A propos du procès-verbal de conciliation. Le remède de l’habitude : l’habitude contraire
Il y a quelques années, PRUDIS, l’institut spécialisé de formation des conseillers prud’hommes CGT, sous la responsabilité de Jean-Claude Lam, prenait l’initiative de programmer des stages nationaux de cinq jours. La participation massive de conseillers prud’hommes chevronnés laissait augurer d’une prise de conscience collective sur la nécessité de remettre en question des pratiques antérieures, parfois bien ancrées.
La bataille était engagée mais est encore aujourd’hui très loin d’être gagnée, tant il reste de chemin à parcourir pour redresser la barre et revitaliser ce que les conseillers du collège patronal se sont évertués avec succès à dévitaliser.
L’intervention de Pascal Moussy (D.O. avril 1998) n’est pas passée inaperçue :
« …Le syndicaliste conseiller prud"homme fera tout ce qui est en son pouvoir pour que le travailleur ne reparte pas du conseil sans avoir été informé des règles exactes dans lesquelles s’inscrit la solution du litige comme de l’état éventuel de ses droits. Lors de la prise de contact avec le travailleur, au moment de l’audience de conciliation, il va découvrir, grâce aux explications des parties, la teneur du litige… Le conseiller prud’homme qui vient de préciser l’état du droit ne pourrait être entièrement serein s’il laissait repartir le demandeur, du fait de l"unicité de l’instance, sans avoir soumis à sa réflexion l’éventualité de nouvelles demandes… ».
L’intérêt de l’arrêt Durafroid c/Martin (Cas. Soc. 28 mars 2000, D.O. sept. 2000, note P. Moussy) n’a échappé à personne, pas plus que les similitudes entre le raisonnement de la Chambre Sociale et l’essentiel de l’argumentation développée dans les stages PRUDIS.
Jean Savatier (Dalloz 2000 n° 25), peu convaincu s’étonnait : « Comment le bureau de conciliation pourrait-il vérifier l"information des parties sur leurs droits respectifs alors que c’est le jugement mettant fin au procès qui déterminera l’existence et l’étendue de ces droits ?… « Ce qui est certain », poursuivait le professeur émérite, « c’est que l’arrêt n’est pas favorable au développement de la conciliation devant les prud’hommes… ». Et le commentateur de poursuivre avec une pointe de regret : « Peut-être la Cour de Cassation a-t-elle ainsi l’impression de protéger le salarié contre une renonciation de sa part à des droits qu’il tient d"une législation d’ordre public…Le présent arrêt contribuera à la poursuite du déclin de la conciliation. ».
La Semaine Sociale Lamy (25 avril 2000) avait pour sa part trouvé cet arrêt très clair sur la mission des juges conciliateurs : « Conciliateurs, les membres du bureau de conciliation n’en sont pas moins juges. Aussi, vérifier les droits respectifs des parties, éclairer chacune d’elles sur leur teneur, voire s’assurer de la bonne compréhension des différents enjeux, sont-ils des préalables indispensables à l’élaboration de l’accord de conciliation. C’est bien tout cela qu’impliquent les exigences de l’attendu : participation active à la recherche d’un accord, préservation des droits respectifs des parties, vérification que celles-ci ont été informées. En substance, le bureau de conciliation n’est pas une chambre d’enregistrement ni une officine chargée de désengorger les prétoires. L’accord à l’élaboration duquel il contribue ne doit pas offrir moins de garanties que celles qui sont exigées d’une transaction susceptible de mettre fin à un litige. ». Mais La Semaine Sociale Lamy se reprenait aussitôt : « N’oublions pas qu’il s’agit d’un arrêt de rejet dont la portée doit s’apprécier au vu des circonstances de l’affaire. Or, il semble bien qu’en l’espèce, le dossier faisait apparaître de graves défaillances de la part des juges. ».
L’arrêt du 5 décembre 2007, qui n’est pas un arrêt de rejet, reprend au mot près, la formulation de l’arrêt Durafroid/Martin. En l’espèce, d’ailleurs, le salarié était assisté d’un défenseur syndical et les circonstances de l’affaire ne peuvent être utilement invoquées pour minimiser la portée de cette décision.
Selon l’article R 516-13 du code du travail, le bureau de conciliation entend les parties en leurs explications et s’efforce de les concilier. Il est dressé procès-verbal.
L’article R 516-14 précise qu’en cas de conciliation partielle ou totale, le procès-verbal mentionne la teneur de l’accord intervenu.
Au terme de ces deux textes spécifiques à la procédure prud’homale, il s’agit bien du contenu exact de l’accord qui doit figurer au procès-verbal, puisque c’est sa teneur qui doit être reprise au procès-verbal qui n’intervient qu’après audition des explications des parties.
Ce sont ces explications contradictoires et l’instruction menée pendant l’audience par les juges conciliateurs qui permettront à ces derniers de déterminer les règles de droit applicables au litige, et de relever si nécessaire d’office, des moyens de pur droit, quel que soit le fondement juridique invoqué par les parties (article 12 du NCPC).
La « participation active du bureau de conciliation à la recherche d’un accord des parties qui préserve les droits de chacune d’elles » repose sur la mise en oeuvre de ces dispositions qui rejettent à l’évidence une attitude passive des juges qui se limiterait à enregistrer qu’un accord est intervenu, « sans avoir vérifié que les parties étaient informées de leurs droits respectifs ».
En l’espèce, il est clair que la demanderesse contestait la qualification de la rupture ; que les 50000 francs sollicités étaient liés à l’hypothèse de qualification en licenciement de cette rupture, avec les conséquences de droit qui en découlent sur les indemnités légales ou conventionnelles et sur la réparation susceptible d’être prononcée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans oublier naturellement l’attestation ASSEDIC conforme qui conditionne le versement des indemnités de chômage. Ce dernier point du litige n’est pas abordé dans le procès-verbal et n’a pas été soulevé puis solutionné au cours de l’audience de conciliation. Les droits de la requérante n’ont pas été préservés. La présence d’un délégué syndical assistant la salariée n’exonère pas les juges conciliateurs de leur obligation de vérification.
Bien entendu, cet arrêt est remarquable comme l’arrêt précurseur Durafroid/Martin que certains observateurs avaient voulu analyser comme un arrêt d’espèce de rejet dont la portée devait être limitée du fait des circonstances particulières de l’affaire, de la passivité manifeste du bureau de conciliation qui avait déséquilibré le débat et les conditions d’un accord éclairé.
Les réserves émises à l’époque s’avèrent non fondées. Bien qu’on doive regretter que la Cour parle encore de la conciliation judiciaire comme d’un préalable obligatoire de l’instance alors que l’audience de conciliation est une phase à part entière de cette instance où le juge dispose également du pouvoir d’ordonner et a le devoir de mettre l’affaire en état. Cette phase de l’instance ne peut servir de support à l’abandon de droits issus d’une législation d’ordre public devant l’autel de la rentabilité judiciaire.
Cette nouvelle décision de la Chambre Sociale n’est pas une contribution au déclin de la conciliation. Elle est au contraire un appel aux conseillers prud’hommes à remplir leur office et faciliter cette conciliation.
Les conseillers qui n’ont pas encore osé bouleverser la routine ne manqueront pas l’occasion de franchir le pas en se saisissant de l’arrêt.
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles ».