Chronique ouvrière

Xavier MATHIEU relaxé ! Les syndicalistes au combat n’ont pas à donner leur ADN !

vendredi 1er juillet 2011 par Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
TGI Compiègne 28 juin 2011.pdf

Nous nous souvenons tous de l’« affaire Continental », commencée le 11 mars 2009 avec l’annonce à la presse de la fermeture définitive de son usine de CLAIROIX par la direction générale allemande de la société, alors qu’en 2007 elle s’était engagée par voie d’accord à maintenir la pérennité du site en contrepartie d’un retour à quarante heures de travail hebdomadaire et avait fermement démenti les rumeurs de fermeture du site en 2008.

Nous nous souvenons aussi de l’indignation tapageuse de plusieurs ministres et du Président de la République devant le caractère à la fois brutal et illégal du comportement de l’employeur, les uns et les autres proclamant que ces faits ne devaient pas rester impunis. Pourtant, aucune poursuite ne sera engagée par le Parquet à l’encontre de la société CONTINENTAL pour les délits d’entrave commis au cours de la procédure.

De leur côté, les représentants du personnel avaient saisi le Tribunal de Sarreguemines afin de voir suspendre le processus de restructuration et faire interdiction à la société CONTINENTAL de mener son plan de fermeture de l’entreprise. Dans l’esprit des salariés en lutte pour la survie de leur entreprise et la préservation de leurs emplois, la décision de justice à intervenir devait permettre d’empêcher la disparition du site. Ce sursis qui allait leur être accordé devant être mis à profit pour que s’engage enfin une véritable négociation avec l’aide qui leur avait été promise par les plus hautes instances de l’Etat. C’est dans ces conditions que, le 21 avril, il était décidé par un vote de l’assemblée générale des salariés que les quelques 700 personnes présentes dans l’attente du délibéré du Tribunal de Sarreguemines se rendraient à la sous-préfecture de Compiègne en manifestation, afin qu’il soit demandé à Madame la Sous-préfète de rétablir le lien avec le Ministère désormais injoignable. Malgré l’angoisse qui les tenaillait, les salariés attendaient dans le calme. Cependant, lorsqu’ils eurent compris que tant la justice, lors de l’annonce de la décision défavorable du Tribunal de Sarreguemines, que les pouvoirs publics, qui ne répondaient à aucun appel, les laissaient seuls face à l’employeur, la colère et le désespoir des centaines de personnes présentes ont explosé. Il s’en est suivi des débordements au sein de la sous- préfecture, puis dans l’usine de Clairoix. C4est alors seulement que le Secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation annonçait enfin la tenue de la réunion tripartite (Etat/employeur/représentants du personnel) promise par le Conseiller social du Président. Ensuite, de véritables négociations étaient enfin entamées, qui devaient aboutir à un accord entre la direction et l’intersyndicale, lequel accord améliorait les conditions de départ des salariés licenciés et prévoyait également l’abandon de toutes poursuites à l’égard de quiconque. La société s’engageait à retirer la plainte avec constitution de partie civile qu’elle avait déposée. En contrepartie, l’intersyndicale renonçait à poursuivre les délits d’entrave commis par la direction.

Pourtant, dans le même temps, Madame Alliot-Marie, alors Ministre de l’intérieur et François Fillon, Premier Ministre annonçaient avec le même entrain que précédemment que des poursuites auraient lieu. Cette fois, leur annonce allait être suivie d’effet. Quelques semaines plus tard, la direction de la société désignait aux enquêteurs sept salariés tous membres du comité de grève. Ceux-ci étaient cités à comparaître devant le Tribunal de grande instance de Compiègne, qui les condamnait à une peine d’emprisonnement assortie du sursis simple pour détérioration ou destruction de biens destinés à l’utilité ou la décoration publique. Par arrêt du 5 février 2011, le jugement était réformé par la Cour d’appel d’Amiens qui prononçait des peines d’amende.

Xavier Mathieu, porte-parole des ‘Conti’ est l’un des onze-cent-vingt salariés de l’usine de Clairoix dont l’emploi a été supprimé et l’un des six condamnés pour les actes commis par les trois cents manifestants présents dans la sous-préfecture de Compiègne.

