Chronique ouvrière

La grève victorieuse du 25 mai est un avertissement pour le groupe Korian. Les travailleuses de la santé ne laisseront pas le dernier mot à la rentabilité !

lundi 8 juin 2020

Interview d’Albert Papadacci, délégué syndical central CGT du groupe Korian

Chronique Ouvrière : Pourrais-tu nous présenter le groupe Korian et nous décrire les activités de celles et ceux qui travaillent dans ses établissements ?

Albert Papadacci : Korian est un groupe Français issu de la fusion en 2016 de Medica France et Korian. Ces principaux actionnaires sont Predica (filière santé du Crédit Agricole et Malakoff Médéric).

Korian a réalisé en 2019 :3 milliards 600 d”€ de chiffres d’affaires, 163 millions d’€ de bénéfices et 54 millions d’€ de dividendes. Présent dans 6 pays européens : France, Allemagne, Espagne, Italie, Belgique, Hollande.
55 000 salarié.es dont 22 000 et France.
N°1 européen et Français.

Korian, comme tous les groupes de santé privée lucratifs, est spécialisé dans les EHPADS et SSR (Soins de suite et de réadaptation), néanmoins ces groupes, de plus en plus, se diversifient dans les résidences séniors, l’hospitalisation à domicile et le service à la personne. Rien de ce qui touche à la personne âgée “l’or gris”, ne doit leur échapper...

La population des salarié.es est majoritairement féminine (86%) et fait fonction d’ASH (agent de service hôtelier), aides-soignantes, infirmières.

Tous ces postes de soignants sont financés à hauteur de 60% par les ARS ‘ (Agences Régionales de Santé et donc par la sécurité sociale) qui sont les émanations directes du ministère des Solidarités et de la Santé (précision importante : c’est la première qu’il n’existe pas de ministère “que “ de la Santé !). Le nombre de ces postes sont estimés en fonction du taux de dépendance de l’établissement, l’Etat finance au plus juste mais rien n’empêche l’entreprise de répondre à une de nos principales revendications : plus de personnel. Cela engendre des glissements de tâches (ex : des ASH qui font des tâches relevant des aides-soignantes qui elle-même se substituent aux infirmières pour la distribution des médicaments, etc.). Cela se passe pareil pour les autres services : hébergement, administratifs qui eux sont financés par le reste à charge, c’est à dire ce que paye les résident.es.

Le ratio d’encadrement dans le secteur est de 60%, 6 salarié.es pour 10 résident.es, si on écarte du soin direct les salarié.es de l’hébergement, de l’administratif, de l’encadrement et les infirmières, on obtient 1 aide-soignante ou 1 ASH/AVS “au pied du lit” (agent de vie sociale) “faisant fonction”(mais pas payée pour la fonction !) pour 10 résident.es ; pour exemple, dans les pays du nord de l’Europe c’est 1 aide-soignante pour 4 à 5 résident.es. Ces pays allouent 4 à 5% de leur PIB contre 0.5% en France pour la prise en charge de la dépendance.

On imagine aisément les conditions de travail de ces salarié.es complètement malléables et corvéables par des directions uniquement obsédées par la rentabilité.

Chronique Ouvrière : Un mouvement de grève, qui a eu les honneurs des médias, a été déclenché le 25 mai. Quelles étaient les revendications qui ont suscité cette mobilisation ?

Albert Papadacci :

Versement de la prime de 1000€ de KORIAN pour tous, sans éléments discriminant, Cette prime dite “Prime Macron” avait été promise le 25 mars et non pas comme le dit notre directrice générale, le 27 avril, et subitement tout le monde l’a oubliée...sauf nous !

Versement de la prime de 1500€ de l’Etat pour tous, sans éléments discriminant, cette revendication était avant l’annonce du ministère de donner aux salarié.es du privé les mêmes choses qu’aux agent.es du public. A-t-il entendu les revendications du salarié.es du privé ? Il est clair que le lobbying des chambres patronales, voulant calmer les salarié.es des groupes privés a dû faire mouche.

Prime grand âge de 100€ dans le secteur privé, à l’instar des agent.es dans le public, les salarié.es du privé désirent obtenir la même chose : même travail, même conditions de travail, même traitement, pas de différence et de division entre le privé et le public que l’Etat, mes médias entretiennent depuis des années dans le seul but de diviser les travailleurs.ses.

