Contre l’accord UIMM, pour les 35 heures et le droit à la formation, le long combat de la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT continue de porter ses fruits.
Quarante cinq jours après la promulgation de la loi dite « Aubry I » du 13 juin 1998, un accord national sur l’organisation du temps de travail dans la métallurgie avait été conclu le 28 juillet 1998 entre le syndicat de choc patronal UIMM et les syndicats FO, CFTC et CFE-CGC. Cette signature avait été saluée comme « une victoire politique » [1] par le délégué général de l’UIMM, Monsieur Gautier-Sauvagnac. Dans un état d’esprit identique, le 29 janvier 2000, deux avenants tenant compte des données nouvelles issues de la loi dite « Aubry II », promulguée dix jours plus tôt, allaient être signés entre les mêmes partenaires. Malgré l’opposition dela CGT et de la CFDT, syndicats majoritaires dans la métallurgie, et les critiques justifiées de Madame Aubry portées à l’encontre de l’accord initial, qualifié par la même de « virtuel » [2] et d’« idéologique » [3] , la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, procédait néanmoins à l’extension de son avenant par arrêté du 31 mars 2000.
La Fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT formait un recours devant le Conseil d’Etat contre la décision du Ministre, et obtenait, par arrêt du 28 mars 2001 le renvoi à l’autorité judiciaire de l’examen des dispositions de l’Accord relatives au délai de prévenance des changements d’horaires.
Saisi depuis le 8 mars 2001 par la même fédération CGT, le 18 mars 2003, le Tribunal de Grande Instance de Paris se déclarait valablement saisi de la question préjudicielle posée par la juridiction administrative et la recevait en son action. Outre le refus de voir nier aux salariés travaillant en cycles la liberté de choisir, au moins pour partie, les dates des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail, l’exigence d’une plus grande rigueur dans le calcul du nombre de semaines travaillées et l’interdiction d’une valorisation du compte épargne temps en argent, le Tribunal donnait gain de cause à la fédération CGT dans son combat contre les deux axes principaux de l’accord. Il annulait, d’une part une partie importante du dispositif d’annualisation du temps de travail, laquelle avait été envisagée par l’UIMM comme principal point d’appui pour imposer toujours plus de flexibilité, d’autre part l’ensemble de l’article 14 relatif au forfait jour, pour lesquelles les employeurs et leurs fidèles signataires prônaient une totale liberté contractuelle, elle-même fondée sur le principe de l’autonomie de la volonté une nouvelle fois resurgi du dix neuvième siècle.
L’UIMM faisait le choix d’exécuter immédiatement la décision. C’est dans ces conditions qu’un avenant modificatif, remplaçant les dispositions annulées était signé dès le 14 avril 2003 avec les mêmes syndicats.
La Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT avait obtenu une première victoire. Cependant, elle entendait aller plus loin et interjetait appel du jugement rendu le 18 mars 2003, réclamant l’annulation de l’accord dans son entier, subsidiairement celle des dispositions essentielles, incluant dans ses demandes l’annulation des articles qui, bien que réécrits par l’UIMM, conservaient leur substance.
Le 24 novembre 2005 la Cour d’appel de Paris rejetait la demande d’annulation de l’avenant du 14 avril 2003. En revanche, elle infirmait partiellement le jugement, invalidant quatre dispositions conservées par les premiers juges, relatives à la définition des heures supplémentaires, au calcul des conséquences des absences et à la fixation de la contrepartie due au salarié qui n’avait pas eu droit à ses onze heures de repos consécutives. Enfin, elle déclarait nul l’article 18 au motif qu’il intégrait dans les actions de formation qualifiantes pouvant être organisées en dehors du temps de travail effectif des actions de l’article L 900-2 du Code du travail, relevant de l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi.
Or l’UIMM tenait fort à cette dernière disposition. Il faut dire que cette subtilité permettait de faire échapper 90% du temps de formation des salariés à la comptabilisation du temps de travail effectif. Elle formait donc un pourvoi qui était rejeté par un arrêt du 11 juillet 2007. A la fin d’un périple judiciaire parfois décevant (I), l’action de la fédération CGT n’aura néanmoins pas été vaine et, plus particulièrement aura permis de préserver une certaine conception du droit à la formation des salariés. (II)
I – Les juges ont fait preuve d’un courage modéré.
