La voix des salariés compte moins pour la dénonciation des accords que pour leur conclusion
En application de la loi du 20 août 2008, la validité d’un accord collectif est subordonnée, dans l’entreprise, à sa signature par une ou des organisations syndicales ayant recueilli au moins 30% des voix, selon des règles établies par niveau de négociation (interprofessionnel, branche, entreprise et établissement) et à la condition qu’il ne soit pas frappé d’opposition. Ces règles sont en vigueur dans toutes les entreprises depuis le 1er janvier 2009. Elles le seront dans les branches et au niveau interprofessionnel, à l’issue d’une période transitoire.
Ces nouvelles conditions de validité des accords collectifs ont remis en question plus d’un demi-siècle de pratique : depuis 1951, la signature d’une seule organisation syndicale représentative suffisait, côté salarié, pour rendre l’accord valide. Cela, quel qu’ait été le « poids » de cette organisation auprès des salariés.
C’est ainsi qu’à partir de 1982 et de l’ouverture d’un « champ dérogatoire » dans lequel des accords collectifs, dans des conditions déterminées par la loi, pouvaient être moins favorables que celle-ci, des organisations syndicales, parfois ultra-minoritaires, ont pu signer des accords qui remettaient en question le statut de dizaines de milliers de travailleurs, plus particulièrement en matière de temps de travail.
Le seuil de validité de 30% prévu par la loi du 20 août 2008 (conçu comme une « étape ») constitue un progrès pour la protection des salariés, même s’il ne satisfait pas l’exigence démocratique d’un seuil de plus de 50%. De plus, la comptabilisation « par le bas » (élections par établissement ou entreprise) exclut de nombreux salariés de la mesure de la représentativité, donne aux élections, notamment aux comités d’entreprise, une double fonction difficilement compréhensible et participe de la marginalisation des branches comme niveau de négociation, affaiblissant ainsi leur rôle primordial de régulateur de la concurrence imposée aux salariés.
I. Un progrès pour la validité des accords collectifs, un affaiblissement du rôle des syndicats
Nous sommes donc passés d’un système dans lequel une seule organisation considérée comme représentative pouvait engager l’ensemble des salariés, à un autre, où la « partie salariée » à un contrat collectif est considérée comme valablement représentée lorsque 30% au moins de cette partie sont signataires d’un accord (la comptabilisation différant selon les niveaux de négociation).
Ce chamboulement, s’il comporte des aspects positifs, peut être dangereux en raison des solutions retenues. La brèche ne cesse de s’agrandir, grâce à laquelle la partie salariée peut désormais négocier et contracter en l’absence de tout syndicat. Et la négociation collective, progrès social arraché par les luttes, devient, petit à petit, indépendante… des organisations syndicales ! C’est pour cela que, ce qui peut paraître comme un progrès pour les salariés pourrait devenir, sur le long terme, une victoire stratégique pour le MEDEF.
Face à cette modification des règles de conclusion des accords collectifs, nous aurions pu imaginer une transformation en conséquence des règles entourant la fin des accords collectifs, notamment les conditions nécessaires à leur dénonciation.
Jusqu’à la loi du 20 août 2008, la dénonciation par la partie salariée n’emportait d’effets que si la totalité des signataires salariés dénonçait l’accord. Cette solution était « logique » avec la règle (aberrante) selon laquelle un seul syndicat représentatif pouvait prétendre représenter tous les salariés, quel qu’ait été son « poids ».
Selon les règles actuelles, être un syndicat représentatif devient une condition nécessaire mais insuffisante. La représentativité et le poids de l’audience sont amenés à fluctuer. Un syndicat ou groupe de syndicats qui pouvait signer accord collectif valide, peut perdre cette capacité à la suite d’élections professionnelles.
Le cas est courant, dans le commerce notamment, où de nombreux accords scandaleux ont pu être signés sur le temps de travail, entraînant une flexibilité à outrance, la généralisation du temps partiel et la fin de la rémunération des heures supplémentaires au travers de l’annualisation (« modulation ») du temps de travail.
Logiquement, les syndicats signataires de tels accords ont vu leur audience chuter aux élections suivantes.
