Chronique ouvrière

Les enjeux de la bataille de la communication en droit du travail

mercredi 24 avril 2019 par Pascal MOUSSY

A Jean-Maurice VERDIER

La durée du mouvement de grève victorieux de 112 jours observé par les salariés du Mc Do de Strasbourg-Saint-Denis fin 2001- début 2002 n’est pas restée inaperçue. Ce conflit collectif s’est également fait remarquer par le rôle joué par l’action judiciaire dans la bataille de la communication entre l’employeur et les grévistes.

Le gérant du M Do de Strasbourg-Denis tentait de convaincre les journalistes que le mouvement de grève ne relevait pas d’un conflit du travail classique, mais d’un mouvement de soutien à des personnes accusées d’avoir participé à des malversations ayant été à l’origine d’une diminution du chiffre d’affaires de l’ordre de 100 000 F par mois.

Il faisait notamment état auprès des journalistes de journaux électroniques et de rapports de tiroir-caisse révélant un nombre anormalement élevé d’opérations de caisse, qui auraient été réalisées en violation des principes affirmés par la « politique de caisse » et par le règlement intérieur.

Certains articles de presse ont été sensibles à cette version des faits et commençaient à présenter les salariés en grève comme soutenant une cause peut -être indéfendable (France-Soir du 30/11/2001, « Rebondissement dans l’affaire du Mad Donald’s de Strasbourg St Denis. La brigade spéciale mène l’enquête. Si l’abus de confiance est prouvé, les cinq licenciés risquent jusqu’à cinq ans de prison et 500 000F d’amende » ; Le Nouvel observateur du 6 au 12 décembre 2001, « Mic mac chez Mc DO ? Le fast food en grève du boulevard St Denis est devenu le dernier rendez-vous de la gauche anti-mondialisation. Et si la cause n’était pas si bonne ? »).

Le travail de « communication » entrepris par Mc Donald’s commençait à porter ses fruits et un nombre croissant de journalistes prenait au sérieux les accusations portées par l’employeur, fascinés par « l’objectivité » attribuée aux journaux électroniques dont faisait état le gérant…

La saisine du juge des référés prud’homal a permis de démontrer que ces fameux journaux électroniques ne pouvaient sérieusement servir de fondement aux accusations portées par l’employeur dans les lettres de licenciement.

La délivrance de l’action en référé a tout d’abord permis d’obtenir la communication des documents susceptibles d’établir la matérialité des « infractions reprochées aux salariés mis en cause ».

L’audience tenue le 19 décembre 2001 a ensuite été l’occasion de mettre en évidence qu’une lecture un tant soit peu attentive des journaux électroniques et rapports de tiroir-caisse produits par l’employeur ne permettait d’imputer à l’encontre des intéressés aucune irrégularité en matière d’opérations de caisse.

Le commentaire en audience publique des « pièces à conviction » du gérant du MC Do de Strasbourg-Saint-Denis eut un double effet. Il renforça la conviction des salariés qui s’étaient mis en grève du caractère mensonger des accusations de l’employeur et accentua leur détermination à continuer leur mouvement de solidarité avec les licenciés. Il contribua à faire naître chez une partie des journalistes présents à l’audience un doute sérieux sur la fiabilité des fameux « journaux électroniques »… D’autant plus que le défenseur de l’employeur se refusait à discuter de leur contenu…

Le résultat favorable obtenu (en départage) le 24 janvier 2002 fut bien sûr accueilli par une énorme explosion de joie. Les grévistes repartirent gonflés à bloc. Il n’était pas question d’arrêter le mouvement tant que leurs revendications n’étaient pas satisfaites. Et il est non moins évident que la victoire obtenue devant le juge des référés prud’homal a été d’un poids déterminant dans les négociations qui ont abouti au protocole de fin de conflit.

La bataille de la communication peut également se mener, même en l’absence d’un conflit collectif, autour des concepts qui nourrissent le droit du travail.

La « communication » se définit comme l’action de « transmettre de l’information, influencer le public par une transmission d’efficace d’idées, d’impression, d’images symboliques ». En droit du travail, les chefs d’entreprise et la doctrine qui assure leur service après-vente, ne se privent pas des joies de la manipulation.

