Temps partiel : longue marche vers le temps plein...
- Cour de cassation civile Chambre sociale 24 septembre 2008.pdf
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Une psychologue clinicienne, embauchée en 1972 en CDI par l’Association de protection de l’enfance et de l’adolescence, y travaillait 18h41 par semaine depuis juillet 2000.
Lorsque l’employeur a fait savoir qu’il voulait pourvoir au remplacement d’une collègue en congé maladie, la salariée a postulé pour occuper le ¾ temps, proposé pour une durée déterminée, considérant que, selon la loi, elle bénéficiait d’une priorité en sa qualité de salariée à temps partiel.
Son patron lui ayant opposé un refus, elle a saisi le Conseil des prud’hommes d’une demande de dommages et intérêts.
Le juge prud’homal a débouté la salariée au motif que seuls les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper un emploi à temps complet sont fondés à demander l’application de l’article L 212-4-9 (devenu L 3123-8)
La cour d’appel a rejeté à son tour la demande de la salariée car elle l’aurait conduite à cumuler un mi-temps et un ¾ temps d’une part et d’autre part parce que, selon la cour, il n’aurait pu résulter de préjudice pour la salariée de l’impossibilité de changer un CDI en CDD.
La Cour de cassation devait donc répondre à plusieurs questions.
Tout d’abord, l’article L 3123-8 disposant que « salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps complet et les salariés à temps complet qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps partiel dans le même établissement, ou à défaut, dans la même entreprise ont priorité pour l’attribution d’un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d’un emploi équivalent », cette priorité peut-elle s’appliquer à une salariée à temps partiel qui ne demande « que » l’augmentation de son nombre d’heures, sans atteindre un temps plein ?
Le fait qu’une salariée demande à cumuler un mi-temps et un ¾ de temps, ce qui la conduirait au delà des limites légales, constitue-t-il un motif légitime de refus du patron ?
Enfin, une salariée en CDI est-elle fondée à demander l’exercice d’une priorité sur un emploi en CDD ?
La Haute juridiction, qui casse l’arrêt de la cour d’appel, répond à la première question en précisant qu’un salarié qui « souhaite accroître » son temps de travail dispose de la même priorité que celui qui souhaite « occuper un emploi à temps complet ».
Cette solution résulte de la combinaison de l’article L3123-8 du Code du travail et de la directive CE n°1997-81 du 15 décembre 1997, dont l’article 5.3 prévoit que les employeurs prennent en considération les demandes d’accroissement du temps de travail des travailleurs à temps partiel.
La Cour de cassation répond à la seconde question en indiquant « que la salariée n’entendait pas cumuler les deux emplois à temps partiel », ce qui excluait le dépassement de la durée maximale du travail. Si la volonté de la salariée avait été de cumuler les deux emplois, la jurisprudence antérieure aurait trouvé à s’appliquer : le salarié à temps partiel bénéficie de la priorité d’emploi à temps complet « dès lors que cet emploi est compatible en ce qui concerne l’horaire, la durée et la répartition du travail avec l’emploi à temps partiel occupé par ce salarié » (Cass. Soc. 26 octobre 1999).
Enfin, sur la possibilité d’exercer sa priorité d’embauche sur un emploi à durée déterminée, alors que la salariée, au moment de sa demande, occupait un emploi à durée indéterminée, la Chambre sociale répond positivement. L’article L 122-3-3 devenu L 1242-14, issu de l’ordonnance du 11 août 1986, dispose en effet que « sauf dispositions législatives expresses, et à l’exclusion des dispositions concernant la rupture du contrat de travail, les dispositions légales et conventionnelles ainsi que celles qui résultent des usages, applicables aux salariés liés par un contrat de travail à durée indéterminée, s’appliquent également aux salariés liés par un contrat de travail à durée déterminée » et l’article L 3123-8 n’exclut pas les CDD.
La solution adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation ne peut manquer de susciter l’intérêt du syndicaliste, en particulier lorsqu’il est issu du secteur du commerce, où l’emploi de salariés à temps partiel et de contrats à durée déterminée constitue la règle de gestion habituelle de nombreuses entreprises.
Pire encore et afin de contourner les dispositions « favorables » de la Loi Aubry (majoration des heures complémentaires, révision de la durée de travail contractuelle sous certaines conditions, limitation des heures complémentaires, interdiction de travailler à temps plein), les patrons pratiquent couramment le recours à des avenants à durée déterminée. Cela, pour augmenter les horaires des salariés à temps partiel de la manière la plus flexible et la moins coûteuse, notamment au moment des fêtes de fin d’année. Ils cherchent même à faire de cette pratique une norme collective, comme dans l’accord ARTT signé dans la branche de l’habillement succursaliste en 2001*.