En effet, que ce soit au premier ou au second degré et bien qu’ils aient compris les dangers recelés par l’accord pour la condition des salariés, les juges se sont arrêtés en chemin. En effet, malgré leur décision de censurer des éléments essentiels de l’accord, le Tribunal de Grande Instance comme la Cour d’appel ne sont pas allés au bout de la logique de leur raisonnement et ont refusé de prononcer son annulation en totalité. [4]
Est-ce en raison d’une révérence excessive à l’égard de la nouvelle « icône » constituée par la Négociation Collective et sa possible mise en cause, à propos d’un accord fortement médiatisé ou en raison de l’environnement très politique de l’accord UIMM ?
Il n’est guère aisé de répondre à cette question.
Il semble que le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 18 mars 2003 a rempli une fonction d’avertissement. Fixant une limite aux « partenaires sociaux », il leur signifiait qu’ils ne pouvaient s’autoriser à des débordements confinant à la négation de la règle légale, au seul prétexte de l’existence d’une prétendue négociation collective. Ainsi, les premiers juges annulaient environ un tiers de l’accord litigieux, mais lui laissait vie pour le reste. Dans ces conditions, l’accord devenait inapplicable. L’UIMM, ayant entendu l’avertissement, a joué le jeu et immédiatement réécrit les clauses annulées, prenant néanmoins soin de leur conserver leur substance. C’est ce que dénonçait la fédération CGT à travers son appel. Seulement, la Cour d’appel s’est satisfaite de la seule sanction constituée par l’obligation qui avait été faite à l’UIMM de réécrire une partie non négligeable de cet accord que le syndicat patronal avait voulu ériger en symbole. En déclarant, de manière lapidaire, la fédération CGT irrecevable à critiquer l’avenant du 14 avril 2003, la Cour évitait de devoir se poser la question de l’annulation de l’accord dans sa globalité, alors même que du fait de l’exclusion de bon nombre de ses dispositions fondamentales son économie générale avait été bouleversée.
Force est de constater que, de manière générale, au nom d’une autonomie collective sans cesse renforcée, les Tribunaux sont de plus en plus prudents, parfois jusqu’au laxisme, dans la censure des accords qui leurs sont soumis. [5]
Hormis le cas de l’absence de convocation de tous les syndicats représentatifs de l’entreprise aux négociations d’un accord collectif [6] , il n’entre guère dans leurs préoccupations de connaitre les conditions de la négociation, pas même de tenir compte de ce que recouvre, en réalité cette notion désormais passe partout de négociation collective. Pourtant il devraient conserver à l’esprit les regrets formulés en son temps par Gérard Lyon-Caen qui n’hésitait pas à exprimer ce que tout le monde sait parfaitement : « L’unité de vue est plus grande du côté patronal que du côté syndical où la division affaiblit la position des négociateurs. La « discorde chez l’ennemi » devient dès lors le moyen facile de faire de l’autonomie ce qu’elle est devenue : une élaboration de la norme par une seule des parties, norme à laquelle l’autre partie est invitée à adhérer ; et de la convention collective un pur contrat d’adhésion. ». [7] [8]
Or, s’agissant de ce qu’il est convenu d’appeler l’Accord UIMM, il doit être souligné qu’il relève beaucoup plus, pour ne pas dire quasiment exclusivement, d’un acte unilatéral de l’organisation patronale que de la négociation collective, les syndicats ayant pour rôle unique de signer ou de refuser de signer. Il n’est pas indifférent de relever que la négociation faussement dite collective a donné naissance à un accord qui ne portera jamais que le nom d’une seule des parties, le nom de son unique auteur, c’est-à-dire l’UIMM. Et ce cas de figure n’est pas isolé.
Il faut dire que les employeurs avaient abordé les négociations sur le temps de travail avec la ferme intention de profiter des ouvertures que leur donnait la loi pour tirer un profit maximum d’un accord construit en fonction de leurs objectifs, sans rien abandonner. Grâce à l’annualisation du temps de travail, ils pouvaient obtenir toujours plus de flexibilité et grâce aux exonérations de charges prévues par le texte légal le travail allait leur coûter de moins en moins cher. [9] [10] Enfin, s’ajoutant à ce contexte qui lui était particulièrement favorable, l’application du régime du forfait tel que conçu par l’organisation patronale devait permettre aux directions d’entreprises d’éviter une réelle réduction du temps de travail et ce, d’autant plus qu’un second accord du même jour, non étendu celui-ci, portant révision provisoire [11] des classifications dans la métallurgie donnait, contra legem, une nouvelle définition des cadres.
