Chronique ouvrière

Zone réservée : l’Huluberlu du Conseil d’Etat se fait l’auxiliaire des services de l’ex-chef du RAID dans leur guerre contre la liberté syndicale

mercredi 18 août 2010 par Pascal MOUSSY

I. Le contexte qui a conduit à demander au juge des référés administratif qu’il sauvegarde la liberté syndicale.

Manuel GONCALVES, salarié de la société SERVAIR 2, intervenant en qualité d’ajusteur à l’intérieur de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle, chargé d’assurer le ravitaillement des avions pour le compte de SERVAIR, était habilité à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires.

Le 19 février 2008, était déposée auprès de l’autorité préfectorale une demande tendant à ce que soit renouvelée l’habilitation de GONCALVES à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires.

Dans le courant du mois de mars 2008, le commissaire divisionnaire, directeur adjoint de la police aux frontières des aéroports de Roissy Charles de Gaulle et Le Bourget, proposait d’opposer un refus à la demande de renouvellement de l’habilitation de GONCALVES.

Par sa décision du 9 avril 2008, le préfet de la SEINE-SAINT-DENIS rejetait la demande du 19 février 2008 tendant à ce que Manuel GONCALVES soit habilité à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires

Par son jugement du 8 avril 2010, le Tribunal Administratif de MONTREUIL annulait la décision préfectorale du 9 avril 2008 et enjoignait au préfet de la SEINE-SAINT-DENIS de procéder au réexamen de la demande d’habilitation de Manuel GONCALVES dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement.

Par son courrier du 25 mai 2010, Manuel GONCALVES, qui constatait qu’il ne lui avait été notifié aucune décision de l’autorité préfectorale concernant la demande de son habilitation, exposait au sous-préfet chargé de l’aéroport de Paris Charles de Gaulle les raisons qui le conduisaient à attirer son attention sur le fait qu’une décision de refus d’habilitation entérinerait une situation d’entrave à la liberté syndicale.

Par sa décision du 11 juin 2010, notifiée le 17 juin, le préfet de la SEINE-SAINT-DENIS rejetait la demande tendant à ce que Manuel GONCALVES soit habilité à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires.

Le 28 juin 2010, Manuel GONCALVES présentait au juge des référés du Tribunal Administratif de MONTREUIL une requête tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de la SEINE-SAINT-DENIS de lui délivrer l’habilitation à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires tant qu’il n’est pas établi qu’il présente une menace pour la sûreté ou l’ordre public à l’intérieur de la zone réservée de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle.
Le juge des référés tenait son audience le 29 juin 2010 et par son ordonnance en date du même jour, il rejetait la requête de Manuel GONCALVES, après avoir considéré que le requérant ne justifiait pas d’une urgence particulière impliquant qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures.

II. Le juge du référé-liberté entérine avec la plus grande désinvolture (ou en cultivant une ignorance manifeste) l’assimilation de la liberté syndicale au terrorisme.

Manuel GONCALVES a fait valoir devant le juge des référés que l’absence de délivrance d’un titre d’accès permanent lui permettant de se rendre dans les locaux de la société SERVAIR, qui sont situés à l’intérieur de la zone réservée de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, de ne lui permettait pas de participer normalement aux séances du comité d’établissement.

En raison du refus d’habilitation, Manuel GONC ALVES a seulement droit à un « badge jaune accompagné » l’autorisant à se se rendre au maximum deux fois mois à l’intérieur de l’établissement (toutes les salles de réunion et le local syndical se trouvent à l’intérieur de la zone réservée).

Ayant épuisé son généreux quota de deux, il ne pouvait, en sa qualité de président de la commission formation du comité d’établissement, assister à une réunion de cette commission qui devait se tenir le 30 juin.

Le juge des référés a tranquillement considéré qu’il n’avait pas à intervenir (voir annexe 1). Il a estimé qu’il n’était pas établi que cette réunion doive impérativement se tenir dans une salle située en zone réservée, « d’autres locaux de l’entreprise pouvant être utilisés ». Et il a sermonné Manuel GONCALVES pour ne pas avoir entrepris des démarches auprès de l’entreprise pour que cette réunion dans un autre local de l’entreprise auquel il pourrait accéder.

Quelque peu surpris par cette motivation mise en avant par le juge des référés pour justifier son refus d’intervention (toutes les salles de réunion susceptibles d’accueillir les membres du comité d’établissement étant situées en sone réservée), Manuel GONCALVES a interjeté appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat (voir annexe 2).

Cet appel apparaissait d’une incontestable actualité.

Au début du mois de juillet, la réunion de la commission formation du comité d’établissement ne s’était toujours pas tenue… et elle ne pouvait plus avoir lieu en juillet. Dès le 2 juillet en effet, le fameux quota de deux fois par mois était épuisé et Manuel GONCALVES, qui avait demandé, le 30 juin, à la direction de l’établissement de lui indiquer un lieu permettant la tenue de la réunion, s’était vu répondre que sa participation à la réunion de la commission formation du comité d’établissement était conditionnée à sa possibilité d’accéder à l’établissement… situé en zone réservée.