A la suite de cette condamnation le Parquet faisait convoquer Xavier Mathieu le 6 juillet 2010 à la gendarmerie pour qu’il soit « procédé à un prélèvement de ses cellules buccales aux fins d’alimentation du fichier national automatisé des empreintes génétiques ». Xavier Mathieu refusait ce prélèvement destiné à alimenter le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Il déclarait aux enquêteurs que c’est en sa qualité de syndicaliste qu’il avait été condamné, qu’il ne se considérait pas comme un délinquant, contestait sa responsabilité pénale et refusait le principe du fichage.

Le Parquet décidait alors de poursuivre Xavier MATHIEU pour « avoir (…) refusé de se soumettre au prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse de l’identification de son empreinte génétique ; faits prévus et réprimés par les articles 706-56§I al.1, § II al.1, 106-54 al.1, 706-55, R 53-21 du Code de procédure pénale et réprimés par les articles 706-56 §II al. 1 et al. 3 du Code de procédure pénale. ».

Par son jugement du 28 juin 2011, le Tribunal correctionnel de Compiègne rejetait l’exception d’illégalité soulevée (I), mais prononçait la relaxe de Xavier Mathieu sur le fondement de la l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 (II).

I – SUR L’ILLEGALITE DU DECRET N°2004-470 DU 25 MAI 2004

Le fichier national automatique des empreintes génétiques (ou FNAEG) a été créé par la loi Guigou en juin 1998. Initialement destiné aux auteurs d’infractions sexuelles, son champ n’a cessé d’être élargi, d’abord par la loi Vaillant, encore dite de « sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001, aux atteintes volontaires à la vie de la personne, aux actes terroristes et aux atteintes aux biens accompagnées de violence. Cette extension du fichier était sensiblement accentuée par la loi Sarkozy du 18 mars 2003 dite de « sécurité intérieure », qui étendait son champ d’application à plus d’une centaine d’infractions, prévoyant également d’y faire figurer les personnes « à l’encontre desquelles il existe des indices graves et concordants  ». Enfin, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (ou Loppsi 2), adoptée le 10 mars 2010, abaissait les seuils de peine et permettait une simplification de la mise à jour du FNAEG.

L’ensemble des règles relatives au FNAEG relèvent des articles 706-54 à 706-56 R53-10, R 53-11 du Code de procédure pénale.

S’appuyant sur l’article 111-5 du Code pénal qui donne compétence aux juridictions pénales pour « interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis  », Xavier Mathieu soulevait l’illégalité du décret du n°2004-470 du 25 mai 2004, qui confie la constitution du fichier, selon le cas, au procureur de la République ou du procureur général.

Ce moyen lui était ouvert par la formule très large employée dans l’article 111-5 autorise le juge « à examiner, non seulement les actes administratifs pénalement sanctionnés, mais également ceux qui, sans être assortis d’une sanction pénale, déterminent l’application du texte répressif.  » (Desportes et Leguhénec, « Droit pénal général », Economica 15ème ed., n°174 et s.). En outre, à l’instar des tribunaux administratifs, il entre dans l’office des juridictions répressives de contrôler tant la légalité que la constitutionnalité des actes administratifs.

(Desportes et Leguhénec, « Droit pénal général », Economica 15ème ed., n°281)

Or, au nom du principe de la légalité des délits et des peines contenu dans l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et de l’article 34 de la Constitution, c’est «  la loi [qui] fixe les règles concernant (…) la procédure pénale ».

Le Conseil constitutionnel a eu maintes fois l’occasion de rappeler que, dans la mesure où elle met en jeu les droits et libertés fondamentaux des citoyens, la procédure pénale fait partie des matières relevant intégralement de la compétence législative. C’est ainsi qu’il précisait notamment que relève de la compétence parlementaire la fixation d’un délai dont l’inobservation constitue l’infraction (Con. Const. 69-55 L du 26 juin 1969), le choix des cas où une juridiction pénale siège à juge unique ou en formation collégiale (Con. Const. 75-56 DC du 23 juillet 1975), l’attribution compétence à une juridiction de l’ordre judiciaire (Con. Const. 80-113 L du 14 mai 1980), la disposition attribuant compétence à une juridiction de l’ordre judiciaire (Con. Const. 80-113 L du 14 mai 1980), le principe de l’envoi direct d’un procès- verbal d’infraction au Procureur de la République (Con. Const. 87-149 L du 20 février 1987), la détermination des agents ou catégories d’agents habilités à constater des infractions pénales (Con. Const. 92-172 L du 29 décembre 1992) ou la détermination du champ d’application de la loi pénale (Con. Const. 98-399 DC du 5 mai 1998).