Cet accord permettait en effet la constitution d’une catégorie de techniciens assimilés cadres dits parfois "cadres coefficientés", lesquels accédaient au régime des cadres "nonobstant les dispositions de la convention collective des ingénieurs et cadres" du fait notamment " de la volonté manifestée par l’intéressé d’assumer cette autonomie par la conclusion avec son employeur d’une convention de forfait …". Cette « accession », issue d’un accord individuel, avait pour seul but de leur imposer le régime du forfait jour, particulièrement avantageux pour l’employeur. C’est ainsi 352 417 techniciens devenaient potentiellement « forfaitisables ». Du fait de l’apport de cette population venant s’ajouter aux cadres déjà très majoritairement soumis au forfait, un tiers des salariés de la métallurgie devenaient susceptibles de vivre sous le régime du forfait tel qu’institué par l’Accord de branche. On doit louer tout à la fois le grand sens de l’opportunité de l’UIMM autant que ses dons d’anticipation. En effet, grâce à un texte voté sous un gouvernement socialiste, comme en 1998, à peine la loi promulguée (la loi date du 19 et l’accord du 29 janvier 2000), elle devançait, à travers l’accord de branche qu’elle avait concocté, ce qu’une loi édictée par un gouvernement de droite allait mettre en place de manière plus complète cinq ans plus tard. [12]
Certes, les juridictions saisies ont sanctionné les violations de la loi alors en vigueur.
Cependant, confondant justice et juste milieu à l’égard de cet accord, une fois de plus, les juges ont choisi d’occuper une position médiane. Ou bien encore, pris dans l’engouement général pour la négociation collective et dans la foi en son infaillibilité, ils ont opéré un choix qui va dans le sens du développement d’une autonomie collective toujours plus grande. Cette tendance, conforme au discours ambiant, se lit dans les décisions des juridictions du fond, mais également de la Cour de cassation. Ainsi notamment, dans un arrêt du 12 octobre 2006.et alors même qu’il était démontré que des modifications avaient été apportées au projet d’accord soumis à la signature après la dernière séance de négociations, la chambre sociale approuvait la Cour d’appel qui avait écarté l’annulation dans la mesure où les demandeurs à la nullité ne pouvaient faire la preuve de négociations séparées [13] et n’avaient pas présenté de demande de réouverture de négociations. En réalité, comme le souligne Marie-Armelle Souriac dans sa note critique de l’arrêt, les juges ont opéré : « Le choix fondamental […] d’un désengagement du juge du contrôle de la loyauté procédurale de la négociation. Orientation en phase avec une certaine vision du dialogue social favorable au recul de l’intervention du juge étatique, à la limitation des actions en nullité […] ». [14] Dans ce même arrêt, la Cour conserve cette orientation concernant le contenu même de l’accord. [15]
Sans prétendre sonder les reins et les cœurs des magistrats en charge de ce type de contentieux, il sera néanmoins relevé que leur sensibilité à l’air du temps et au leitmotiv des vertus du ‘dialogue social’ et de son corollaire la ‘négociation collective’, a bien souvent pour conséquence un allègement de leur contrôle au point de laisser les coudées franches aux employeurs qui, arguant des pratiques qui leur ont été autorisées obtiennent de nouvelles avancées.
C’est ce qui s’est passé dans l’affaire UIMM.
Sur fond de ‘dialogue social’ jamais défini, mais réalisé comme un diktat social du patronat servi par la classe politique, l’UIMM a repris les éléments essentiels de l’accord initial dans la réécriture imposée par les premiers juges. Ensuite, le texte réécrit n’ayant jamais été examiné, l’organisation patronale a pu parfaire son œuvre grâce à « un usage sophistiqué des niveaux de négociation collective » favorisé par l’édiction des lois du 4 mai 2004 et du 31 mars 2005, dans un nouvel avenant conclu le 3 mars 2006 [16] avec ses signataires habituels, CGC, CGT-FO et CFTC.
Cependant, grâce à sa persévérance, la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT a obtenu l’annulation d’autres dispositions de l’accord, mais surtout elle a pu se servir d’un domaine auquel le législateur n’avait pas encore touché pour préserver le droit à la formation.
II – L’action de la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT n’aura pas été exercée en vain.