De véritables augmentations salariales conventionnelles de 300€ net par mois,

Majoration des heures supplémentaires à 50%

Reconnaissance en maladie professionnelle du Covid 19 pour tous qui malgré les promesses du ministre Véran, ce n’est toujours pas inscrit sur le tableau des maladies professionnelles et de ce fait la sécurité sociale bloque les dossiers, se rajoute à cette problématique le fait que les directeurs de sites de Korian n’acceptent pas les accidents de travail demandés par les salarié.es pour parfaire le dossier de l’arrêt de travail dû à la maladie.

Augmentation des effectifs dans les EHPAD pour l’obtention d’un ratio d’un.e salariée pour un.e résident.e tel que le défini le Plan Grand Age proposé depuis Dominique de Villepin et par tous les gouvernements successifs mais jamais abouti...

Chronique Ouvrière : La lecture d’un tract CGT, SUD et FO Korian permet de prendre connaissance de plusieurs revendications. Parmi celles-ci figure, à côté de la demande de versement de primes, celle d’une augmentation salariale de 300 € net par mois. Les travailleurs des établissements Korian sont-ils aujourd’hui en capacité de faire aboutir des revendications tendant à une revalorisation substantielle de leur salaire de base ?

Albert Papadacci : J’en suis intimement persuadé sinon je ne serai pas à la CGT ! 1 journée de mobilisation de 80 EHPADS sur 308 a fait plier la direction générale et accélérer le processus pour la distribution de la prime. Il ne manque pas grand-chose pour casser ce système uniquement basé sur la rentabilité, d’ailleurs le ministre Véran commence à annoncer des revalorisations salariales d’ici la fin de l’année, c’est pour cela que Korian a repoussé les négociations des NAO (Négociations Annuelles Obligatoires) à septembre et octobre pour attendre les mesures gouvernementales. Aux salarié.es de se saisir de cette opportunité pour faire avancer leurs revendications. Bien entendu, la CGT Korian sera à leurs côtés et j’ai confiance pour aboutir.

Chronique Ouvrière : Les compétences de celles et ceux qui exercent des activités essentielles ne sont pas nécessairement reconnues par une « qualification conventionnelle » faisant reconnaître un véritable métier. Qu’en est-il pour les aides- soignantes travaillant dans les établissements Korian ?

Albert Papadacci : C’est un des problèmes majeurs. Nous sommes confrontés aux “faisant fonctions” : les ASH (Agent.es de service hôtelier) qui accomplissent des tâches d’AS (aides soignant.es), des AS qui accomplissent des tâches d’infirmière.es, etc. Bien sûr, ces glissements de tâches ne sont pas valorisés. La CGT Korian a obtenu une belle victoire l’année dernière par la négociation et Korian a désormais ouvert une école d’aide-soignante en collaboration avec la Croix Rouge et une école de cuisine avec Sodexo. Désormais des dizaines de salarié.es peuvent évoluer et progresser en obtenant des diplômes reconnus par l’éducation nationale. Néanmoins cela n’est pas suffisant pour nous : la CGT Korian revendique que tous les métiers référencés (120) dans notre entreprise puissent bénéficier de formations valorisantes. Mais ces formations sont soumises à un financement de l’Etat, qui baisse de plus en plus. Nos camarades du collectif formation professionnelle de notre fédération CGT santé et action sociale font un travail remarquable pour forcer l’Etat et les entreprises à augmenter les budgets formations.

Chronique Ouvrière : Au-delà des revendications immédiates, des questions de fond sont-elles posées par le mouvement de grève déclenché le 25 mai ?

Albert Papadacci : Bien sûr, les salarié.es ne se reconnaissent plus dans le métier qu’elles/ils ont appris à l’école et la réalité de leur quotidien. Ce ne sont pas des métiers qui sont choisis par défaut mais bien par conviction. C’est un métier d’humain envers un humain, qui est en plus en difficulté. Il existe une grande dichotomie entre le discours patronal sur “la prise en charge” de nos ainé.es et la réalité que vivent les salarié.es au quotidien ou elles/ils sont “les jouets” de la rentabilité, nous le disons haut et fort : “les salarié.es sont sacrifié.es sur l’autel de la rentabilité”.

Il faut absolument revoir le système de gouvernance à tous les niveaux de l’entreprise, il faut que les salarié.es se saisissent, s’emparent de leur outils de travail au détriment de petits chefs locaux, valets d’une direction générale faisant partie de la bourgeoisie et du grand capital (il n’y a qu’à voir la composition du conseil d’administration...).Ce sont à elles, à eux de définir leur organisation de travail. Les salarié.es en sont de plus en plus conscient.es. La parole s’est grandement libérée depuis les luttes menées en 2018 notamment, cela fait partie de leurs revendications que la CGT Korian porte avec fierté.


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