Chronique ouvrière

Lorsque précarité et nullité font la une à France Télévision !

mercredi 30 novembre 2011 par Pascal MOUSSY
CA Paris 15 septembre 2011.pdf

Frédéric RINAURO, employé par la société France Télévision en qualité de chef opérateur prise de son, a vu la Cour d’appel de Paris, par son arrêt du 15 septembre 2011, requalifier en contrat à durée indéterminée les contrats à durée déterminée successifs dont il était titulaire depuis le 2 novembre 1999.

Les juges ne se sont pas laissés arrêter par l’argument selon lequel l’audiovisuel est l’un des secteurs d’activité dans lequel il est d’usage constant de ne pas recourir aux contrats à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Ils ont rappelé que la requalification s’impose à partir de l’instant où il est constaté que les contrats à durée déterminée sont utilisés pour pourvoir des emplois permanents correspondant à l’activité normale et quotidienne de l’entreprise.

Et ils ont relevé qu’en l’espèce, Frédéric RINAURO, en qualité de chef preneur son, avait occupé, à travers ses différents contrats à durée déterminée, un emploi permanent correspondant à l’activité normale de France Télévision, répondant à un besoin structurel de cette entreprise.

Frédéric RINAURO a également obtenu la requalification de ses contrats présentés par l’employeur comme conclus pour des missions ponctuelles en un contrat de travail à temps plein.

Il n’était produit devant les juges aucun « contrat de travail cosigné par les parties correspondant à la mission confiée au salarié à compter du 2 novembre 1999 » et donc aucune « information précise sur les modalités d’exécution de cette mission ». La Cour d’appel en a justement déduit qu’il y avait une présomption de travail à temps complet.

La Cour n’a pu ensuite que constater que l’employeur ne rapportait pas la preuve de ce que le salarié, subissant les contraintes de la production audiovisuelle relevant de la chaîne, était placé dans la possibilité de prévoir à quel rythme, à quels moments et pour quelle durée exacte il devait travailler. Frédéric RINAURO devait donc se tenir à disposition de son employeur.

La requalification en contrat à temps complet s’imposait.

Mais ce n’est pas cette double requalification, en contrat à durée indéterminée et en contrat à temps plein, qui fait mériter à la décision ici commentée de passer à la une. Les sanctions judicaires à l’encontre des contrats qui entretiennent la précarité en toute irrégularité deviennent de plus en plus fréquentes et le présent arrêt n’en est qu’une illustration récente.

Mais l’arrêt du 15 septembre 2011 doit être remarqué, pour ne pas dire célébré, en ce qu’il frappe de nullité le licenciement ayant voulu faire passer l’envie d’ester en justice pour réclamer la requalification.

I. Le licenciement tentant d’entraver l’exercice de la liberté fondamentale d’accéder au juge a été déclaré nul.

Il a été relevé par la Cour d’appel qu’il était indéniable et nullement contredit par la société France Télévisions qu’après la saisine du conseil de prud’hommes, alors que Frédéric RINAURO bénéficiait depuis 10 ans, régulièrement et chaque année, de contrats à durée déterminée pour des tâches de preneur de son, plus aucune mission ne lui a ensuite été confiée pour le compte de France Télévisions. « En l’absence de toute autre explication plausible avancée, cette attitude adoptée par la société France Télévisions, non seulement à l’égard de M. Frédéric RINAURO mais également à l’égard de deux de ses collègues pour lesquels le même syndicat SNRT-CGT avait saisi le même jour le conseil de prud’hommes aux mêmes fins, était manifestement destinée à dissuader le salarié et, le cas échéant, ses collègues, d’ester en justice pour réclamer la requalification de leur contrat de travail en contrat à durée indéterminée et à échapper, en ce qui concernait l’employeur, aux conséquences de cette requalification ».

La Cour a considéré que cette tentative patronale de dissuasion était constitutive d’une violation manifeste de la liberté d’accéder à un juge, liberté fondamentale consacrée par divers instruments internationaux et notamment par l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui affirme que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial ».

Les juges ont considéré qu’il était secondaire que la tentative de dissuasion n’ait pas été suivie d’effet, les salariés demandeurs à la requalification, forts du total engagement à leurs côtés de leur organisation syndicale, n’ayant pas flanché. Ce qui importait, c’était que l’arrêt de la fourniture de travail avait pour objet d’empêcher le plein exercice de la liberté fondamentale.