De nombreux conflits éclatent donc entre les travailleurs et leur employeur concernant l’obligation qui leur est faite de travailler pour des salaires mensuels inférieurs au SMIC. Dans plusieurs magasins Monoprix, par exemple, les salariées à temps partiel se sont mises en grève plusieurs jours, à l’appel de la CGT, pour réclamer (et obtenir !) une augmentation de la durée horaire de leurs contrats. C’était leur façon de faire appliquer la désormais célèbre formule « travailler plus pour gagner plus »…
A la réponse habituelle de leurs patrons qui leur disaient « qu’il n’y avait pas d’emploi à temps plein ressortissant à leur catégorie », elles avaient trouvé la parade en revendiquant une priorité pour l’augmentation de leurs horaires.
Si, à leurs oreilles, l’arrêt de la Haute juridiction trouvera sans doute une résonance particulièrement agréable, si ce point-là constitue, sans doute, une victoire pour les salariés, cette appréciation positive mérite cependant d’être nuancée.
Car, tout d’abord, la Cour maintient implicitement l’obligation de « compatibilité » horaire entre l’horaire actuel d’un salarié qui fait une demande d’augmentation de son contrat et ceux proposés par l’employeur.
Or, pour refuser au salarié l’exercice de sa priorité, les employeurs ont souvent recours à cet artifice : un « poste » dont l’addition des horaires avec ceux du salarié excèderait la durée légale du travail –argument invoqué par l’employeur dans la procédure dont il est question- ou alors des horaires totalement incompatibles ou qui se chevauchent en partie.
Puisque l’augmentation, même partielle, de l’horaire du salarié est désormais admise lorsque le poste proposé ne peut porter le contrat du salarié à temps plein, pourquoi ne pas admettre également que, si l’incompatibilité horaire n’est pas totale, le contrat du salarié puisse être augmenté de la part compatible du poste proposé ?
Mais l’aspect le plus ambivalent de la décision réside dans sa partie la plus novatrice et, apparemment, la plus favorable pour la salariée : c’est sa priorité reconnue, alors qu’elle est en CDI, d’exercer sa priorité sur un emploi en CDD.
Est-il plus favorable pour un salarié à mi-temps en CDI de passer à ¾ temps en CDD ?
La cour d’appel avait répondu non, constatant « qu’aucun préjudice ne pouvait en résulter » pour la salariée.
La réponse serait « oui », si elle envisageait de quitter l’entreprise à l’issue du CDD.
Faisant prévaloir la liberté contractuelle de la salariée, la Cour de cassation rejette l’argument de la cour d’appel. Mais dans ce cas de figure, le CDD remplacerait purement et simplement le CDI, avec des conséquences pour le moins floues pour la nature de la rupture du contrat et ses effets pour la salariée.
La réponse est encore moins simple si cette dernière pensait réintégrer son poste CDI à mi-temps à l’issue de son CDD, ce qui est le plus probable.
Comment s’assurer, dans ce dernier cas, « un droit de retour » dans son contrat d’origine, à l’issue du CDD, dès lors qu’il est acquis qu’elle ne cumulera pas les deux contrats ?
La solution couramment utilisée par les patrons, comme signalé plus haut, c’est de faire signer au salarié un avenant à durée déterminée à son contrat à durée indéterminée.
Là encore, les difficultés qu’engendrerait cette solution seraient multiples. Quel serait le sort de son CDI pendant la durée du CDD ? Comment s’appliquerait le droit relatif aux contrats à durée déterminée en matière d’indemnité de précarité ?
Mais surtout, que faire alors des méthodes, évoquées plus haut, de contournement par les avenants à durée déterminée des dispositions protectrices des salariés à temps partiel ?
C’est en raison de ces détournements que la CGT s’est toujours opposée à la pratique des avenants à durée déterminée pour modifier le nombre d’heures des salariés à temps partiel.
Faudra-t-il, désormais, se lancer dans une distinction hasardeuse entre des avenants « bien intentionnés » et ceux faits dans le seul but, frauduleux, de contourner la loi ?
Si pour les salariés et leurs représentants, il est désormais certain qu’il existe une priorité pour augmenter les horaires d’un temps partiel et que cette priorité peut s’exercer pour des heures proposées à durée déterminée, les questions de l’exercice concret de cette priorité et de ses conséquences restent problématiques.
*Accord ARTT, Avenant 42 du 5 juillet 2001 à la convention collective du 30 juin 1972 des maisons à succursales de vente au détail d’habillement, art IV,