Le principe de la compétence exclusive a pour conséquence l’inconstitutionnalité des immixtions règlementaires dans la procédure pénale dont l’édiction est réservée au législateur.
En attribuant par voie de décret au ministère public le pouvoir exclusif de décider de manière discrétionnaire du choix des personnes à convoquer pour un prélèvement d’ADN et de leur enregistrement dans le fichier, le règlement confère un pouvoir considérable au parquet sur la constitution du FNAEG et sur les droits des personnes. L’article R 53-21 accroît encore ce pouvoir dans la mesure où, si le ministère public ne prend aucune décision dans le délai d’un an, le fichage n’est plus possible.

S’agissant de règles relevant de la procédure pénale, dont l’application n’est pas sans incidence sur l’exercice des libertés publiques, leur édiction est réservée à la compétence exclusive du législateur.

Il était donc soutenu que, le décret étant entaché d’illégalité, il en résultait nécessairement que les poursuites en étaient affectées. En effet, l’illégalité du texte réglementaire dont dépendait la solution du procès pénal privait de tout fondement la poursuite exercée à l’encontre de Xavier MATHIEU.

Le Tribunal n’a pas retenu ce moyen.

Pour les premiers juges, à travers l’article R53-10 du Code de procédure pénale le pouvoir règlementaire se serait borné, sans excéder ses compétences, à poser les modalités d’application de la loi qui a institué le fichier et définit l’incrimination, ce qu’elle seule pouvait faire.

Par cette motivation, le Tribunal omet de répondre à la question de la compétence de l’autorité administrative pour attribuer au ministère public le pouvoir discrétionnaire de choisir les personnes qui doivent figurer au FNAEG.

S’il n’a pas voulu s’attaquer à la légalité du décret, le juge judiciaire a néanmoins pleinement joué son rôle de gardien des libertés individuelles.

II – COMMENT LIMITER LES EFFETS D’UNE LOI LIBERTICIDE

Le tribunal pouvait s’adresser aux garanties apportées par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, dont l’article 8 proclame un certain nombre de droits fondamentaux parmi lesquels le Droit au respect de la vie privée et familiale et à la protection du domicile, qui est sans doute le droit fondamental le plus altéré par les investigations qui peuvent être conduites dans le cadre de la procédure pénale.

Ainsi, si la prévention des infractions pénales constitue l’un des buts qui justifient qu’il puisse être porté atteinte à ce droit, une telle atteinte doit être nécessaire et proportionnée. Le juge doit donc s’assurer, au cas par cas, au-delà du respect des conditions légales, que l’atteinte à la vie privée est effectivement nécessaire à la manifestation de la vérité et que, par son ampleur ou sa durée, elle n’excède pas ce qui est utile à cet effet.

S’agissant du prélèvement à des fins de fichage génétique, il convient de rappeler que dans son arrêt du 4 décembre 2008 relatif à l’affaire S. et Marper c. Royaume-Uni, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a considéré qu’ils constituaient une limitation du droit au respect de la vie privée. Elle a donc admis que l’on puisse s’interroger sur le point de savoir si cette limitation prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était proportionnée dans une société démocratique conformément à l’article 8, paragraphe 2 de la Convention européenne (Arrêt S. et Marper c. Royaume Uni 305562/04 et 305566/04).

Certes, le constat de violation auquel elle avait abouti concernait des fichiers conçus sans aucune limitation de durée. Cependant, il convient de rappeler qu’une critique identique peut être portée à l’égard d’un fichier dont la durée de conservation prévue par le décret atteint quarante années, ce qui est considérable au regard d’une vie humaine.

Par ailleurs, il n’est pas indifférent qu’aux termes du décret, le fichier soit alimenté uniquement selon le bon vouloir du parquet, sa décision s’imposant pourtant au regard du caractère contraignant de la mesure en cause. Ainsi, le choix discrétionnaire dont dispose le ministère public permet de créer une discrimination inacceptable entre les condamnés. Or, une telle personnalisation de la mesure n’a pas été autrement prévue par le législateur et ne pourrait l’être, au risque d’une violation de l’article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme

Pourtant, ce n’est pas au droit européen, mais est aux principes et règles du droit national que s’est adressé le juge pour refuser de condamner le syndicaliste, ces règles apparaissant au demeurant comme des déclinaisons du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la CESDH, mettant en évidence d’autres modalités de violation de cet article par la loi et les dispositions règlementaires applicables au FNAEG.