La nullité du licenciement s’imposait alors comme la sanction la plus adaptée pour frapper d’inefficacité la démarche patronale liberticide.

Cette liberté d’accès au juge relève fort certainement des libertés individuelles visées par l’article L. 1121-1 du Code du travail, qui pose le principe que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne serait pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

II. La nullité aurait pu également être prononcée en présence d’un licenciement intervenu en raison de l’activité syndicale.

La lecture de l’arrêt du 15 septembre suscite une autre piste de réflexion, déjà amorcée par l’intervention d’un jugement rendu le 23 février 2005 par le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt (voir CPH Boulogne-Billancourt, 23 février 2005, UD CGT agissant en faveur de François Moussy c / Monoprix exploitation, Dr. Ouv. 2005, 397 et s., note P. Moussy).

Comme l’a relevé la Cour d’appel, c’est le syndicat SNRT-CGT, agissant sur le fondement de l’article L. 1247-1 du Code du travail qui permet aux organisations syndicales représentatives d’agir en substitution pour obtenir la requalification de contrats à durée déterminée irréguliers en contrat à durée indéterminée, qui a saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir la requalification des contrats précaires imposés à Frédéric RINAURO.

Et il ressort également des constatations de la Cour que l’organisation syndicale a saisi la juridiction prud’homale alors que Frédéric RINAURO était en cours d’exécution d’un nouveau contrat à durée déterminée.

Ce constat n’est pas mince.

L’article L. 1245-2 (ancien article L. 122-3-13) du Code du travail prévoit une procédure d’urgence (saisine directe du bureau de jugement qui doit alors statuer dans un délai d’un mois – la décision de requalification est exécutoire à titre provisoire) qui doit permettre au conseil de prud’hommes de prononcer le plus vite possible, avant l’échéance du terme du contrat, la requalification en contrat à durée indéterminée.

Mais beaucoup de salariés victimes de contrats à durée déterminée illégaux ne profitent pas de cette procédure spéciale mise en place par la loi du 12 juillet 1990 (F. Saramito, « Le CDD après la loi du 12 juillet 1990 », Dr. Ouv. 1991, 237). Soit parce qu’ils ne sont pas informés de son existence. Soit parce qu’ils n’osent pas aller aux Prud’hommes obtenir « à l’arraché » la requalification de leur contrat. Ils ont en effet peur, à tort ou à raison, d’avoir un « CDI » des plus précaires, leur employeur se dépêchant des « balancer » à la première occasion venue.

Mais la confiance en soi, qui permet de s’engager sur le chemin qui conduit au bureau de jugement avant que survienne la fin du contrat à durée déterminée, peut être insufflée par les dispositions du Code du travail qui permettent à l’organisation syndicale d’agir « en substitution », pour le compte du salarié précaire, en vue d’obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée.

L’UL CGT de la zone aéroportuaire de Roissy avait à l’époque fait la une en agissant « en substitution » pour le compte de plusieurs dizaines de salariés de la société Servair (voir, sur cette procédure, Cass. Soc. 1er février 2000, Servair c. Union locale CGT de Roissy, en annexe de M.L. Dufresne-Castets, « Actualité des actions de substitution et des actions collectives, Dr. Ouv. 2004, 127 et s.).

On connaît les difficultés à obtenir la réintégration en l’absence de texte spécial prescrivant la nullité du licenciement du salarié évincé de l’entreprise pour avoir osé aller aux Prud’hommes afin d’obliger l’employeur à requalifier le contrat (voir Cass. Soc. 13 mars 2001, Hugues c. Société France Télécom, Dr. Ouv. 2001, 301 et s., note M.F. Bide-Charreton : la Cour de cassation n’a pas jugé opportun d’admettre que le licenciement de la salariée qui venait d’agir en justice pour obtenir la requalification constituait une atteinte à une liberté fondamentale).

Mais lorsque la requalification a été obtenue grâce à l’action syndicale, le doute n’est plus possible. Les dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 (ancien article
L. 122-45) du Code du travail sont limpides. Le licenciement intervenu en raison de l’activité syndicale est nul. Si le salarié le souhaite, le juge prud’homal doit ordonner la poursuite du contrat de travail qui n’a pu être valablement rompu (tout le monde aura compris qu’il s’agit de la réintégration).


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