nature économique les ruptures de contrat de travail envisagées dans le plan de sauvegarde de l’emploi.

Le plan de l’employeur vise à s’exonérer de son obligation de verser une rémunération à un groupe de travailleurs qui a œuvré à la prospérité de l’entreprise, qui a manifestement conservé sa bonne santé, et à faire prendre en charge par l’assurance chômage le coût de leur indemnisation.

La morale et l’ordre public social sont loin d’y trouver leur compte.

Il s’agit, pour ceux qui veulent continuer le combat, d’attirer l’attention des juges sur le fait qu’il ne saurait être accepté que les cotisations versées par la collectivité de ceux qui financent l’assurance chômage contribuent au profit de celui qui s’est prévalu d’un motif économique de licenciement manifestement inexistant.

[1Liaisons sociales du 7 mai 2012.

[4P. BAILLY, « Les conditions d’annulation de la procédure de licenciement pour motif économique », Semaine sociale Lamy, n°1537 du 7 mai 2012, 9.

[5P. LOKIEC, A. LYON-CAEN, “Contre la violation efficace du droit du licenciement. A propos de l’affaire Viveo », Semaine sociale Lamy n° 1532 du 2 avril 2012, 8.

[6« Arrêt Vivéo : la position de la CGT », Dr. Ouv. 2012, 278 et s.

[7P. LOKIEC, A. LYON-CAEN, art. préc., 9.

[8Voir, à ce sujet, J.L. AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 7e éd., 222.

[9J. GHESTIN, G. COURBEAUX, Traité de droit civil, Introduction générale, 4e éd., 801.

[10J.L. AUBERT, op. cit., 223.

[11J. GHESTIN, G. COURBEAUX, op. cit., 818.

[12J. GHESTIN, G. COURBEAUX, op. cit., 820.

[13J. GHESTIN, G. COURBEAUX, op. cit., 822.

[14Voir, à ce sujet, J. GHESTIN, Traité de droit civil, Les obligations. Le contrat : formation, 2e éd., 92.

[15J. FLOUR, J.L. AUBERT, E. SAVAUX, op. cit., 255 et 264.

[16Voir Ph. SIMLER, « Contrats et obligations. Cause. Illicéité ou immoralité de la cause », Jurisclasseur civil, Fasc. 30, 17.


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