Chronique ouvrière

Quand la justice met un frein aux us et abus de la modulation

lundi 13 août 2007 par Marie Laure DUFRESNE-CASTETS

Décision

Cour de Cassation
Chambre sociale
Audience publique du 9 janvier 2007
N° de pourvoi : 05-43962

Publié au bulletin

Président : M. TEXIER conseiller

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen relevé d’office après avis donné aux parties :

Vu les articles L. 122-45, L. 212-1-1 ensemble le V de l’article 8 de la loi du 19 janvier 2000 et L. 212-8-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige ;

Attendu que Mme X..., employée par la société Sporfabric, a été absente pour maladie professionnelle du 15 juin au 1er septembre 2000, puis pour maladie du 10 juin au 15 septembre 2002 ;

qu’ayant conclu un accord sur l’aménagement et la réduction du temps de travail le 23 décembre 1999, qui prévoyait une réduction du temps de travail à 35 heures sur une base annualisée, une modulation de la durée du travail, celle-ci variant selon les semaines entre 21 heures et 44 heures, et un “lissage” des rémunérations sur la base de la durée hebdomadaire moyenne de la modulation, soit 35 heures, l’employeur, dans le cadre du bilan des heures effectivement travaillées réalisé en fin d’année, a décompté les heures d’absence de l’intéressée sur cette base et non sur celle de l’horaire de travail réellement effectué par les salariés pendant la durée des absences ; que, constatant qu’elle se trouvait débitrice de 29 heures pour l’année 2000, alors que les salariés ayant été présents bénéficiaient de 38 heures de crédit, payées en heures supplémentaires et qu’elle était de nouveau débitrice de 36 heures en 2002, elle a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de salaire pour les années 2000 et 2002 ; que le syndicat Hacuitex CFDT des Pays de la Loire est intervenu volontairement à l’instance ;

Attendu que pour rejeter la demande de rappels de salaire de la salariée pour les années 2000 et 2002 correspondant à des retenues opérées par l’employeur au titre de la régularisation en fin d’année, compte tenu du régime de modulation des horaires, des temps d’absence pour maladie survenus du 5 juin au 1er septembre 2000 et de juin à octobre 2002 et pour rejeter la demande du syndicat Hacuitex CFDT des Pays de la Loire, l’arrêt retient qu’en l’absence de toute disposition légale ou conventionnelle sur la question de droit posée, il parait juste et logique de considérer, en application du principe d’égalité de traitement des salariés en cas d’absence pour maladie, qu’ en cas de modulation annuelle des horaires, de la même manière que l’horaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité leur revenant à raison de cette absence est l’horaire moyen lissé, de même c’est un temps de travail correspondant à l’horaire hebdomadaire moyen de 35 heures qui doit être pris en compte en fin d’année pour procéder au décompte individuel du temps travaillé dans l’année et aux régularisations nécessaires ;

Attendu cependant qu’il résulte des dispositions combinées des articles visés qu’un accord collectif ou une décision unilatérale de l’employeur ne peuvent retenir, afin de régulariser la rémunération, indépendante des heures réellement effectuées chaque mois, du salarié en fin d’année, la durée hebdomadaire moyenne de la modulation, comme mode de décompte des jours d’absence pour maladie pendant la période de haute activité, une telle modalité de calcul constituant, malgré son caractère apparemment neutre, une mesure discriminatoire indirecte en raison de l’état de santé du salarié ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 juin 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Poitiers ;

remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans ;

Condamne la société Sporfabric aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société Sporfabric à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par M. Texier, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l’article 452 du nouveau code de procédure civile, en l’audience publique du neuf janvier deux mille sept.

Décision attaquée :cour d’appel de Poitiers (chambre sociale) 2005-06-07

Commentaire

Le système de la modulation du temps de travail, permis par l’article L.212-8 du code du travail, qui permet une alternance de périodes de haute et basse activité, les semaines hautes compensant les semaines basses, peut être associé, en vertu des dispositions de l’article L.218-8-5, au mécanisme du « lissage ».du salaire.

Le « lissage », qui, comme la modulation, doit être prévu par un accord collectif, autorise l’employeur à verser une rémunération mensuelle, identique chaque mois, mais indépendante du nombre réel d’heures effectuées pendant le mois.

Mais le système de la modulation et le paiement différé du salaire qui caractérise le lissage ne sont pas sans danger pour le salarié, notamment encas d’absence pour maladie.

Que se passe-t-il alors ? Décompte forfaitaire sur la base de 35 heures ou décompte au réel ? La loi est ici muette.

Par un arrêt du 9 janvier 2007, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation a pris position sur cette question, à l’occasion d’une affaire où l’employeur, faute de dispositions conventionnelles, avait fixé unilatéralement un mode de décompte des heures d’absence pour maladie basé sur l’horaire moyen de la modulation. Il en était résulté pour une salariée, absente pour maladie durant une période de forte activité, outre la perte des heures supplémentaires versées à ses collègues, une retenue sur salaire en fin d’année.

La réponse donnée par la Cour de Cassation est nette. Il est interdit à un accord collectif ou à une décision unilatérale de l’employeur de retenir un décompte forfaitaire pour les absences dues à la maladie en périodes de haute activité. L’employeur doit donc décompter les absences pour maladie sur la base de l’horaire effectivement réalisé.
Le décompte forfaitaire en période haute avait eu en l’espèce un effet fortement pénalisant pour la salariée malade. Sur deux ans, elle avait été considérée comme débitrice de 65 heures, et elle avait fait l’objet d’une retenue en conséquence…

D’office, sans que cela lui ait été demandé par les parties au procès, la Cour de Cassation a rappelé l’employeur à ses devoirs, au regard des dispositions de l’article L.122-45 du code du travail, qui interdisent les mesures discriminatoires, directes ou indirectes, en matière de rémunération en raison de l’état de santé du salarié. Le décompte forfaitaire est prohibé, parce qu’il constitue, « malgré son caractère apparemment neutre », une mesure discriminatoire indirecte en raison de l’état de santé du salarié.

Les patrons sont décidément insatiables. Avec la modulation, ils profitent au maximum de la force du travail du salarié en le pressant comme un citron pendant la période haute. Lorsque celui-ci ne peut plus travailler, affaibli par la maladie, ils viennent lui faire les poches.
La Chambre Sociale vient de rappeler qu’il y a certaines limites à ne pas dépasser.


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