Chronique ouvrière

Quand les salariés rédigent la loi

mercredi 17 octobre 2018 par Dominique SICOT

Manifestations, interpellations des politiques, actions en justice…depuis plus de deux ans, les salariés du sous-traitant automobile GM&S Industry, devenue LSI fin 2017, font feu de tout bois pour tenter de sauver leur usine et leurs emplois. S’appuyant sur leur expérience, ils ont rédigé une proposition de loi visant à établir la « responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis des sous-traitants, des emplois et des territoires ». Avant tout, pour eux, un outil militant..

Depuis fin 2016, quelques dizaines de salariés d’un sous-traitant automobile de La Souterraine (6000 habitants), dans la Creuse, se battent avec acharnement pour sauver leur usine, spécialisée dans l’emboutissage. En jeu, leurs emplois mais aussi la survie de tout un territoire (GM&S était le deuxième employeur privé du département). Alors que la société GM&S Industry, propriétaire du site depuis 2014, était mise en redressement judiciaire, les syndicats CGT (majoritaire) et FO expliquaient dans un tract « Renault et PSA veulent notre liquidation ». Précisant : « après 40 ans de bons et loyaux services, les constructeurs automobiles français ont planifié et organisé leur désengagement de notre site industriel GM&S. Renault depuis 2010 et Peugeot depuis 2014 (…) ». Pour les salariés, ce sont les donneurs d’ordre, omniprésents dans la gestion, qui ont entravé toute diversification du site. C’est sous leur égide que se sont succédé repreneurs de passage et montages juridico-financiers de plus en plus opaques. Les anciens dirigeants d’Altia, groupe propriétaire du site de La Souterraine de 2009 à 2014, sont ainsi soupçonnés par la justice d’abus de biens sociaux et d’escroquerie. Et l’enchevêtrement de holdings de droit britannique entourant GM&S Industry et l’homme d’affaires italien Gianpiero Colla- qui avait racheté l’usine pour 3 euros en 2014 sur la base des « liens de confiance » existant avec PSA si l’on en croit un accord conclu entre les deux parties le 18 novembre 2014-ne peut qu’interroger sur les intentions qui avaient prévalu lors de cette reprise.

Elever le niveau de conscience

Forts de leur douloureuse expérience, les salariés de GM&S – avec l’aide de leur avocat Me Jean-Louis Borie, du cabinet d’expertise Syndex, de militants, du service juridique de la fédération CGT Métallurgie…- ont décidé de rédiger une proposition de loi sur la « responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis des sous-traitants, des emplois et des territoires ». Certes, malgré l’intense travail de lobby engagé par les GM&S auprès des parlementaires et responsables de partis, la configuration politique actuelle offre à leur texte peu de chance de devenir une loi. Mais leur démarche est lucide. « Une proposition de loi, c’est réformiste, certes » explique ainsi Vincent Labrousse, ex-délégué CGT de l’usine, aujourd’hui licencié « mais c’est un outil pour élever les consciences ».

Dans le préambule de leur proposition, les salariés s’appuient sur la loi du 21 février 2017 portant sur le « devoir de vigilance des sociétés mères et des donneuses d’ordre. Ils rappellent que : « Depuis février 2017, les entreprises transnationales sont tenues de mettre en œuvre des plans de vigilance pour prévenir les atteintes graves à l’environnement et à la santé, et donc d’identifier les risques sur toute leur chaîne de fournisseurs afin de préserver la société et les consommateurs. Il est temps d’élargir ce devoir de vigilance aux risques sociaux et économiques que ces grandes entreprises font peser sur leurs sous-traitants et sur leurs salariés ».

La main mise des donneurs d’ordre

Toujours dans le préambule, ils expliquent comment depuis plusieurs années : « Les donneurs d’ordres ont choisi de déstructurer leur entreprise en externalisant des savoir- faire, la conception et la fabrication de parties entières de véhicules contribuant de fait à la création de ce qu’on l’on appelle les équipementiers automobiles de rang 1 suivis de sous- traitants de rang 2, 3 .... ». Avec pour objectif « la maximisation de la rentabilité au détriment de la créativité, de la recherche, de l’industrie, de l’emploi, des salariés donc des territoires. » Ils soulignent le déséquilibre qui caractérise relation commerciale entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Les groupes imposent en effet leurs prix, sans prendre en compte la totalité des coûts d’approvisionnement de leurs fournisseurs et « en multipliant les exigences de sur-qualité (pour se protéger) ». Ils pratiquent des délais de paiement tels que ce sont paradoxalement les PME qui jouent le rôle de banquiers des grands groupes. De plus, les modalités des appels d’offre européens handicapent les PME et les TPE qui n’ont pas la capacité de répondre à la totalité du marché mis en jeu et perdent ainsi des commandes, alors qu’il suffirait par exemple de permettre à des groupements de d’entreprises de répondre collectivement à ces appels d’offre.

« La prédominance de la relation est telle que les donneurs d’ordres peuvent aller jusqu’à s’impliquer dans les choix de gestion des sous-traitants » écrivent les salariés de GM&S, rappelant que cette omniprésence impose l’organisation, le dimensionnement et jusqu’à l’implantation géographique des entreprises. Et que « dans la filière automobile, le changement de modèle industriel, d’entités de production/ conception intégrées à des usines d’assemblage faisant appel à de nombreux sous-traitants, s’est poursuivie par la délocalisation massive de la production vers des pays avec des normes sociales, environnementales moins protectrices. ». Mouvement s’accompagnant de fermetures d’usines « à la hussarde » en France et en Europe. Du fait de leur dépendance, les sous-traitants subissent aussi de plein fouet les choix économiques, technologiques ou de processus de fabrication des donneurs d’ordre- choix parfois non anticipé comme c’est le cas aujourd’hui avec l’abandon du diesel.