C’est dans la loi du la loi 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés que l’antidote aux dispositions instituant un fichage systématique sera trouvé.
Il doit en effet être rappelé que cette loi a vocation à s’appliquer à tous les fichiers, quelle qu’en soit la nature. (Cons. Constit. 2003-467 DC du 13 mars 2003)

Le jugement du 28 juin 2011 est à rapprocher de deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Montpellier des 21 octobre 2008 (approuvé par Cass. Crim. 27 mai 2009, pourvoi n°09-80328) et 9 septembre 2010 rendus dans des espèces différentes, puisqu’il s’agissait de faucheurs d’OGM dont la condamnation portait sur une infraction qui ne figure pas dans la liste de l’article 706-55. Cependant, pour relaxer les prévenus, précédant ce moyen, la Cour reprend les conditions de création du fichier FNAEG, mis en place à l’origine pour les infractions les plus graves et portant atteinte à l’intégrité des personnes, pour conclure « le recueil d’ADN du prévenu était inadéquat, non pertinent, inutile et excessif. Le prélèvement n’étant pas justifié au regard des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ».

Dans des termes comparables, visant l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le Tribunal met en rapport le caractère exigé des données recueillies pour les fichiers avec le but poursuivi par la loi qui a créé le FNAEG. Celles-ci doivent non seulement être adéquates, pertinentes et non excessives, mais elles doivent l’être au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées, c’est-à-dire « en vue de faciliter l’identification et la recherche des auteurs d’infractions ».

Cependant, le tribunal va plus loin et opère clairement une distinction, s’agissant des dégradations volontaires de bien à l’origine de la condamnation, entre les «  faits [qui] ont été commis en plein jour, dans le cadre d’une manifestation organisée et [qui] s’inscrivent dans une logique parfaitement lisible de combat syndical » et ceux qui s’inscriraient « dans une démarche à vocation purement délinquante et antisociale ». Les premiers ne relevant « aucunement d’un engagement délibéré ou d’un cheminement conscient et volontaire dans la voie délinquante » rendent le recueil de l’ADN de la personne ne cause en vue de son identification ou de sa recherche «  inadéquat, non pertinent, inutile et excessif ».

Cette décision applique pleinement le principe de proportionnalité qui veut que l’atteinte considérable à l’intimité de la vie privée constituée par le prélèvement d’ADN ne soit justifiée que dans la mesure où le fichage de la personne en cause est absolument et évidemment nécessaire conformément au but affiché par la loi.

En l’espèce, le tribunal a tenu compte de ce que Xavier MATHIEU a été poursuivi et condamné à partir d’images télévisées diffusées sur toutes les chaînes publiques et privées de France et qu’il n’a jamais prétendu ne pas avoir été présent sur les lieux. A son égard, l’infraction étant antérieure et élucidée, il n’y a donc plus lieu d’avoir à identifier ou rechercher la personne. Au demeurant, aucune recherche n’a été opérée visant à trouver une trace physique de Xavier MATHIEU sur un objet quelconque, les juges s’étant borné à affirmer qu’il aurait détruit, détérioré ou dégradé certains biens sans se soucier de les identifier. Le prélèvement opéré dans ces cas est donc en totale contrariété avec le but affiché par la loi.

Cette décision est intéressante en ce qu’au regard des principes retenus elle ôte son caractère d’automaticité à l’infraction de refus de prélèvement d’ADN et préserve ainsi les libertés individuelles.

Cependant son plus grand intérêt réside dans la distinction opérée entre deux types d’infractions, celles qui relèvent du droit commun, traduisant « une démarche à vocation purement délinquante et antisociale  » et celles qui « s’inscrivent dans une logique parfaitement lisible de combat syndical  ».

Elle s’inscrit enfin à contrecourant de la logique de responsabilité collective parfois retenue pour les actes commis au cours d’une manifestation.

Cette décision réhabilite des droits politiques rarement rappelés par les juges.


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