« Je partirai du constat que nous sommes souvent confrontés à des discours, à des écrits qui ne sont pas seulement énoncés pour nous communiquer des informations, des sentiments, des connaissances, des points de vue sur le monde, mais aussi pour exercer une pression, une influence sur nous-mêmes : lorsque autrui veut nous faire agir ; nous convaincre ; nous persuader, nous enrégimenter ; nous nommer ; nous imposer des conduites ou des pensées, etc. ». Et une bonne maîtrise de la communication peut se révéler comme un attribut du pouvoir. « La façon de nommer les objets du monde et les personnes oriente bel et bien la conception qu’on s’en fait, de façon consciente ou non. Et avoir la capacité de nommer confère un pouvoir particulier. Les groupes dominants tendent à imposer leurs mots pour nommer et catégoriser les choses, les notions, les groupes humains ».

L’art de la présentation n’est pas nécessairement associé à la manifestation de la vérité. « Car je me flatte de prendre soin de la rédaction de « mon procès-verbal » et d’en faire un exposé ordonné et logique. Le procès-verbal est la seule pièce qui compte aux yeux des autorités. C’est aussi la seule preuve qui témoigne de la sagacité et de la finesse d’un substitut ; car de l’arrestation du coupable, personne en vérité ne se soucie ».

Ceux qui se situent dans le camp des travailleurs ne sauraient rester silencieux face à l’entreprise de modelage des esprits mise en œuvre par la diffusion de certaines représentations patronales visant à se présenter comme des concepts clés du droit du travail. Il s’agit de rentrer dans la bataille de la communication en se livrant à l’interprétation qui permet de faire ressortir le caractère particulièrement orienté de présentations s’affichant sous le sceau de l’évidence ou du consensualisme. La prise de parole donnera également l’occasion d’affirmer des principes particulièrement subversifs pour le droit capitaliste du travail.

I. La résistance à la manipulation patronale.

Par ses fameux arrêts du 10 juillet 996, la Cour de cassation, répondant aux vœux des patrons, a affirmé un principe catégorique : « Le refus par un salarié de continuer le travail ou de le reprendre, après un changement de ses conditions de travail décidé par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction, constitue en principe, une faute grave, qu’il appartient à l’employeur de sanctionner par un licenciement ».

Il semble difficile, pour un juge social rigoureux, de s’en tenir à une conception formelle de l’organisation du travail posant le principe de la soumission absolue à toute redéfinition des conditions de travail. Les défenseurs des travailleurs auront à cœur d’inviter le juge prud’homal de refuser de participer à cette entreprise de culpabilisation et à intervenir par voie de requalification pour rappeler au détenteur du pouvoir d’exécution que le travailleur peut légitimement vouloir préserver ses conditions de travail.

Le détenteur du pouvoir d’organisation du travail détient également la prérogative de procéder à une réorganisation de l’entreprise se traduisant par des licenciements non inhérents à la personne des salariés. Depuis maintenant un bon nombre d’années, le sort des salariés victimes de la restructuration est présenté comme ayant été pris en compte par la négociation collective et il devient presque indécent, ou tout au moins irresponsable, de la part du salarié de contester la légitimité du licenciement résultant de son refus d’adhérer à la réflexion collective ayant présidé aux sacrifices salariaux souhaités par l’employeur. Il nous paraît essentiel de soutenir la contestation du licenciement du salarié réfractaire en démystifiant la célébration consensuelle de la réorganisation décidée par le chef d’entreprise.

A. La requalification de la faute proclamée à l’encontre du travailleur refusant la dégradation de ses conditions de travail.

Le droit du travail admet la « faute en l’absence d’un texte ».

« La procédure disciplinaire visée aux articles L. 1331-1 et L. 1332-1 à L. 1332-3 du Code du travail doit-elle s’appliquer dans la seule hypothèse où la faute, de nature disciplinaire, implique un élément intentionnel ou, plus largement, lorsque l’employeur entend prendre une mesure à la suite d’un agissement fautif d’un salarié ? Ces articles se contentant, sans autre précision, d’évoquer un « agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif », ils ne s’opposent pas à une définition étendue de la faute. L’administration a d’ailleurs donné à la notion de « faute » une conception particulièrement large, recouvrant non seulement les fautes contre la discipline mais également celles consistant en l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de travail (Circ. DRT n° 5/83, 15 mars 1983) ».

