Chronique ouvrière

A l’attention des exploitants vinicoles ! L’absence de formation appropriée ne se dissout pas dans le licenciement disciplinaire

dimanche 5 novembre 2023 par Pascal MOUSSY
CPH Orange 15 avril 2021.pdf
CA Nîmes 21 mai 2023 .pdf

Un ouvrier agricole d’origine marocaine était engagé la 2 juin 1986, par contrat de travail à durée indéterminée conclu de manière verbale, par la société Vignobles Jérôme Quiot. Pendant vingt-trois ans, il effectuait son travail au sein de l’exploitation sans faire l’objet d’aucun reproche ou sanction.

Le 13 mai 2009, il procédait au traitement de six hectares de vignes, comme le lui avait demandé le chef de culture, il utilisait le produit Garlon, désherbant puissant destiné à éliminer les souches, au lieu du produit Durbsel, habituellement employé pour le traitement des vignes. Ce qui entraînait la détérioration des six hectares malencontreusement traités avec le Garlon. Une procédure de licenciement pour faute grave était aussitôt déclenchée à son encontre.

Le 15 mai l’ouvrier agricole indiquait à son employeur qu’il était bien conscient du dommage subi par celui-ci tout en soulignant que sa responsabilité ne pouvait être mise en cause dans l’erreur de traitement intervenue l’avant-veille. Il faisait notamment valoir que son manque de maîtrise de la langue française, son illettrisme connu par son employeur et l’ensemble de l’équipe d’encadrement le mettaient dans l’incapacité d’apprécier la qualité ainsi que la contenance du produit incriminé. Il soulignait également que les contenants mis à sa disposition ne présentaient aucun signe distinctif lui permettant de différencier le Garlon du Durbsel et qu’en conséquence l’erreur survenue révélait un dysfonctionnement d’organisation dans le service et n’engageait aucunement sa responsabilité personnelle.

L’employeur ne prenait pas en considération ces observations et notifiait au salarié, par un courrier du 5 juin, une mesure de licenciement pour faute grave. La lettre de licenciement insistait sur le caractère « catastrophique » des conséquences de l’erreur de traitement. « Nous allons très probablement être contraints de travailler ces terres de manière très pointue et précise afin de pouvoir les exploiter de nouveau ou bien nous serons contraints d’arracher les 6 hectares pour repartir sur de nouvelles plantations. Nous considérons que l’erreur grave que vous avez commise et les conséquences sérieuses que ceci a engendrées constituent une faute grave justifiant votre licenciement immédiat ».

Le Conseil de prud’hommes d’Orange a considéré que le licenciement ne reposait ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse.
Le juge prud’homal, par son jugement très motivé du 15 avril 2011, a refusé de valider la mesure de licenciement.

L’arrêt rendu le 21 mai 2013 par la Cour d’appel de Nîmes a confirmé la condamnation de l’employeur au versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Les juges d’appel ont procédé aux constatations suivantes.

Le produit Garlon incriminé n’était que très rarement utilisé et les bidons de ce produit avaient été déplacés quelques jours avant les faits et ne se trouvaient donc pas à leur emplacement habituel.

Si, après les avoir vus, il apparaît que les bidons contenant le Garlon et de Durbsel sont bien différents, il n’en est pas de même lorsque les ouvriers remplissent les produits dans la citerne avec leur masque et leurs lunettes puisque leur visibilité est alors considérablement réduite.

L’employeur ne prouve pas que le salarié mis en cause ait déjà utilisé le produit Garlon et ait attiré l’attention de ce salarié sur la dangerosité de ce produit.

Les photographies versées aux débats des deux bidons « Garlon » et « Durbsel » font ressortir la différence de couleur des étiquettes. Mais il doit être précisé que l’ouvrier mis en cause ne sait pas lire et qu’il n’était donc pas en mesure de comprendre la signification des étiquettes sur lesquelles ne figurait aucun symbole susceptible d’attirer l’attention des utilisateurs sur le caractère nocif du produit.

La Cour d’appel a ensuite souligné que l’employeur n’avait pas satisfait aux obligations qui lui étaient dévolues par l’article R. 4412-38 du Code du travail.

L’article L. 4121-1 du Code du travail précise que les mesures que doit prendre l’employeur pour assurer la sécurité et protéger la santé physique des travailleurs comprennent « des actions d’information et de formation ».

Les dispositions de l’article R. 4412 - 38 du Code du travail sont spécialement consacrées à l’information et la formation dues aux travailleurs utilisant des agents chimiques dangereux.

Ceux-ci doivent recevoir « des informations sous des formes appropriées et périodiquement actualisées sur les agents chimiques dangereux se trouvant sur lieu de travail, telles que notamment leurs noms, les risques pour la santé et la sécurité qu’ils comportent et, le cas échéant, les valeurs limites d’exposition professionnelle et le valeurs limites biologiques qui leur sont applicables » ainsi qu’« une formation et des informations sur les précautions à prendre pour assurer leur protection et celle des autres travailleurs présents sur le lieu de travail. Sont notamment portées à leur connaissance les consignes relatives aux mesures d’hygiène à respecter et à l’utilisation des équipements de protection individuelle  ».

Les juges d’appel ont constaté que, bien que l’ouvrier agricole mis en cause ne sache pas lire, la formation assurée par l’employeur avait été formalisée par des seuls documents écrits.

Ils ont souligné qu’il ne s’agissait pas des « des formes appropriées » voulues par l’article R. 4412-38 du Code du travail. « Compte tenu de la dangerosité et la nocivité de certains produits, il appartenait à la Société Vignobles Quiot de s’assurer que son personnel était parfaitement sensibilisé aux précautions à prendre dans leur utilisation, et de substituer ainsi, essentiellement des salariés illettrés, une formation adaptée, notamment sous forme orale ».

La Cour d’appel a également relevé que l’employeur avait reconnu avoir renouvelé auprès du personnel concerné une sensibilisation au seul port des équipements de protection individuels et donc pas aux produits agricoles utilisés.

Les juges du fond n’ont pu qu’en déduire qu’il en résultait un doute sur le caractère fautif des faits reprochés et qu’en conséquence le licenciement disciplinaire infligé à l’ouvrier agricole non suffisamment informé et imparfaitement formé à l’utilisation des produits dangereux était dépourvu de cause réelle et sérieuse.


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