Chronique ouvrière

La condamnation pénale de l’empoyeur qui met en danger la santé des salariés en se bornant à une approche formelle de la prévention

mardi 25 septembre 2007 par Anne GÉRAULT-MARTIN

La décision commentée relative à la responsabilité pénale de l’entreprise et de son responsable ne se distingue pas par une prise de position inédite. Elle constitue simplement un exemple de sanction pénale prononcée à la suite d’une atteinte à la santé et la sécurité du travailleur par son entreprise, alors que sur 1 400 000 accidents du travail sont survenus en 2006, dont 700 000 ont donné lieu à un arrêt (Droit Social, juin 2007, chronique de Monsieur CESARO page 729), seule une infime part d’entre eux donne lieu à des poursuites pénales.

Certes, tous ne sont pas nécessairement causés par la faute de l’employeur, il n’en demeure pas moins que dans les nombreuses hypothèses où cela se produit, les condamnations sont rares. Les causes sont multiples. Il faut souligner d’abord que les Parquets sont peu diligents pour poursuivre ce type de délinquance. D’autre part, la victime étant indemnisée de son accident au titre de la législation sociale et non en se constituant partie civile devant la juridiction pénale, les tribunaux ne sont pas fréquemment amenés à statuer en la matière. Ce n’est souvent, comme en l’espèce, que grâce au soutien et à la vigilance du syndicat que l’affaire parvient finalement sur le bureau du juge pénal.

Elle présente encore un intérêt de par la qualité des personnes en cause. En effet, la victime appartient à l’une des catégories les plus touchées par les accidents du travail, en l’occurrence un jeune travailleur intérimaire, (voir à cet égard les dernières statistiques de la Direction Générale du travail pour la période 2004-2005 où une hausse de 4,6% est enregistrée dans ce secteur) tandis que l’employeur délinquant se trouve être un grand constructeur automobile français recourant de manière abusive à ce type de main d’œuvre.

Le jeune Mathieu AUBIER travaillait comme ouvrier intérimaire dans l’Usine RENAULT du Mans. La machine à laquelle il était affecté disposait d’un système de sécurité permettant un arrêt automatique dès que la porte était ouverte. Cependant, les ouvriers avaient l’habitude de neutraliser la sécurité à l’aide d’une « sucette ». Cette pratique était sinon encouragée du moins tacitement tolérée par la hiérarchie. On aura compris que les ouvriers étaient contraints de procéder de la sorte pour respecter les cadences imposées par la société RENAULT et devaient ainsi gagner du temps en évitant un redémarrage de la machine, parfois long et difficile en l’espèce. Le matin de l’accident, une sucette se trouvait déjà sur son poste de travail. Confronté à une panne, le jeune intérimaire l’utilisait et entrait dans la machine pour régler la panne. Lors de cette intervention, le salarié enlevait la pièce qui en bloquait le fonctionnement et la machine se remettait remise en marche. C’’est alors que Mathieu AUBIER eut deux doigts sectionnés.

A la suite d’un procès-verbal dressé par l’inspection du travail et transmis au Parquet ; deux prévenus étaient cités devant le tribunal correctionnel, à savoir le chef d’établissement et la société RENAULT (I) pour blessures involontaires causant une incapacité de plus de trois mois dans le cadre du travail. (II)

I Les personnes pénalement responsables

Il convient en premier lieu d’expliquer les raisons pour lesquels comparaissaient à la fois le chef d’établissement et l’entreprise utilisatrice.

Il résulte de l’article L 230-2 du Code du travail que le chef d’entreprise doit « prendre les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » en veillant à « éviter les risques » et à « adapter le travail à l’homme en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production »

En sa qualité de chef d’établissement, comme le rappelle fort bien le jugement, le prévenu est tenu de veiller personnellement à la sécurité de ses salariés, tant dans le domaine de la prévention que de l’application des normes législatives et réglementaires.

De ce fait, l’infraction aux règles de sécurité le place au premier rang des personnes visées par l’article 121-3 du Code Pénal, lequel rend pénalement responsables les personnes physiques qui, bien que n’ayant pas causé directement le dommage, « ont crée ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter. »

Il sera rappelé que le chef d’entreprise peut déléguer ses pouvoirs en matière de sécurité et que dès lors, le délégataire, à la condition qu’il dispose des moyens, de l’autorité et de la compétence nécessaires à cette fonction, endosse cette même responsabilité pénale dès lors que la délégation est régulière.