Depuis l’été 1992, la logique patronale déroule son rouleau compresseur. Le refus par le salarié de poursuivre l’exécution du contrat de travail qui n’a fait l’objet d’aucune modification substantielle de la part de l’employeur constitue un manquement aux obligations contractuelles que l’employeur a la faculté de sanctionner au besoin en procédant au licenciement de l’intéressé.

Les arrêts susmentionnés du 10 juillet 1996 ont insisté sur le fait que le refus du changement des conditions de travail constitue un principe une faute grave qu’il appartient à l’employeur de sanctionner par un licenciement.

Un infléchissement est intervenu avec un arrêt du 9 avril 2002, qui a amorcé l’« abandon de la faute grave systématique ». « Le refus par le salarié d’un changement des conditions de travail, qui portait à la fois sur l’horaire quotidien et sur les tâches demandées, lesquels n’avaient pas varié pendant une vingtaine d’années, n’était pas de nature à rendre impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave ».

Il n’en demeure pas moins que le refus du changement des conditions de travail est toujours stigmatisé comme une faute. Ce qui doit être vivement dénoncé.

Le postulat judiciaire qui entérine l’approche patronale affirme qu’un « changement des habitudes » du salarié ne vaut pas modifications substantielle du contrat de travail. Mais la frontière entre « l’aggravation des conditions de travail » et le simple « changement d’habitudes » n’est pas toujours facile à tracer. Surtout si l’on admet que la dégradation des conditions de travail est constitutive d’une modification substantielle des conditions d’exécution du contrat de travail.

La « dégradation » est un phénomène progressif, continu. Il ne s’agit pas d’un « bouleversement » provoqué par une réorganisation du travail effectuée de façon spectaculaire en seul temps. Il sera aussi relevé que ne relève pas d’une cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié refusant un changement à travailler dans « des conditions inacceptables ».

En tout état de cause il est essentiel de rappeler au juge qu’il n’est jamais tenu par la préqualification de « faute » donnée par l’employeur, qui a le privilège d’inscrire ce qu’il veut dans la lettre de licenciement. Le juge doit être invité, au regard du principe de proportionnalité qui est censé présider à l’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement, à effectuer une recherche un peu plus fine que ne le veut l’assertion patronale qui proclame que celui qui défend ses conditions de travail doit être puni.

B. La démystification de la célébration consensuelle de la réorganisation décidée par le chef d’entreprise.

A l’époque de l’autorisation administrative du licenciement pour motif économique, l’article L. 321-4, issu de la loi du 3 janvier 1975, prévoyait que l’employeur, en cas de projet de licenciement collectif, devait porter à la connaissance des représentants du personnel « les mesures qu’il envisage de prendre, d’une part pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et, d’autre part, pour faciliter le nombre et, d’autre part, pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité ».

La loi du 30 décembre 1986 a procédé à la suppression de l’autorisation administrative de licenciement. Le Ministre des Affaires sociales de l’emploi du moment a souligné que cette mesure s’inscrivait dans la dynamique de l’accord du 30 octobre 1986 signé par le CNPF, la CFDT, la CFTC et FO. Il mettait notamment en valeur le fait que « l’accord consacre l’obligation, pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés d’élaborer, pour tout licenciement de plus de 10 salariés, un plan social ». Il sera toutefois noté que le contenu de l’article L. 321-4 n’a pas bougé en 1986, la rédaction du texte susmentionné restant à l’identique de celle la loi de 1975 et que c’est seulement la loi du 2 août 1989 qui a introduit l’expression « plan social » dans un nouvel article L. 321-4-1 du Code du travail. C’est ensuite la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 qui a substitué au « plan social » le « plan de sauvegarde de l’emploi ».

Le « plan de sauvegarde de l’emploi » est présenté par Wikipédia dans les termes suivants : « Le plan de sauvegarde de l’emploi, également connu sous son ancien nom de plan social ou le sigle PSE, désigne un dispositif légal français visant à limiter les conséquences des licenciements collectifs, mis en place dans l’article L. 1233-1 du code du travail… Dans les médias français, « plan social » est souvent employé comme métonymie pour désigner le licenciement collectif lui-même ». Tout ça pour rien… Le « plan social » est toujours perçu et vécu comme un licenciement collectif.

