Chronique ouvrière

Exécution et rupture du contrat de travail d’un travailleur sans papiers

jeudi 11 octobre 2007 par Claude LEVY

I. Exécution du contrat de travail

Le socle des droits au travail des « sans papiers », quelque soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, est l’article L341-6-1 du Code du travail.

« L’étranger employé en violation des dispositions de l’alinéa premier de l’article L341-6 est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un travailleur régulièrement engagé en ce qui concerne les obligations de l’employeur relatives à la réglementation du travail définie au livre II du présent code et, pour les professions agricoles, aux articles L713-2 et suivants du Code rural, ainsi qu’à la prise en compte de l’ancienneté dans l’entreprise.

En ce qui concerne les avantages pécuniaires, cet étranger a droit au titre de la période d’emploi illicite :

Au paiement du salaire et des accessoires de celui-ci conformément aux dispositions législatives ou réglementaires et aux stipulations contractuelles applicables à son emploi, déduction faite des sommes antérieurement perçues au titre de la période considérée. »

Alinéa 1er de l’article L341-6

« Nul ne peut, directement ou par personne interposée, engager, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. »

On ne saurait être plus clair.

Les travailleurs sans papiers bénéficient de la quasi-totalité des dispositions du Code du travail et des conventions collectives.

Par exemple, le SMIC, les minima conventionnels, les congés payés, le paiement des heures supplémentaires doivent être respectés.

L’employeur ne peut se prévaloir de la nullité du contrat de travail d’un ressortissant en situation irrégulière pour ne pas respecter la législation sur le SMIC ou verser l’indemnité prévue par l’article L341-6-1 du Code du travail.

On saisira donc le Conseil de Prud’hommes compétent, accessible, malgré les gesticulations de l’hiver dernier de SARKOSY, aux travailleurs sans papiers.

Cependant, afin d’éviter toute difficulté, il faudra se procurer, si nécessaire, les documents justifiant de l’identité réelle du salarié qui, s’il n’a pas régularisé sa situation, établira un mandat au délégué syndical assurant sa défense.

En cas de sous-traitance clandestine ou non conforme, le donneur d’ordre est tenu solidairement avec son sous-traitant au paiement des salaires et des indemnités de rupture dues au travailleur sans papier (articles L324-13-1, L324-14 et L324-14-1 du Code du travail).

Ces dernières dispositions sont très peu utilisées et il nous faut réfléchir à leur mise en œuvre, les marchés, notamment dans le secteur des services et du bâtiment, étant soumissionnés à des prix ne permettant pas le respect du Code du travail et des conventions collectives.

II. Rupture du contrat de travail

C’est la 2e partie de l’article L341-6-1 cette fois qui protège les travailleurs sans papiers.

« En cas de rupture de la relation de travail, (cet étranger a droit) à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire à moins que l’application des règles figurant aux articles L122-3-4, L122-3-8, troisième alinéa, L122-8 et L122-9 ou des stipulations contractuelles correspondantes ne conduise à une solution plus favorable.

La juridiction prud’homale saisie peut ordonner par provision le versement de l’indemnité forfaitaire visée à l’alinéa précédent.

Ces dernières dispositions ne font pas obstacle au droit du salariés de demander en justice une indemnisation supplémentaire s’il est en mesure d’établir l’existence d’un préjudice non réparé au titre desdites dispositions. »

Trois cas sont à distinguer :

1) Le travailleur a ses papiers à l’embauche, mais n’a plus ses autorisations de travail renouvelées (refus d’asile politique, condamnation, changement de réglementation, etc…).

L’employeur le licencie après l’avoir laissé continuer son travail au moins une journée à partir du moment où il en est informé.
Le travailleur doit bénéficier de l’indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire.

S’il y a plus de 2 ans d’ancienneté il a droit au préavis de 2 mois même si celui-ci ne peut être exécuté (Cassation sociale 12/03/2002 n° 99-44.316) et à l’indemnité de licenciement des articles L122-8 et L122-9 du Code du travail.