Le second juge n’a pas sourcillé. « Le premier juge a, en particulier, relevé que la restriction d’accès dont se plaint le requérant ne faisait pas obstacle à l’exercice de ses fonctions représentatives, lesquelles ne s’exercent pas nécessairement dans la zone réservée de l’aéroport » (voir annexe 3).

C’est donc en s’appuyant sur des faits matériellement inexacts que le juge des référés du Conseil d’Etat a confirmé le refus de sauvegarder la liberté syndicale.

Manuel GONCALVES n’a pas eu plus de chance avec le moyen qui relevait que le refus d’accès à la zone réservée l’empêchait d’animer, en sa qualité de délégué syndical central CGT, la campagne électorale, qui devait débuter le 21 juillet, pour les élections des représentants des salariés au conseil d’administration de SERVAIR SA. Et, avant que démarre la campagne officielle, il était interdit à Manuel GONCALVES de prendre contact avec les salariés pour discuter des enjeux des prochaines élections ou répondre à d’éventuelles questions sur les candidatures présentées par son syndicat (la dépôt de la liste des candidats était prévu pour le 30 juin).

Le juge des référés du Tribunal Administratif de MONTREUIL a considéré que « le déroulement effectif de la campagne électorale ne nécessite pas que soit ordonné en ce qui concerne M. GONCALVES des mesures d’urgence ».

Le juge des référés du Conseil d’Etat a confirmé le refus d’intervention en expliquant à Manuel GONCALVES qu’il n’était pas établi que « la restriction d’accès qui lui est opposée ferait obstacle à ce qu’il prenne part à cette campagne »

Le délégué syndical central, à qui il interdit de se rendre dans le local syndical et de prendre contact avec les salariés à l’intérieur de l’entreprise, n’a donc qu’à rester à la porte de celle-ci pour diffuser la propagande électorale du syndicat.

S’il veut réaliser l’énormité de son assertion, le rédacteur de l’ordonnance du 7 juillet pourra lire avec profit les dispositions de l’article L. 2143-20 du Code du Travail qui dispose expressément que les délégués syndicaux peuvent circuler librement dans l’entreprise pour y prendre tous les contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission. Et un délégué syndical central qui anime de l’extérieur une campagne électorale ne donne pas l’image d’un syndicat proche des salariés. Ce qui n’est pas de nature à susciter à susciter la sympathie des électeurs.

III. Conscient de la difficulté de motiver sa solidarité avec les pratiques du préfet, le juge des référés passe sous silence un argument essentiel du requérant, pour ne pas avoir à y répondre.

La décision préfectorale du 11 juin 2010 refusant l’habilitation à Manuel GONCALVES reproche à Monsieur Manuel GONCALVES d’être « mis en cause » dans les affaires suivantes : « Le 12 février 2007 à Roissy (95) pour entrave au fonctionnement normal du poste d’inspection filtrage privatif et refus de se soumettre aux mesures d’inspection filtrage ; le 25 mai 2007 à Roissy (95) pour faux et usage de faux ; le 23 novembre 2007 à Roissy (95) pour violences volontaires ayant entraîné une I.T.T. de 3 jours et subornation de témoin ; le 21 février 2008 à Roissy (95) pour injures et diffamation ».

Ces différents faits, où moment de l’intervention de la décision préfectorale du 11 juin 201O, avaient fait l’objet de plusieurs examens tant par le juge pénal, l’inspection du travail et le juge de l’excès de pouvoir qui avaient abouti à des conclusions qui ne permettaient pas au préfet, sous peine d’entraver la liberté syndicale, d’opposer un refus à la demande tendant à ce que Manuel GONCALVES soit habilité à accéder à la zone réservée des plates-formes aéroportuaires.

La plainte déposée pour faux et usage de faux s’est terminée par une ordonnance de non-lieu en date du 20 mai 2009. Et il doit être relevé que le contrôle judiciaire dont avait fait l’objet Manuel GONCALVES à la suite de cette plainte a été levé notamment parce qu’il avait « pour effet de paralyser l’exercice de son mandat syndical ».

Les faits des 12 février 2007, 23 novembre 2007 et 21 février 2008 ont servi de fondement à trois demandes d’autorisation de licenciement de Manuel GONCALVES présentées auprès des services de l’Inspection de Travail des Transports. Ces trois demandes on donné lieu à des décisions de refus.

Ces trois décisions, implicitement confirmées, sur recours hiérarchique, par le Ministre en charge de l’Aviation civile, ont été déférées à la censure du Tribunal Administratif de MONTREUIL. Le juge de l’excès de pouvoir a considéré qu’il n’y avait pas lieu de prononcer leur annulation.

Le Tribunal Administratif de MONTREUIL a en effet relevé, soit qu’il n’était pas établi que, le 12 février 2007, Manuel GONCALVES se serait livré à un refus systématique de se plier aux règles de sécurité ou aurait été à l’origine d’un blocage durable du poste d’inspection-filtrage, soit que les procédures de licenciement initiées à partir des faits du 23 novembre 2007 et du 21 février 2008 n’étaient pas sans rapport avec les mandats syndicaux de Manuel GONCALVES.