Il ne faut cependant pas perdre de vue le tournant qui s’est opéré en 1986. Depuis la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, le Code du travail a évacué la possibilité pour le salarié compris dans un licenciement collectif de prétendre au maintien de son emploi s’il est constaté que la réalité du motif économique invoqué par l’employeur pour justifier le licenciement fait défaut. C’est seulement à l’absence dans le plan de mesure visant au reclassement qu’est attachée la sanction de nullité du licenciement. Le fameux arrêt Vivéo du 3 mai 2012 a énoncé que « la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement ». L’administration du travail n’était peut-être pas très offensive avant 1986 dans l’exercice de son contrôle qui l’habilitait à opposer une décision de refus d’autorisation de licenciement en cas d’absence de réalité du motif économique invoqué par l’employeur. Mais le cantonnement du droit au maintien de son emploi au manquement à l’obligation de se préoccuper du reclassement dans le plan est aujourd’hui consacré. Nous sommes bien loin de l’aspiration à voir interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits.
Mais l’actualité de la manipulation qui se pare des vertus de l’accord collectif n’est pas là. Elle réside dans la célébration de la dynamique conventionnelle pour tenter de proclamer inattaquable la mesure de licenciement frappant le salarié qui refuse d’adhérer aux sacrifices décidés par le manager de la réorganisation.

Les ordonnances Macron de l’automne 2017 ont été remarquées comme des textes porteurs d’une « profonde dévaluation sociale ». « Principalement, il s’agit de permettre par des accords d’entreprise d’abaisser les coûts générant les règles établies par un accord de branche. De la faculté dorénavant reconnue à un accord d’entreprise, même survenu sans négociation, d’écarter l’application de rémunérations prévus par une convention collective de branche. Il s’agit aussi de permettre à un accord collectif d’entreprise de réduire les coûts qui résultent du jeu normal des clauses du contrat de travail ».

La diminution du coût du travail est notamment promue par l’article L. 2254-2 du Code du travail issu de l’ordonnance du 22 septembre 2017 qui permet l’« aménagement » de la rémunération par un accord d’entreprise conclu non seulement dans le but de préserver ou de développer l’emploi mais également en vue de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ». Les effets des dispositions de l’accord collectif procédant à la révision du montant de la rémunération sont clairement précisés par l’article L. 2254-2 : « Les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise ».

Le salarié est fortement incité à contribuer à l’œuvre collective par les nouvelles dispositions légales qui soulignent qu’un éventuel refus d’adhérer peut être source de tous les dangers. « Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord. Le salarié dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son refus par écrit à l’employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a communiqué dans l’entreprise sur l’existence et le contenu de l’accord. Si l’employeur engage une procédure de licenciement à l’encontre du salarié ayant refusé l’application de l’accord mentionné au premier alinéa ce licenciement repose sur motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse ».

L’affinement du texte de l’article L. 2254-2 par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a donné à cet accord new look le joli nom d’« accord de performance collective ».

La loi est sévère. Elle impose l’obligation à l’accord de définir dans son préambule ses objectifs. Les juristes patronaux invitent donc à une rédaction soigneuse. « Aussi, sans que l’entreprise ait besoin de faire état de difficultés économiques, il lui est recommandé de pouvoir établir l’existence de motifs sérieux ainsi que d’un contexte spécifique ayant conduit à l’engagement de la négociation de ce type d’accord ».

Il a été relevé qu’en cas de contentieux, il sera difficile au juge, sans s’immiscer dans les choix des partenaires sociaux, de définir les contours d’un motif sérieux lié aux « nécessités de fonctionnement de l’entreprise ». Et l’exercice d’un contrôle quantitatif est beaucoup plus difficile qu’en matière de préservation ou de développement d’emplois.

Il reste pour le salarié qui n’a pas voulu prendre le risque du licenciement le sentiment fierté de participer à la « performance collective » permettant d’atteindre l’objectif de rentabilité voulu par le chef d’entreprise et ayant obtenu l’adhésion syndicale.

Le Directeur général du travail, Yves STRUILLOU, a tenu à valoriser un bilan attestant de « fortes potentialités de la négociation collective » en faisant valoir que « plusieurs dizaines d’accords de performance collective ont été signés, dans des entreprises de toute taille, sur des sujets réputés sensibles : rémunération, temps de travail, etc. ».