S’il est en contrat à durée déterminée, l’employeur devra lui verser les indemnités de l’article L122-3-8, équivalente aux salaires jusqu’à la fin du CDD, et de l’article L122-3-4, indemnité de fin de contrat.

Mais attention, l’employeur sera condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse s’il refuse de délivrer un des documents permettant au salarié de régulariser sa situation (tel que contrats de travail, attestation ou autre).

Le fait du prince n’existe plus.

-  Cour d’Appel de Paris 16 novembre 1990 Salvam c/ La Cour St Germain

-  Cour de cassation 13 février 1991 n° 87-43.924

-  Cour d’Appel de Paris 25 février 1992 Nagaligam c/ Klynos

-  Cour d’Appel de Paris 28 mai 1996 Legbedze c/ CGME

-  Cour de cassation 10 février 1998 n° 94-44.308 et Cour d’appel de Versailles 8 décembre 1999 Mukwala c/ S.A. Omega

-  Cour d’Appel de Paris 25 février 2003 Traoré c/ Déclic Net

-  Cour d’Appel de Paris 13 janvier 2005 Sylla c/ l’Alsacienne de Restauration

Il s’agit donc, en urgence, sans attendre un courrier de l’employeur, de le mettre en demeure de tout mettre en œuvre auprès des autorités compétentes pour que la situation du salarié soit régularisée.

A cet égard, on n’hésitera pas à solliciter la Direction départementale du travail et de l’emploi, la préfecture et autres administrations.

Dans de nombreux cas le blocage de l’employeur vient de son refus de payer la redevance OMI compte tenu de l’interdiction qu’il a d’en demander le remboursement au salarié (article L341-7-1 du Code du travail) – affaires Nagalingam, Salvam, Mukwala précitées. Une mise en demeure sera effectuée.

2) Le travailleur est embauché sans avoir de papiers

Les dispositions du 2°) de l’article L341-6-1 s’appliquent également.

Au titre du dernier alinéa de cet article des dommages et intérêts supplémentaires pourront être réclamés à l’employeur.

3) Le travailleur est embauché avec de faux papiers

Bien souvent l’employeur en est informé, voir fournit des faux papiers !

L’avantage est énorme pour le patron. Heures de travail non payées, minima non respectés, rupture immédiate du contrat à la moindre réclamation, etc…

Dans ce cas, il faudra s’attacher à démontrer que l’employeur est parfaitement informé de la situation et ne ressort ce problème qu’à l’occasion d’un contrôle de la préfecture ou de l’Inspection du travail, parfois provoqués.

La Cour de cassation dans un arrêt du 15/07/1998 n° 96-40631, par un attendu de principe, a précisé qu’il incombait à l’employeur de vérifier la nationalité du salarié au moment de son embauche, faute de quoi le licenciement prononcé pour situation irrégulière à la suite d’un contrôle de l’Inspection du travail était sans cause réelle et sérieuse.

On produira aussi des attestations sur les pratiques de l’employeur ou sur la connaissance qu’il avait de cette situation. Si la preuve est faite, ou si l’employeur conserve au moins une journée le salarié, les indemnités de rupture de l’article L341-6-1 seront dues.

Ali Korera, ouvrier nettoyeur, a fait condamner la société l’Audacieuse sur cette base devant le Conseil de Prud’hommes de Paris (jugement du 19 avril 2006 RG 05/7709).

Enfin, une loi est entrée en vigueur le 01/01/2007 qui fait obligation à l’employeur de s’assurer de l’existence de l’autorisation de travail (dernier alinéa art L341-6, R341-6 et 341-6-1 CT).

A la finale, on aura donc tout intérêt à faire appliquer ces dispositions globalement protectrices du code du travail.

Les arrêts de la Cour d’Appel et du Conseil de prud’hommes cités sont disponibles auprès de Chronique ouvrière.


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