Chronique ouvrière

Continental : pour la Cour d’Amiens, il fallait punir, mais symboliquement

lundi 8 février 2010 par Marie Laure DUFRESNE-CASTETS
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Nous nous souvenons tous des conditions scandaleuses qui ont présidé à la fermeture de l’usine Continental de Clairoix, de la lutte qui a suivi et de la victoire de ce mouvement exemplaire.

Parmi ces péripéties et non des moindres il y eut, le 21 avril 2009, la nouvelle du rejet de la demande de suspension du plan de suppression d’emploi par le Tribunal de grande instance de Sarreguemines. A cette annonce et dans le silence des pouvoirs publics qui leur avaient promis leur appui, une terrible colère avait saisi les quelques centaines de personnes présentes à la sous-préfecture de Compiègne. Des dégâts, dont nul, encore à ce jour, ne connaît la nature ni le contenu, avaient été causés par les manifestants exaspérés par tant d’injustice et d’abandon. Dans les jours qui ont suivi, les mêmes, qui promettaient la veille de poursuivre Continental pour ses actes de délinquance sociale avérés oubliaient leurs engagements et exigeaient une répression exemplaire, mais à l’égard des salariés en lutte. Ainsi, dès le 22 avril, Madame Alliot-Marie, Ministre de l’intérieur déclarait à Compiègne «  J’attends des interpellations et des déferrements devant les juges  » (Le Courrier Picard 22 avril 2004) ou le même jour, Monsieur Fillon, Premier Ministre, vouait à la condamnation judiciaire : « une petite minorité de salariés (…) très agissante, très violente et pour laquelle je dis clairement qu’il y aura, s’agissant des violences commises hier, des poursuites judiciaires  » (Le Monde 22 avril 2009).

Le Parquet suivait les directives du gouvernement. Sept personnes – toutes syndicalistes et membres du comité de lutte – étaient désignées à la police par la direction de l’entreprise Continental pour être citées dans des termes identiques pour avoir « détruit volontairement des biens (matériel informatique, mobilier, vitres) au préjudice de l’Etat représenté par Monsieur le Préfet de l’Oise, les dites destructions ayant été commises en réunion à l’encontre de biens destinés à l’utilité publique et appartenant à une personne publique ou chargée d’un service public, en l’espèce, les locaux de la sous préfecture  ».

Le 1er septembre 2009 la chambre correctionnelle du Tribunal de Grande instance de Compiègne condamnait Nathalie Herbin, Gérard Kéromest, et Bruno Levert à des peines de trois mois, Franck Tourneux quatre mois, Saci Benyahia et Xavier Mathieu cinq mois d’emprisonnement, assorties du sursis, déclarant les prévenus civilement solidairement responsables des dommages causés dans la sous préfecture par les manifestants.

Le 4 février 2010, la chambre correctionnelle de la Cour d’appel d’Amiens a confirmé cette décision sur le principe de la culpabilité, mais l’a infirmée dans ses dispositions relatives aux pénalités, prononçant des peines de 2000 euros d’amende pour Nathalie Herbin, Saci Benyahia , Gérard Kéromest, Bruno Levert et Franck Tourneux et de 4000 euros pour Xavier Mathieu. Enfin, s’agissant des intérêts civils, la Cour confirme le principe d’une condamnation in solidum à des montants qui demeurent indéterminés dans la mesure où l’Etat n’a fourni qu’un chiffrage approximatif et provisoire de ses demandes et n’a produit aucun justificatif à l’appui de sa constitution de partie civile.

Cet arrêt suscite deux réflexions. Il sera évidemment regretté que la Cour d’appel ait manifesté si peu de sensibilité aux principes du droit pénal qu’elle n’a pas cru devoir caractériser, à la charge de chacun des prévenus, la réalisation de l’élément matériel de l’infraction de dégradation, détérioration ou destruction d’un bien appartenant à autrui, cette indifférence l’amenant à consacrer, à l’instar des premiers juges, un principe de responsabilité collective (I). C’est pourtant sans réserve que nous pouvons nous réjouir de la signification portée par le quantum des peines prononcées (II).

I . Sous couvert de la notion de « réunion », un principe de responsabilité pénale collective

En guise d’élément de preuve au soutien de la poursuite il était apporté un extrait des actualités télévisées de TF1 à partir duquel la direction de Continental a désigné les sept prévenus. Le film traduit une atmosphère de violence à la dimension de la colère collective née du sentiment d’injustice ressenti par les salariés lorsqu’ils ont compris que leur usine allait être fermée vingt huit jours plus tard, peu important que l’employeur n’ait respecté aucune règle légale.

En revanche, ni le Ministère public, ni la partie civile n’a, à quelque moment que ce soit apporté la preuve que des biens auraient été dégradés, détériorés ou détruits par les personnes poursuivies.