Les questions que nous posent donc nos camarades dans les entreprises concernées sont nombreuses :
— Un ou des syndicats, devenus majoritaires, peuvent-ils défaire ce qui a été fait ?
— Qu’advient-il lorsque les signataires de l’accord ne représentent plus 30% de l’électorat concerné ou s’ils ne sont plus représentatifs ?
II Pas de parallélisme entre la conclusion et la dénonciation de l’accord collectif
La logique de la loi du 20 août 2008 aurait dû instaurer un parallélisme entre les conditions requises pour la validité de l’accord et celles nécessaires à sa dénonciation car, dans son esprit, les organisations syndicales sont les représentantes éphémères de la partie « salariée » au contrat collectif. C’est, par exemple, dans cet ordre d’idées que des organisations qui représentent la majorité absolue des salariés peuvent faire opposition, dans un délai bref, à la signature d’un accord collectif.
Dans ce cadre, la partie « salariée » pouvant évoluer au gré des élections, sa position vis-à-vis d’un accord collectif devrait aussi pouvoir évoluer. Le patron d’une entreprise peut toujours dénoncer un accord collectif lorsqu’il ne lui convient plus. Les salariés doivent pouvoir faire de même, par le biais de ceux qui les représentent majoritairement.
La solution retenue par le législateur est étonnante (art. L-2261-10 al 4) : « lorsqu’une des organisations syndicales de salariés signataires de la convention ou de l’accord collectif perd la qualité d’organisation représentative dans le champ d’application de cette convention ou de cet accord, la dénonciation de ce texte n’emporte d’effets que si elle émane d’une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives(…) ayant recueilli la moitié des suffrages exprimés (…).
Dans les autres cas, la dénonciation par la totalité des signataires salariés reste requise (art. L. 2261-11).
Conséquences :
— Si les organisations signataires d’un accord sont toutes restées « représentatives » mais ne représentent plus, ensemble, 30% des suffrages exprimés, la dénonciation ne produit d’effet que si elle provient de l’ensemble de signataires (alors que les 30% constituent une condition de validité !). La dénonciation de syndicats tiers, même majoritaires, est sans effet. Exemple : l’organisation « A » représentait 33% des voix lorsqu’elle avait signé (seule) un accord RTT en mars 2009. A la suite des élections de janvier 2010, « A » a obtenu 22% des suffrages, « B » 45% et « C » 33%. « B » et « C » ne peuvent dénoncer l’accord signé par « A ».
— Si une seule des organisations signataires a perdu sa qualité d’organisation représentative, les organisations qui représentent au moins 50% des voix, même non-signataires, peuvent dénoncer l’accord. Exemple : « A » (15%), « B » (16%) et « C » (17%) ont signé) un accord sur le temps de travail en mars 2009. A la suite des élections de janvier 2010, les résultats ont été les suivants : « A » : 9%, « B » : 15% « C » : 16% « D » : 60%. Dans ce cas, « B » et « C » continuent de totaliser plus de 30% (31%). Cependant, « A » ayant perdu sa qualité d’organisation représentative, D pourra dénoncer l’accord auquel elle n’était pas partie.
Un accord ne pourra pas « tomber » automatiquement du seul fait de la perte de la qualité d’organisation représentative d’une, plusieurs ou la totalité des organisations signataires (L. 2261-14-1) : seule sa dénonciation par une ou des organisations qui représentent plus de 50% des voix le fera disparaître.
Ces solutions sont insatisfaisantes et bancales. Le fait, qu’avant la loi du 20 août 2008, un syndicat représentatif, agissant seul, pouvait négocier et signer au nom de l’ensemble des salariés, pouvait « justifier » l’exigence de la dénonciation unanime : si une seule signature subsistait, elle suffisait puisque la condition minimale de validité de l’accord restait remplie. Or, l’exigence de la dénonciation de l’accord par la totalité des signataires salariés continue de constituer le principe, alors qu’un syndicat représentatif ne peut plus prétendre signer, seul, un accord au nom de l’ensemble des salariés, s’il ne représente au moins 30% d’entre eux.
Cette survivance est incompréhensible dans le cadre d’une loi qui considère les salariés (et non plus les syndicats) comme la vraie partie au contrat et qui agit au travers de ses représentants, lesquels sont éphémères.