Dans son arrêt du 24 novembre 2005 la Cour faisait preuve de plus de vigilance que les premiers juges. Soucieuse de faire vivre un certain nombre de garanties posées par la loi, elle prononçait l’annulation de quatre textes qui n’avaient pas choqué le Tribunal de Grande Instance. C’est ainsi que, attentive au calcul des heures supplémentaires, elle tenait compte du droit positif pour censurer l’article 6-3 alinéa 1 qui en donnait une définition trop restrictive et appliquant le principe selon lequel les conséquences des absences doivent être calculées droit par droit annulait son alinéa 2. L’article 9 était jugé contraire au droit en ce qu’il prévoyait que, lorsqu’il n’est pas possible de lui attribuer un temps de repos équivalent alors que son temps de repos quotidien a été réduit de onze heures à neuf heures, la contrepartie due au salarié devait être fixée par accord entre le salarié et l’employeur. Les juges sanctionnaient ainsi la carence des rédacteurs de l’accord qui avaient oublié qu’ils sont chargés d’y inscrire les garanties que le salarié ne saurait trouver dans le cadre d’un rapport singulier avec son employeur. Cette sévérité des magistrats pour un tel motif a de quoi surprendre lorsque l’on sait que la même Cour n’avait aucunement été choquée par les carences de l’article 8-1 concernant l’énoncé des données économiques et sociales qui aurait justifié le recours à la modulation, autrement plus graves pour l’équilibre général de l’accord, ou par le renvoi au contrat de travail de l’article 13-1 pour la détermination des catégories de cadres dits intermédiaires susceptibles d’être soumis au forfait en heures.
Les voies du raisonnement judiciaire sont parfois impénétrables !
Cela ne doit pas nous faire oublier que la Cour d’appel a fait œuvre utile. En effet, outre les annulations non négligeables qui viennent d’être citées, elle prenait une décision importante en annulant l’article 18 de l’Avenant du 29 janvier 2000, qui concerne le droit à la formation.
Garanti par la Nation, l’accès à la formation professionnelle est inscrit dans le préambule de la Constitution. Il s’agit d’un droit des travailleurs qui, en principe, les accompagne « tout au long de la vie » [17] progressivement mis en place par la voie de la négociation collective, suivie d’interventions législative. [18] Ce droit a connu de nombreuses réformes, en dernier lieu par la loi du 4 mai 2004, qui reprend en substance les termes de l’Accord National Interprofessionnel du 20 septembre 2003. [19] Cependant malgré les évolutions législatives, nous allons voir qu’il a conservé une double acception, tenant aux deux objets qui sont les siens, qui consistent à favoriser, d’une part l’adaptation aux changements techniques et des conditions de travail, d’autre part la promotion sociale des salariés. En réalité, il serait plus juste de dire qu’ont été institués deux droits individuels à la formation : l’un entraînant pour l’employeur une obligation d’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi, l’autre permettant aux salariés d’évoluer professionnellement. A cette différence de nature correspond une différence de régime. Le premier est non seulement un droit, mais un devoir pour le salarié comme pour l’employeur. Il en résulte que l’employeur le doit, le salarié ne peut s’y soustraire et le temps qui y est consacré doit être considéré comme du temps de travail effectif. Le second s’exerce à l’initiative du salarié, avec l’accord de son employeur et peut être organisé pour partie hors du temps de travail effectif.
Or le texte de l’article 18 visait au nombre des « actions de développement des compétences » effectuées hors du temps de travail les « actions de promotion, actions de prévention, actions d’acquisition, d’entretien ou de perfectionnement des connaissances telles que définies par l’article L 900-2 du Code du travail ». Une définition aussi laxiste ouvrait la possibilité pour les employeurs de comptabiliser hors du temps de travail effectif des actions de formation relevant de l’obligation d’adaptation des salariés à leur emploi, soit 90% du temps de formation des salariés.
Dans son arrêt du 24 novembre 2005, la Cour d’appel suivait la fédération CGT dans son raisonnement, considérant que les actions ainsi visées dans le texte conventionnel relevaient de l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi. Elle censurait la disposition conventionnelle par application l’article 17 de la loi Aubry II, reproduit à l’avant dernier alinéa de l’article L 932-2 du Code du travail.
Cette fois-ci, l’UIMM ne faisait pas semblant de réécrire le texte, mais formait immédiatement un pourvoi. Fondant son argumentation sur les termes généraux de l’article L 900-2 du Code du travail, lequel vise l’ensemble des types de formations entrant dans le champ d’application de la formation professionnelle, elle poursuivait son entreprise de confusion dans le but de restreindre au maximum le champ d’application de l’article L 932-2 concernant l’obligation mise à la charge de l’employeur d’assurer à ses salariés une formation d’adaptation à leur emploi.