Nous sommes pour notre part un peu moins enthousiastes et nous proposons de militer pour que les dispositions de l’article L. 2254-2 du Code du travail qui visent à empêcher le juge de se prononcer sur la légitimité du licenciement du salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail induite par l’exécution de l’accord collectif soit déclarées contraires à la convention n° 158 de l’OIT et aux droits de la personne.

II. L’agit-prop contre le droit capitaliste du travail.

« Aujourd’hui, alors que l’humanité s’est dotée de quelque quatre à cinq mille langues, on décrit souvent le langage comme un « outil » ou un « instrument » servant à établir la communication. Une des conséquences du fait de concevoir le langage dans les termes d’un « outillage » est que s’y attache une forme de neutralité qui correspond bien aux idéologies linguistiques actuelles. Nous vivons en effet désormais dans des sociétés fortement orientées vers la recherche du consensus où le langage est très largement envisagé comme un outil de communication entre les hommes, neutre et indifférent aux rapports sociaux. On le conçoit de moins en moins comme un enjeu de lutte entre les groupes sociaux ou comme l’objet d’un accaparement par les classes dominantes ».

Le langage du « contrat » qui irrigue le principe de loyauté du contrat de travail est sans nul doute propice à gommer l’inégalité consubstantielle à la relation qui se noue au moment de l’entrée du salarié dans l’entreprise. Il ne donne pas non plus toute la dimension voulue à la lutte contre les effets de l’exploitation.

Jean-Maurice VERDIER, en 1971, nous a offert une chronique lumineuse, « Du contrat au statut et du droit individuel aux libertés publiques », préconisant, pour donner toute son efficacité à la défense contre les attaques menées par les patrons contre les représentants du personnel, de sortir de la logique contractuelle et de se ranger sous la bannière du doit collectif et des libertés fondamentales. Il a réaffirmé, en 1988, cette exigence d’affirmation des libertés à l’occasion du combat mené par un salarié « ordinaire » contre un licenciement attentatoire à la liberté d’expression.

Il vient de nous quitter, à la fin de l’année 2018. Soucieux de mener des luttes efficaces pour que soient prise en compte la dignité du travailleur, nous continuerons à emprunter le chemin qu’il a tracé.

A. La dénonciation du chant des sirènes de la loyauté du contrat de travail.

Reprenant le précepte de l’ancien article L. 120-4 du Code du travail, l’actuel article L. 1222-1 dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

Le principe de loyauté qui irradie le droit du contrat de travail peut constituer une garantie face à un patron peu scrupuleux qui entend faire virevolter le salarié au gré de ce qu’il estime les besoins impérieux de l’entreprise. Mais il soumet également le travailleur à une obligation de réciprocité de l’exécution loyale du contrat. Ce qui occulte le fait que la présomption de loyauté qui est censée être attachée à la conclusion du contrat de travail fait abstraction du déséquilibre économique permettant à l’employeur d’acquérir la force de travail à un prix dérisoire. Il a également été relevé que, dans le jeu de la réciprocité, l’employeur s’est vu offrir depuis 2005 par la Cour de cassation un incontestable avantage. La Chambre sociale lui a attribué une présomption de bonne foi contractuelle qui lui permet désormais de se mettre à l’abri de l’exigence de justification, jusqu’alors en vigueur, de la conformité à l’intérêt de l’entreprise de la mise en œuvre d’une clause de mobilité stimulée dans le contrat de travail.

Le présupposé de la liberté et de l’égalité au moment de la formation du contrat de travail, si l’on se réfère aux auteurs classiques, est depuis pas mal d’années sujet à caution. « Le mythe individualiste, fondé sur le postulat de la liberté et de l’égalité, devait se heurter aux données sociologiques concrètes comme aux exigences du monde du travail. La manifestation du consentement revêt tout d’abord le plus souvent un caractère unilatéral, émanant d’un employeur qui impose des conditions par lui largement préétablies - parfois sous forme de contrat type imprimé - concernant notamment la nature et les modalités du contrat de travail lui-même, la rémunération et la qualification ».