Pourtant, comme cela a déjà été rappelé dans cette revue [1]. , l’ensemble des auteurs souligne que «  Le délit constitue [donc] une infraction de résultat qui aboutit soit à endommager le bien considéré (dégradation, détérioration), soit à son anéantissement (destruction).  » [2] Et il n’est pas indifférent de relever que le texte précise même le caractère que doit revêtir le dommage causé : il doit être sérieux, sinon, il n’y a pas de délit, mais une simple contravention.

Ainsi, alors même que l’article 322-1 du Code pénal, fondement de la poursuite «  n’envisage [plus] que le résultat et non le comportement qui y a conduit  » [3] , la Cour, à qui n’était au demeurant fourni aucune démonstration d’un résultat quelconque constitué de la dégradation, détérioration ou destruction matérielle d’un bien, s’est contentée, en guise de caractérisation de l’élément matériel de l’infraction, de décrire des comportements, voire de simplement relever la présence des personnes en cause dans les locaux de la sous-préfecture dans lesquels des dégradations ont été commises au cours de la manifestation qui y avait lieu.

Pour échapper à la difficulté qui lui était posée par l’absence de résultat matériel à sa disposition, la Cour a préféré oublier qu’au sens de l’article 322-3 du Code pénal, la réunion est constituée par le fait que l’infraction est «  commise par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice  ». Or, le coauteur est celui qui réunit en sa personne tous les éléments constitutifs de l’infraction commise et le complice, celui qui a accompli les actes d’instigation, d’aide ou d’assistance ayant facilité l’acte principal ou l’ayant provoqué [4] .

Ne recherchant pas d’abord si les prévenus avaient commis les faits comme coauteurs ou aidé à les commettre comme complices, la Cour a donc inversé le raisonnement et traité comme un élément constitutif de l’infraction la circonstance aggravante de la commission des faits en réunion.

Pour remettre le raisonnement à l’endroit, il ne suffisait pas à la Cour d’expliquer que «  le délit n’exige pas pour être caractérisé qu’ils aient, en personne réalisé l’ensemble des dégradations constatées  ». Pour caractériser le délit, les juges auraient dû vérifier qu’il était établi que chacun des prévenus avait, en personne, réalisé une dégradation, détérioration ou destruction d’un bien, ou bien qu’ils s’étaient rendus complices de tels faits.

La réunion des personnes, au sens de l’article 322-3 du Code pénal ne peut être constituée par la seule présence sur les lieux où se commettent des dégradations, ce qui reviendrait à admettre le principe d’une responsabilité collective refusée par notre droit ou à confondre la circonstance aggravante de la réunion avec celle de la commission en bande organisée ou avec le délit d’association de malfaiteurs, qui sont conçues de manière totalement différente.

L’on peut donc regretter fortement que, comme en première instance [5] , la règle de la personnalité de la responsabilité en matière pénale semble avoir été oubliée, ouvrant la voie à un principe de responsabilité pénale collective interdite en l’état présent du droit [6] .

Il sera cependant souligné que l’on ne peut confondre les deux décisions.

II. La Cour est restée dans le symbole

Nous venons de voir que la réalité des infractions commises ou non par les prévenus n’a été la préoccupation, ni des premiers juges, ni des magistrats d’appel.

La Cour se borne en effet à relever que «  des dégradations ont bien été commises au sein de la sous-préfecture  », sans préciser lesquelles, ni leur degré, ce qu’elle ne sait d’ailleurs aucunement.

Elle souligne ensuite que ces dégradations ont été commises «  à la faveur de son envahissement par des salariés de l’usine de CLAIROIX, au nombre desquels les prévenus se trouvaient  », pour en déduire sans plus de précision que «  Chacun des prévenus a ainsi participé personnellement à ces dégradations dans le cadre d’une action commise en réunion, le délit n’exigeant pas pour être caractérisé qu’ils aient, en personne réalisé l’ensemble des dégradations constatées  ». Certes, mais encore une fois, pour plus d’orthodoxie juridique, bienvenue en matière pénale, il eût été préférable que la Cour puisse caractériser l’existence d’une dégradation à la charge de chacun des prévenus ou bien des actes de complicité des dites dégradations.

Il aura donc suffi aux juges d’appel que les uns et les autres soient des salariés de Continental, qu’ils aient participé à la manifestation dans la sous-préfecture et aient été témoins des dégradations commises pour en déduire qu’ils en étaient coauteurs. Il a déjà été souligné qu’en jugeant, ils ont appliqué un droit qui a été abrogé [7] .

On pourrait encore reprocher à la Cour de s’être autorisée à sur-interpréter les images pour sacrifier à la figure idéologique du meneur afin de sanctionner plus lourdement Xavier Mathieu.

Cependant, bien qu’elle déclare les six salariés coupables d’infractions dont la constitution n’a jamais été établie, la Cour d’Amiens prononce des peines d’une nature différente et d’une gravité bien moindre que le Tribunal de Compiègne. La peine d’amende n’est en effet pas l’emprisonnement fut-il assorti du sursis. En outre, l’arrêt rappelle l’ensemble de l’histoire vécue par les prévenus, marquant ainsi un effort de compréhension qui n’est pas indifférent dans une décision pénale.

