A la recherche (victorieuse) de la représentativité perdue, ou des dangers des divisions internes à l’intérieur d’un même syndicat
La SAS RENAULT possède plusieurs établissements sur le territoire national dont l’établissement de Douai qui emploie 5 150 salariés.
Au sein de l’établissement RENAULT DOUAI existe depuis 1974, le syndicat dénommé « syndicat CGT RENAULT DOUAI », affilié à la Confédération Générale du Travail.
Un syndicat dénommé « le syndicat CGT Confédéré des Personnels de RENAULT DOUAI », affilié lui aussi à la Confédération Générale du Travail, est créé le 4 décembre 2009 selon des statuts fondateurs déposés en mairie.
Lors des élections professionnelles du 8 juin 2010, ces deux syndicats affiliés à la même confédération syndicale, la CGT, ont présenté chacun une liste de candidats.
A l’issue de la négociation du protocole préélectoral en vue d’organiser les élections professionnelles au sein de l’établissement de RENAULT DOUAI, les 2 syndicats affiliés à la même confédération syndicale nationale n’ayant pas présenté de liste unique de candidats, la société RENAULT a saisi le tribunal d’instance afin qu’il se prononce sur la validité des listes de candidats déposées d’une part, par le syndicat CGT RENAULT DOUAI et d’autre part, par le syndicat CGT Confédéré des Personnels de RENAULT DOUAI.
Par décision en date du 4 mai 2010, le Tribunal d’Instance de Douai a validé les listes de candidats déposées tant par le syndicat CGT RENAULT DOUAI que par le syndicat CGT Confédéré des Personnels de RENAULT DOUAI.
En effet, la loi du 20 août 2008 a ouvert à tout syndicat constitué depuis au moins deux ans, ou affilié à une organisation syndicale constituée depuis plus de deux ans et répondant en outre aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance, la possibilité de présenter une liste de candidats au 1er tour des élections professionnelles (L2324-4 pour les DP et L2324-4 pour le CE).
Se posait la question du maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation antérieure à la loi du 20 août 2008, prohibant la présentation de deux listes CGT déposées par des structures différentes (16/10/2001 n°00-60203).
Sur cette question spécifique la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence par arrêt du 22 septembre 2010 n°10-60135 interdisant à deux syndicats FO de présenter chacun une liste de candidats pour le collège cadre.
La solution n’allait pas de soi et comme le Tribunal d’instance de DOUAI, celui de NANCY était d’un avis contraire.
Aucun pourvoi en cassation n’était déposé contre le jugement du TI de DOUAI du 4 mai 2010, la direction de RENAULT étant trop heureuse d’une telle aubaine, source de division interne à la CGT.
Et devait arriver ce qui arriva, lors des élections du comité d’établissement de RENAULT DOUAI du 8 juin 2010, le syndicat CGT RENAULT DOUAI a obtenu 8,72% des suffrages exprimés tous collèges confondus et le syndicat CGT Confédéré des Personnels de RENAULT DOUAI a obtenu 5,69 % des suffrages exprimés tous collèges confondus.
Au total ce sont des dizaines d’électeurs qui se sont détournés du vote CGT et aucun des deux syndicats CGT ne dépassait le score couperet des 10% !
Sonné par la campagne médiatique qui s’ensuivit orchestrée par la direction de RENAULT DOUAI (voir la VOIX du NORD du 10 juin 2010, édition électronique, et LIBERATION du même jour), le syndicat CGT RENAULT DOUAI procéda à la désignation d’un représentant syndical de section.
Les vacances passées et les forces reconstituées, certains amis juristes se posèrent la question consistant à considérer qu’à la finale les deux syndicats CGT RENAULT étaient affiliées à la même organisation syndicale et qu’il pouvait paraître anormal de ne pas la considérer comme étant représentative, le total des pourcentages obtenus par la CGT, tous syndicats confondus, dépassant les 14%.
C’est un arrêt du 22 septembre 2010 n°09-60435 qui décida le syndicat CGT RENAULT DOUAI à procéder à la désignation de 4 délégués syndicaux d’établissement et de 6 représentants syndicaux aux CHSCT.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation a validé la désignation d’un délégué syndical CGT après avoir additionné le score obtenu par les différents syndicats CGT qui ont présenté des candidats aux élections des différentes entités d’une UES.
Le message de la Cour de cassation pourrait ainsi se résumer :
la CGT est une et indivisible. Vaste programme auquel Bernard THIBAULT adhèrerait immédiatement !
Quelques jours plus tard, le syndicat CGT Confédéré des Personnels de RENAULT DOUAI devait procéder également à ses désignations.