Le contrat était dès lors présenté comme appartenant à la catégorie des « contrats d’adhésion », comme un contrat « où toutes les conditions sont fixées par l’une des parties, l’autre ne pouvant que les accepter en bloc ou les rejeter, sans être en mesure d’obtenir qu’elles soient modifiées ».

En vertu des dispositions du nouvel article 1168 du Code civil, « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ». Le nouvel article 1171 du Code civil donne toutefois la possibilité de sanctionner un éventuel « déséquilibre significatif » dans le « contrat d’adhésion ». « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation ».

Cette dernière précision rend de peu d’utilité le nouveau droit des contrats pour celui qui entend remettre en cause l’échange inégal si bien décrit dans « la double fiction du contrat de travail ». « C’est la théorie du contrat, élaborée pour répondre aux besoins des propriétaires, qui a fourni la forme juridique majeure des relations de travail. Le contrat de travail est le produit d’une double fiction. La première est celle de l’égalité des deux contractants. L’employeur et le salarié ont des droits et des obligations réciproques. C’est masquer que l’on a le choix - surtout en ce temps de chômage massif- d’embaucher qui bon lui semble, mais que l’autre n’a d’autre ressource pour vivre que de trouver à s’employer. La deuxième fiction, plus profonde et plus essentielle, est que le salaire serait le prix du travail effectué. En fait le salaire achète le droit pour l’employeur d’utiliser les capacités du salarié, c’est-à-dire, d’user de sa vie même. La valeur du résultat de l’activité du salarié n’est pas comptabilisée au profit de ce dernier. Cette valeur lui échappe. Il n’a aucun droit sur elle ».

Le droit des contrats pourrait malgré tout donner une tribune pour dénoncer les méfaits du déséquilibre du rapport entre l’employeur et le salarié si l’on s’arrête un instant sur les dispositions destinées à neutraliser la « violence ».

La théorie des « vices du consentement », qui fait une référence explicite à la « violence » nous propose une belle architecture.

Article 1130 du Code civil : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été vicié ».

Article 1140 du Code civil : « Il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable ».

Article 1142 du Code civil : « La violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers ».

Article 1143 du Code civil : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

Il a été relevé qu’une modification du contrat de travail violemment imposée peut encourir l’annulation, permettant au salarié d’obtenir une remise en état afin que le contrat de travail se poursuive aux conditions antérieures à l’intervention de la voie de fait patronale.

Mais l’annulation en réponse à la violence patronale n’a guère de sens si l’on sort du champ de la modification contractuelle et si on se pose la question de la validité de la conclusion du contrat de travail. Violence sur violence ne vaut. Le chômage n’est guère plus riant que l’exploitation.

Il a été observé que le contrat s’inscrit dans un « mouvement complexe » qui fait la part belle à la « subordination ». « Certes il est invoqué pour fortifier la position individuelle du salarié en face des changements. Mais c’est aussi par son canal que la soustraction au « statut » du travail subordonné est organisé ; par sa voie que passe l’extension de la subordination ».

L’heure est donc moins à revendiquer la loyauté du contrat qu’à se frayer un chemin vers l’émancipation en s’armant des principes porteurs des libertés.

B. Le combat pour l’affirmation des principes garantissant les libertés et droits de la personne.

En 1992, l’affirmation des droits de la personne et des libertés individuelles et collectives s’est invitée dans le Code du travail avec l’article L. 120-2, dont le texte a été repris par l’article 1121-1. « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Une formule rencontrée dans un article écrit en 1999 a attiré l’attention sur la dynamite contenu dans ce principe : « La défense des droits de la personne : de la résistance à l’émancipation ».

Lorsqu’une mesure de licenciement a frappé un salarié qui a exercé ses droits et libertés fondamentales (droit syndical, droit de grève) ou lorsqu’elle est entachée d’une des discriminations interdites par l’article L. 1132-1 du Code du travail, elle est entachée de nullité.

La nullité qui sanctionne les « licenciements prohibés » donne au salarié le choix entre la seule indemnisation ou la réintégration. Il n’est guère contestable que l’annonce du délibéré qui ordonne la poursuite du contrat de travail qui n’a pu être valablement rompu est jour de fête. Le pouvoir patronal a pris un peu de plomb dans l’aile. Le chef d’entreprise n’est plus tout à fait le chef. Il doit apprendre à vivre avec celui dont l’esprit contestataire ou la personnalité ne lui plait pas.