A la lecture de ce type de décision, l’on ne peut éviter de se souvenir de l’enseignement de Michel Foucault sur la conception moderne de l’économie du châtiment lorsqu’il relevait que «  La peine doit prendre ses effets les plus intenses chez ceux qui n’ont pas commis la faute ; à la limite, si on pouvait être sûr que le coupable ne puisse pas recommencer, il suffirait de faire croire aux autres qu’il a été puni. Intensification centrifuge des effets qui conduit à ce paradoxe que, dans le calcul des peines, l’élément le moins intéressant, c’est encore le coupable  » (Michel Foucault «  Surveiller et punir  », Ed. «  Tel  » Gallimard, II Punition, p. 112 et s. )

Dans le cas particulier des six « Conti », par l’effet amplificateur de la l’information télévisée, la colère des travailleurs s’était faite entendre et il est clairement apparu que le gouvernement avait cédé à cette colère en annonçant par la voix du Ministre Chatel, deux heures après les évènements, qu’une négociation aurait enfin lieu. Par ailleurs, une sous-préfecture, symbole de l’ordre républicain, avait été atteinte.

Il fallait donc rétablir l’ordre qui veut que la colère des travailleurs ne doit rien pouvoir produire et le trouble porté au symbole républicain permettait de fonder des poursuites judiciaires.

Il ne manquait plus que des coupables et des punitions.

Les coupables ne pouvaient être que des membres de cette «  petite minorité de salariés (…) très agissante, très violente  » montrée du doigt par le Premier Ministre Fillon. Il s’agissait évidemment de membres du comité de grève, dont il doit être précisé qu’ils n’avaient, en plus de trente manifestations, jamais commis la moindre violence.

Les punitions devaient être exemplaires.

Les magistrats du Tribunal de Compiègne ont rempli ce devoir d’ordre.

En revanche, si elle n’a pas fait preuve de beaucoup plus de rigueur juridique, la Cour d’appel d’Amiens a montré une grande intelligence politique. Sans négliger le «  symbole républicain  », elle a manifesté une forme d’indépendance et sa compréhension de la situation sociale en prononçant des peines qui n’atteindront pas réellement les six personnes en cause. En effet, les amendes de deux et quatre mille euros d’amendes ne seront pas réglées par les six personnes qui ont été prises en otage dans le champ symbolique des rapports sociaux, mais payées grâce à la solidarité ouvrière.

En déclarant les six salariés coupables, la Cour d’Amiens a appliqué l’économie du châtiment décrite par Michel Foucault.

Peu importait les coupables, dont tous savaient qu’ils n’étaient pas des casseurs. En revanche, il pouvait être annoncé qu’un Tribunal républicain avait prononcé une condamnation pour ce que la télévision avait présenté comme un «  saccage  » de la sous-préfecture. Toutefois, compte tenu de la totale incertitude qui demeurait sur la commission des infractions poursuivies, la Cour, par la nature et le quantum des peines prononcées, ne risquait pas de commettre une trop grande injustice.

Certes, en bonne orthodoxie pénale, le doute aurait dû profiter aux prévenus. Il faut néanmoins encore une fois saluer l’intelligence de cette décision qui, tout en voulant préserver un certain ordre républicain, a évité d’atteindre des personnes.

Enfin, la Cour a laissé à la partie civile, l’Etat, la responsabilité d’infliger ou non aux six salariés de Continental une autre sorte de peine, celle qui les toucherait durablement dans leur vie : une condamnation solidaire à payer au moins soixante mille euros à titre de dommages et intérêts.

Cependant, l’Etat peut encore retirer sa constitution de partie civile avant l’audience du 7 avril 2010.

[1Chronique Ouvrière du 16 octobre 2009, Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, « Quand le juge cède à la tentation de s’arranger avec la loi ».

[2Jean Pradel et Michel Danti-Juan, « Droit pénal spécial », n°1059 et s. ; voir encore à cet égard Michelle-Laure Rassat et Gabriel Roujou de Boubée, « Droit pénal spécial », n°814 ; Philippe Conte, « Droit pénal spécial », n°653 et s. ; Emmanuel Dreyer, « Droit pénal spécial », Ed. ELLIPSES, n°813 et s.

[3Michelle-Laure Rassat, « Droit pénal spécial », Dalloz, 4ème ed. n°227

[4Voir André Vitu JurisClasseur Pénal Code Articles 322-1 à 322-4, n° 66 et s.

[5Chronique Ouvrière du 16 octobre 2009, Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, « Quand le juge cède à la tentation de s’arranger avec la loi ».

[6F. Desportes et F. Legunehec, « Droit pénal général », Economica, 15 ème ed. n°504 et s.

[7Chronique Ouvrière du 16 octobre 2009, Marie-Laure DUFRESNE-CASTETS, « Quand le juge cède à la tentation de s’arranger avec la loi ».


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