Dans son arrêt du 11 juillet 2007, la Cour de cassation rejette la confusion prônée par l’UIMM. Approuvant la Cour d’appel dans sa censure, elle distingue nettement « les actions qui tendent à favoriser ou permettre l’adaptation des salariés à l’évolution [qui] entrent dans le champ de l’article L 932- 2 du Code du travail dans sa rédaction alors applicable » et les formations qualifiantes ou diplômantes. La Haute Cour classe ainsi dans les premières les actions de prévention qui « ont pour objet de réduire les risques d’inadaptation de qualification à l’évolution des techniques et des structures des entreprises, en préparant les travailleurs dont l’emploi est menacé à une mutation d’activité, soit dans le cadre, soit en dehors de leur entreprise. » ainsi que les actions d’acquisition, d’entretien ou de perfectionnement des connaissances qui « ont pour objet , pour certaines d’entre elles, d’offrir aux travailleurs le moyen de maintenir ou de parfaire leur qualification ». C’est ainsi que, fondant la solution sur la définition donnée par l’article L 900-2, elle fournit, sans le spécifier un critère de distinction. Il semble que les formations doivent être distinguées selon que leur objet a, ou non, pour finalité de permettre au salarié de conserver un emploi. Elle écarte donc de cette définition les actions de promotion visées par le texte ou encore les actions d’acquisition, d’entretien ou de perfectionnement des connaissances qui ont pour objet d’offrir aux travailleurs les moyens d’accéder à la culture ou d’assumer des responsabilités accrues dans la vie associative.
Cette décision venait utilement éclairer une loi qui n’avait donné aucune définition de chacun des types de formation. Cependant elle a été rendue sous l’empire de la loi Aubry II aujourd’hui modifiée.
Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mai 2004, les articles L 930-1 et L 932-1 envisagent non plus deux, mais trois types de formations. La loi distingue désormais les formations d’adaptation au poste (formule plus restrictive celle de la loi du 19 janvier 2000) [20] des actions liées à l’évolution des emplois ou participant au maintien dans l’emploi, les unes et les autres toujours considérées comme du temps de travail effectif, mais dont les régimes diffèrent, les secondes pouvant donner lieu à un dépassement de la durée légale du travail, dans la limite de cinquante heures par an dans le cadre d’un régime dérogatoire aux principes régissant les heures supplémentaires. Enfin demeurent les actions de développement des compétences qui peuvent, dans la limite de quatre vingt heures par an ou de cinq pour cent du forfait annuel, être suivies hors du temps de travail, donnant lieu à une allocation de formation égale à cinquante pour cent de la rémunération du salarié. Nous ne sentons pas dans cette évolution le souci de simplification que nous savons pourtant cher aux initiateurs de cette loi. En réalité, cette complexification permet simplement de faire échapper au régime des heures supplémentaires un pourcentage important des heures de formation effectuées par les salariés en vue du maintien de leur emploi.
Cependant ces modifications n’invalident pas les éléments de définition donnés par l’arrêt du 11 juillet 2007.
La loi maintient en effet la summa divisio antérieurement retenue, classant d’un côté les formations qui doivent effectuées sur le temps de travail, de l’autre celles qui peuvent se situer en dehors, les premières concernant, aujourd’hui comme avant 2004, les actions destinées à permettre au salarié de conserver un emploi, les secondes tendant à favoriser son évolution sociale, les unes comptabilisées dans le temps de travail effectif, les autres non.
La différence de régime qui se déduit automatiquement de la différence de nature liée à l’objet de chaque action de formation donne toute son importance à la qualification qui lui sera donnée. Or la loi ne donne et ne peut donner aucune définition, au risque d’entrer dans une casuistique impossible à réaliser. L’arrêt du 11juillet 2007 est donc d’un apport considérable de ce point de vue. En outre il peut avoir pour fonction de mettre sérieusement en garde les employeurs et les « partenaires sociaux » contre la tentation de qualifications artificielles, à seule fin de faire échapper des heures de formation obligatoire au temps de travail effectif.
III - Annexes
[1] « La Tribune » du 29 juillet 1998, p. 4.
[2] « Les Echos » du 29 juillet 1998, p.2 ; « Le Monde du 30 juillet 1998, p.7 ; « Libération » du 30 juillet 1998, p. 2 ; « Le Figaro » du 31 juillet 1998, p. 5.