Les partisans d’une défense efficace des droits et libertés prennent le chemin de la salle d’audience de la formation de référé du Conseil de prud’hommes. La procédure de référé, qui est traditionnellement marquée du sceau de l’urgence, a en effet pour vocation de permettre que soit prescrite, dans les meilleurs délais ou en « temps utile », même « en présence d’une contestation sérieuse », « les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

La bataille pour le respect des libertés et droits de la personne est menée au nom de principes fondamentaux. Ce qui est de nature à favoriser, lors de l’audience, la rencontre avec le juge. Voire à créer une certaine complicité, si le juge a un « parti pris » pour ne pas transiger sur le respect des principes. L’impartialité attendue du magistrat ne lui interdit pas d’avoir la conviction qu’il doit frapper vite et fort pour que soient préservées les libertés publiques et individuelles dans l’entreprise.

Il sera souligné que les conditions de la meilleure rencontre possible entre les amoureux des libertés passent par la défense intransigeante du principe d’oralité.

L’oralité, c’est ce qui permet de faire écouter la « note juste », celle qui va faire rentrer dans la salle d’audience un peu de la vie de l’entreprise.

La parole est sans nul doute l’outil le plus adapté pour celui qui veut réveiller la sensibilité à la défense des valeurs qui dépassent l’intérêt des gestionnaires de l’entreprise ou les obsessions des managers et ainsi créer l’étincelle pour donner envie au juge de rejoindre le combat pour la défense des libertés.

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« Il est évident que l’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu’elle pénètre les masses. La théorie est capable de pénétrer les masses dès qu’elle procède par des démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad hominem dès qu’elle devient radicale ».

Le propos est ancien, mais pas nécessairement dépassé. La tribune du procès peut donner l’occasion de faire prendre conscience que la réalisation des droits de la personne ne saurait se suffire de la victoire judiciaire d’un ou quelques demandeurs mais impose le combat pour un changement radical de société.

Revenons à Jean-Maurice VERDIER, qui a attiré notre attention sur le fait que le travailleur qui s’adresse au juge pour faire respecter les libertés fondamentales fait passer un message essentiel. « En tant qu’il possède une liberté, il porte en lui, face au pouvoir d’une personne privée, la même liberté appartenant aux autres travailleurs. C’est donc aussi à la liberté des autres que la mesure qui l’intéresse porte atteinte en même temps qu’à la sienne. Il n’est donc pas excessif de dire qu’en défendant cette liberté, il représente les autres travailleurs et ne défend pas que lui-même ».

Mais les autres ne sont pas venus au tribunal. Et leur situation n’est pas prête de changer de manière significative s’ils ne s’engagent pas dans la lutte collective.

Dans le contentieux suscité par la défense des droits et libertés, nos interlocuteurs privilégiés sont les juges.

Ceux-ci ont souvent mérité d’être englobés dans ce commentaire un peu carré : « La bourgeoisie a dépouillé de leur auréoles toutes les activités considérées jusqu’alors, avec un saint respect, comme vénérables. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l’homme de science, elle en a fait des salariés à ses gages ».

La situation n’est pas tout à fait désespérée.

Oswald BAUDOT est un magistrat qui a pris conscience que la demande en justice posait des questions de société. Il a dès lors invité ses pairs à jouer un « rôle social ». « Ne vous contentez pas de faire votre métier. Vous verrez vite que pour être un peu utile, vous devez sortir des sentiers battus. Tout ce que vous ferez de bien, vous le ferez en plus. Qu’on le veuille ou non, vous avez un rôle social à jouer. Vous êtres des assistantes sociales. Vous ne décidez pas que sur le papier. Vous tranchez dans le vif. Ne fermez pas vos cœurs à la souffrance ni vos oreilles aux cris ».

Nous avons pour ambition de convaincre les juges gagnés par la générosité de ne pas être des « assistantes sociales » mais de sortir du palais pour venir participer à de dynamiques manifestations de rue en portant la banderole sur laquelle sera inscrit « Sous les pavés, la plage ! »

ci-joint en annexe le même article au format .PDF (Adobe Acrobat Reader) comprenant toutes les références.

Les enjeux de la bataille de la communication en droit du travail.pdf

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