Bien évidemment la SAS RENAULT contesta l’ensemble de ces désignations au motif qu’aucun des 2 syndicats CGT n’était représentatif dans l’établissement de RENAULT DOUAI et saisira le tribunal d’instance aux fins d’obtenir leur annulation et subsidiairement qu’elle ne pouvait avoir plus de délégués ou représentants CGT que le nombre fixé par la loi (en l’espèce que son accord sur le droit syndical plus favorable à la loi).
Régulièrement, et en dernier lieu dans un arrêt du 18 novembre 2009 (n°09-60907), la Cour de Cassation a considéré qu’une confédération syndicale représentative et les organisations qui lui sont affiliées ne peuvent pas ensemble désigner un nombre supérieur de délégués syndicaux à celui prévu par la loi.
En effet, les désignations des délégués syndicaux opérées par les syndicats affiliés à la même confédération nationale sont considérées comme étant effectuées au nom de la confédération nationale.
Il en résulte que les syndicats présents dans l’entreprise ou l’établissement ne seront considérés comme représentatifs et ne pourront donc désigner des délégués syndicaux ou des représentants syndicaux au CHSCT que si et seulement si ils ont obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou d’établissement, tous collèges confondus.
La question se posait alors de savoir si cette mesure de l’audience servant à déterminer la représentativité du syndicat dans l’entreprise ou dans l’établissement devait s’apprécier séparément pour chaque syndicat, même si plusieurs syndicats étaient affiliés à une même confédération syndicale représentative au plan national.
Pour répondre à cette question il convient de rappeler les dispositions suivantes édictées à l’article L 2122 – 1 du code du travail :
« Dans l’entreprise ou l’établissement, sont représentatives les organisations syndicales qui satisfont aux critères de l’article L. 2121-1 et qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants ».
Dès lors que les syndicats d’entreprise affiliées à une même confédération syndicale nationale ne doivent déposer qu’une liste de candidats lors des élections du comité d’entreprise ou du comité d’établissement, ce sont les résultats électoraux recueillis par cette liste unique de candidats dans chaque collège, présentée au nom de la confédération syndicale nationale, qui servira de fondement à la mesure de l’audience en pourcentage des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d’entreprise ou d’établissement de sorte que cette mesure de l’audience permettra de déterminer si la confédération syndicale nationale est représentative ou pas dans l’établissement ou dans l’entreprise.
Ainsi, la représentativité syndicale dans l’entreprise ou l’établissement s’apprécie par organisation syndicale et non par syndicat d’entreprise affilié à cette même organisation syndicale.
Selon le périmètre de la représentation du personnel, chaque organisation syndicale peut désigner des délégués syndicaux, dans l’entreprise ou dans l’établissement.
En effet, l’article L2143-4 du code du travail dispose :
« Chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement de cinquante salariés ou plus, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l’article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l’employeur ».
Ainsi, dans son arrêt du 22 septembre 2010 précité, la Cour de Cassation étant appelée à se prononcer sur la validité de la désignation d’un délégué syndical central CGT au sein d’une UES, a logiquement rappelé que le seuil de 10 % fixé par l’article L. 2121-1 du code du travail se calcule en additionnant la totalité des suffrages obtenus lors des élections au sein des différentes entités composant l’UES.
Pour valider la désignation des 4 délégués syndicaux d’établissement CGT et des 6 représentants syndicaux aux CHSCT par le syndicat CGT RENAULT DOUAI le tribunal d’instance se réfère à l’article L2143-3 du code du travail qui dispose :
« Chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise ou l’établissement de cinquante salariés ou plus, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l’article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l’employeur. »
En effet, seuls les candidats présentés par le syndicat CGT RENAULT DOUAI ont respectivement recueilli, sur leur nom et dans leur collège, au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d’entrepris dans leur collège.
S’agissant des désignations des représentants CGT aux CHSCT, le syndicat CGT RENAULT étant le syndicat affilié à la CGT habilité à désigner les délégués syndicaux CGT a vocation à procéder à la désignation des représentants syndicaux aux CHSCT.
Sur ce point le tribunal devait, en l’absence d’arbitrage rendu par la seule confédération nationale en application de l’article 24 de ses statuts, appliquer la règle chronologique.
A la finale, si la CGT retrouve son rang au sein de l’établissement RENAULT DOUAI, au grand dam de la direction qui s’est pourvue en cassation, on ne peut que rester amer que devant un tel gâchis.
On appréciera par contre la rigueur et le bien fondé du raisonnement suivi par le Tribunal d’instance de DOUAI qui a rendu une décision particulièrement bien motivée.
Claude LEVY
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