Il résulte de ces différentes décisions que Manuel GONCALVES est en droit de continuer à occuper son emploi et exercer son activité syndicale et représentative à l’intérieur de l’enceinte de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle et qu’il ne saurait être légitimement être invoqué des raisons de sûreté ou de sécurité pour procéder à son exclusion.

Par sa décision de refus d’habilitation, le préfet, qui ne démontre en rien en quoi sa propre appréciation ferait ressortir que Manuel GONCLAVES ne présenterait pas les garanties requises pour la sûreté ou la sécurité, remet en cause les dispositions du jugement du Tribunal Administratif de MONTREUIL qui valide les décisions de refus qui ont été garantes de l’exercice de la liberté syndicale.

A l’exception de la substitution du mot « auteur » par le mot « mis en cause », la décision de refus d’habilitation du 11 juin 2010 reprend exactement les mêmes considérants que ceux censurés par le jugement du Tribunal Administratif de MONTREUIL du 8 avril 2010 et ne se préoccupe aucunement d’expliquer en quoi, malgré les refus d’autorisation de licenciement opposés par l’inspection du travail, la présence de Monsieur de Manuel GONCALVES à l’intérieur de la zone réservée constituerait une menace pour la sûreté, la sécurité ou l’ordre public.

Lors de l’audience tenue par le juges référés du Tribunal Administratif de MONTREUIL, le préfet s’est contenté de s’appuyer sur un rapport de police récapitulant les faits pour lesquels Manuel GONCALVES avait été « mis en cause » et rédigé au printemps 2008, sans prendre en compte l’ordonnance de non-lieu du 20 mai 2009 et le jugement du Tribunal Administratif de MONTREUIL du 23 mars 2010 et indiquer précisément les raisons pour lesquelles, malgré l’intervention de ces décisions, la présence de Manuel GONCALVES à l’intérieur de la zone réservée constituerait une menace pour la sûreté, la sécurité ou l’ordre public.

Et ce n’est pas l’amalgame auquel s’est livré le préfet en produisant des jugements concernant un détenteur de passeport volé ou un militant d’une mouvance religieuse fondamentaliste dont le prosélytisme était avéré qui était de nature à suppléer à cette absence de motivation entachant la décision préfectorale de la suspicion de remettre en cause les différentes décisions soucieuses de voir se poursuivre normalement l’activité syndicale et représentative de Manuel GONCALVES auprès des salariés de la société SERVAIR.

La lecture de la motivation de l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal Administratif de MONTREUIL met en évidence que celui-ci n’a pas estimé utile de répondre au moyen du requérant (qu’il n’a même pas évoqué), selon lequel il est urgent qu’il retrouve au plus vite la possibilité d’exercer son activité professionnelle qui consiste à assurer le ravitaillement des avions pour le compte de la société SERVAIR afin que soit mis fin à l’atteinte apportée à la liberté syndicale à travers la remise en cause de l’emploi du délégué syndical.

L’argument ne méritait pourtant pas d’être ignoré et encore moins de ne pas être pris au sérieux.

La liberté syndicale est remise en cause s’il est interdit au représentant syndical de travailler effectivement dans l’entreprise et il appartenait au moins à l’autorité préfectorale d’indiquer précisément les raisons pour lesquelles, malgré l’intervention des décisions de l’Inspecteur du Travail refusant la remise en cause de l’activité syndicale et représentative, la présence de Manuel GONCALVES à l’intérieur de la zone réservée constituerait une menace pour la sûreté, la sécurité ou l’ordre public.

Comme elle ne l’a pas fait, le requérant a insisté auprès du juge des référés du Conseil d’Etat pour qu’il intervienne en soulignant qu’il Il y avait urgence, au regard de la préoccupation de sauvegarder la liberté syndicale, que le juge des référés intervienne pour neutraliser les effets du comportement du préfet qui continue, au moyen d’une décision de refus d’habilitation à la motivation insuffisante, à interdire à Manuel GONCALVES d’exercer normalement son activité syndicale et représentative auprès des salariés de la société SERVAIR.

Pas plus que le premier juge, le juge d’appel n’évoque le moyen. Il n’a donc pas eu à y répondre.

Le procédé est pour le moins inacceptable. Même si l’on doit accorder au rédacteur de l’ordonnance que motiver la complaisance d’un juge du référé-liberté avec les pratiques des services du préfet attentatoires à la liberté syndicale n’était pas un exercice des plus faciles.

Suspendons notre colère. Laissons la place à la naïveté. Si nous avions accompagné le Huron au début de l’été dans sa nouvelle visite au Palais-Royal (J. RIVERO, « Le Huron au Palais-Royal, ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », D. 1962, 37 et s.), nous lui aurions fait découvrir que siégeait comme juge des référés un Huluberlu.

IV. Annexes (à consulter avec Adobe Acrobat Reader)

Annexe 1 :

TA Montreuil, ordonnance du 29 juin 2010.pdf

Annexe 2 :

Requête de Manuel GONCALVES devant le Conseil d’Etat.pdf

Annexe 3 :

Conseil d’Etat, ordonnance du 7 juillet 2010.pdf

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