Cette mise à mort des sous-traitants déstructure les territoires, engendre pertes d’emplois et de savoir-faire. Au bout du compte, ce sont les collectivités locales, l’Etat et Pôle emploi qui en supportent le coût. D’où la nécessité d’une loi « incitant les donneurs d’ordres au respect des entreprises sous-traitantes, de leurs salariés et des territoires où ceux-ci vivent ».

Réduire les effets de la dépendance des sous-traitants

La proposition de loi des salariés de GM&S prévoit neuf articles, qui viendraient s’insérer dans le code du travail, le code du commerce, le code de l’environnement et le code des marchés publics. Ils visent à qualifier la relation donneur d’ordre /sous-traitant, à préciser la responsabilité sociale et économique des donneurs d’ordre ainsi que leur responsabilité environnementale et leur responsabilité juridique.

Ainsi, la relation donneur d’ordre/ sous-traitant serait établie « dès lors que le donneur d’ordres est une entreprise d’au moins 5000 salariés dont le siège social est en France et 10 000 salariés lorsqu’il est à l’étranger, qu’il y a une relation commerciale établie de caractère stable, suivie et habituelle (au moins 30% du chiffre d’affaires sur les 5 dernières années) et que le chiffre d’affaires du fournisseur dépend à 30% d’une entreprise. En cas de changement de capital social, de forme juridique ou de dénomination du sous- traitant, la durée consécutive de cinq ans ne s’interrompt pas lorsque le site de production est inchangé ».

Le projet de loi prévoit aussi que les entreprises sous-traitantes soient « intégrées dans le comité de groupe des donneurs d’ordres, ou à défaut, dans un comité inter-entreprises », afin d’obtenir des informations sur les contrats en cours et futurs, sur les projections d’activités, sur les besoins en compétences et qualifications…Il définit la responsabilité du donneur d’ordre en cas de licenciements économiques chez un sous-traitant. Dans ce cas, ce dernier serait « solidairement responsable de la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l’emploi et les moyens mis en œuvre dans ce cadre seront appréciés à l’aune des moyens du donneur d’ordres ». Il échapperait toutefois à cette responsabilité si deux conditions sont respectées : pas de baisse du chiffre d’affaires réalisé avec le donneur d’ordre sur les deux derniers exercices comptables ; et intégration de l’entreprise sous-traitante dans le comité de groupe ou dans un comité inter-entreprise disposant de moyens d’anticipation.

Début octobre, lors de la discussion de la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) à l’Assemblée nationale, la députée de Paris « La France Insoumise » Danièle Obonno a tenté, sans succès, d’introduire plusieurs amendements issus de la proposition de loi des salariés de GM&S. Jean-Baptiste Moreau, le député de la Creuse « La République en marche », s’est lui vanté d’avoir obtenu « une mission parlementaire pour mieux encadrer les relations entre les entreprises donneuses d’ordre et les entreprises sous-traitantes ». En guise d’enterrement de première classe ? Les salariés de GM&S eux continuent leur combat. Ils ont mis au point un « Petit manuel de la loi », argumentant et développant les raisons et le sens de leur démarche. Avec quelques convictions chevillées au corps : par exemple, que l’on ne peut pas laisser les multinationales façonner l’économie mondiale à leur seul profit ; et que les salariés ont toute légitimité à s’en mêler.

Brève histoire de l’usine

Créée en 1963 sous le nom de Socomec, l’usine de La Souterraine, dans la Creuse, a d’abord fabriqué des trottinettes et des tricycles. En 1970, elle amorce sa diversification avec la fabrication de pièces pour l’automobile et devient sous-traitant de Renault. L’emboutissage devient vite son activité essentielle, les groupes Renault et PSA ses donneurs d’ordre principaux. C’est d’abord un succès : au début des années 1980, le site creusois compte quelque 600 salariés, et deux autres sites sont même créés au Mans et à Bessine-sur-Gartempe (Haute-Vienne). En 1993, la Socomec est vendue au groupe SER, vite confronté à la crise du secteur automobile. En 1997, les sites de La Souterraine et Bessine sont vendus à Ariès Industries. L’usine creusoise subit 60 licenciements. Et Ariès passe rapidement la main au groupe britannique Wagon. Après une parenthèse de relative prospérité (1998 à 2005), les propriétaires vont se succéder : Sonas, Halberg, Altia qui va piller financièrement l’usine, Transatlantic Industries, Gianpiero Colla- surnommé par les salariés « la marionnette des constructeurs » et sa holding de de droit britannique GM&S Industry. Mais aussi les plans de licenciement, les redressements judiciaires (2008, 2014, 2016) et la liquidation en juin 2017, suivie par la reprise partielle du site par le groupe GMD qui ne conservera que 120 des 277 emplois restants. Des emplois en sursis : baptisé LSI (La Souterraine Industrie), le site ne tourne qu’à 37% de ses capacités un an après sa reprise. Malgré les promesses faites aux pouvoirs publics et aux syndicats, PSA et Renault n’ont jamais respecté les niveaux de commandes auxquels ils s’étaient engagés.

Annexe 1 : Proposition de loi des GM&S

proposition de loi des GM&S.pdf

Annexe 2 : Le petit manuel de la loi GM&S

Petit manuel de la LOI GM&S DO-STT-Territoire.pdf

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