[3] « L’Humanité » des 24 janvier, 3 février, 30 mars et 11 avril 2000 ; « Le Monde » des 26 et 30 janvier, 16 février et 5 avril 2000.
[4] Annulation globale pourtant prononcée à plusieurs reprises s’agissant d’accords de branche à plusieurs reprises. Voir notamment : TGI de Paris 19 décembre 2000, RJS 4/10, n°461 ; TGI de Paris 3 juillet 2001, RJS 11/01n°193 et 1295, approuvé par CA Paris 18 décembre 2002, Dr. Ouv. 2003, p.189 et s. ; CA Paris 16 mai 2000, Dr. Ouv. 2000, p.496
[5] Voir par exemple l’arrêt Michelin du 26 mai 2004, dans lequel la Chambre sociale de la Cour de cassation se satisfait d’une simple paraphrase de la loi pour toute définition de la catégorie de cadres soumis au forfait, jugeant que les protections fournies par l’existence d’une convention individuelle et la possibilité de recourir au Juge étaient suffisantes. Il a pourtant semblé à la doctrine que de telles ‘garanties’ « peuvent sembler quelque peu illusoires, compte tenu du fait que le cadre auquel son employeur va proposer une convention de forfait jours ne sera pas toujours en mesure de résister et qu’il y réfléchira vraisemblablement à deux fois avant de saisir les tribunaux. » (RJS 8-9/04 n°924)
[6] Cass. Soc. 17septembre 2003, Fédé. Nat. des Ind. de la Chimie, JSL n°133).
[7] Gérard. Lyon-Caen, « A propos d’une négociation sur la négociation », Dr. Ouv. 2001,. 4.
[8] Voir encore au sujet de l’accentuation du phénomène dans les rapports entre les syndicats et le législateur au nom du sacro-saint dialogue social dans la loi du 31 janvier 2007 et lire avec un point de vue critique la fausse bonne nouvelle annoncée par Monsieur Antonmattéi dans « Négociation collective : une bonne nouvelle et une mauvaise », Revue de Droit Social avril 2007, p.459
[9] Voir les tableaux et graphiques illustrant la baisse constante des charges patronales visée en pages 25 et 27 du « RAPPORT AU PREMIER MINISTRE RELATIF AUX AIDES PUBLIQUES » publié par le Conseil d’Orientation pour l’Emploi du 8 février 2006, www.irma.asso.fr/IMG/PDF/0000-4.pdf.
[10] Ou encore la baisse du coût du travail visée aux pages 64 et 65 du « RAPPORT TEMPS DE TRAVAIL REVENU ET EMPLOI », présenté au premier Ministre D.de Villepin et au Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Emploi Th. Breton lors de la séance du Conseil d’Analyse Economique par Messieurs Artus, Cahuc et Zylberberg, le 6 mars 2007, La documentation française, Paris 2007, ISBN 978-2-11-006854-5.
[11] Il sera observé que, après sept ans de négociations infructueuses, ce provisoire dure toujours …
[12] Loi du 2 août 2005 modifiant l’article L 212-15-3
[13] Voir sur la le caractère alternatif ou conjonctif du « et » employé par la Cour in « loyauté dans la négociation collective : le juge se désengage » par Marie-Armelle. Souriac, Revue de Doit du Travail, mars 2007, p.187.
[14] Note précitée, même page.
[15] Voir à propos du même arrêt, en page 160, la note également très critique de Sophie Nadal sur l’autorisation donnée aux « partenaires sociaux » de décider en toute autonomie et en dehors de tout critère objectif, qu’une entreprise constituerait une branche professionnelle.
[16] Marie-Armelle Souriac, « Accord métallurgie sur le temps de travail : de l’usage sophistiqué des niveaux de négociation collective », Revue de Droit Social, octobre 2006, p.254 et s.
[17] Formule initialement employée dans un Mémorandum de l’Union Européenne du 30 novembre 2001 a été consacrée par la loi du 4 mai 2004.
[18] J-M Luttringer, « Formation professionnelle tout au long de la vie et négociation collective », Dr. Soc. 2004, p.472.
[19] Dossier « Le nouveau droit à la formation » Dr. Soc. Mai 2004, p.449.
[20] M-J. Gomez-Mustel, « Les enjeux de l’obligation d’adaptation, Dr. Soc. 2004, 499
Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
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