Dans l’affaire opposant Mathieu AUBIER à la société RENAULT, une précision mérite encore d’être apportée. L’on se souvient en effet que le jeune homme était travailleur intérimaire. Dans cette hypothèse, c’est bien l’entreprise utilisatrice et non l’entreprise de travail intérimaire qui est responsable des conditions d’exécution du travail, et notamment celles ayant trait à l’hygiène et la sécurité conformément à l’article L 124-4-6 du code du travail.

Quant à la société RENAULT, elle était poursuivie sur un autre fondement. A cet égard, les textes « gigognes » qui aboutissent à la comparution en qualité de prévenue de la société doivent être rappelés.

En effet, selon l’article 222-21 « les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues à l’article 121-2 des infractions définies à l’article des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou leurs représentants et notamment de celles définies à l’article 222-19 ».

La référence à l’article 121-2 est en fait superfétatoire car depuis le 1er janvier 2006, les personnes morales peuvent être désormais poursuivies pour toutes les infractions susceptibles d’être reprochées aux personnes physiques. C’est en réalité la conséquence de la loi du 9 mars 2004 (loi n°2004-204 dite loi Perben II) qui a supprimé la restriction posée par l’article 121-2 du Code Pénal limitant leur responsabilité aux seuls cas dans lesquels la loi le prévoyait expressément. Cette responsabilité pénale est donc désormais généralisée.

Ceci étant, les personnes morales seront donc responsables des atteintes à l’intégrité de la personne conformément à l’article 222-19 qui dispose que «  »le fait de causer à autrui dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence inattention ou négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. ».

Il faut se réjouir de l’existence de telles dispositions. Il serait en effet particulièrement choquant que les entreprises, et notamment les plus grandes dans lesquelles la pratique de la délégation de pouvoirs est largement répandue, puissent s’exonérer de leur responsabilité en matière de sécurité des travailleurs pour en faire peser le fardeau exclusivement sur un simple exécutant.

Dans l’espèce en cause, la responsabilité de la société RENAULT découlait ipso facto de la faute de son représentant, en l’occurrence le chef d’établissement responsable du respect des règles relatives à l’hygiène et la sécurité dans l’entreprise.

C’est donc tout à fait logiquement que celle-ci était condamnée à une amende de 5 000 € pour avoir causé involontairement des blessures à Monsieur AUBIER dans des conditions évoquées maintenant.

II L’infraction de blessures involontaires

L’infraction reprochée à Monsieur LEVASSOR et à la société RENAULT se range au nombre des délits non intentionnels,

Les délits d’imprudence sont ainsi qualifiés dans la mesure où il n’est pas contestable que leurs auteurs n’ont pas agi avec l’intention que leurs actes conduisent aux conséquences sanctionnées, ici les blessures, mais avec volonté, c’est-à-dire avec la conscience que cela pouvait se produire.

L’article 121-3, sur le visa duquel l’infraction est prononcée, prend soin de rappeler « qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », pour ensuite réprimer le délit commis « en cas de faute d’imprudence ou de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité commis par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »

Le texte décline ainsi les différents niveaux de responsabilité. Il est d’abord envisagé le cas où le pénalement responsable selon le jargon utilisé en la matière, a commis un acte positif ayant concouru directement à la réalisation du dommage.

Mais c’est sur l’alinéa suivant que se cristallise le plus souvent le débat judiciaire tant les prévenus rivalisent de mauvaise foi pour prétendre ne pas avoir contribué à créer la situation dommageable ou s’évertuent à prétendre avoir tout fait pour l’éviter. Cela se vérifie particulièrement en matière d’accidents du travail, domaine où le chef d’entreprise ne se lasse pas à la fois de se plaindre d’une législation contraignante et abondante mais encore de se vanter d’avoir appliqué des plans de prévention exempts de tout reproche. Le nombre d’accidentés du travail rappelé supra devrait pourtant signaler à leur attention le caractère particulièrement nécessaire de la législation en la matière et l’inefficacité de mesures purement formelles.

Le jugement rendu par le tribunal correctionnel du Mans en est une excellente illustration.

Pour nier toute responsabilité pénale dans les blessures subies par Mathieu AUBIER, le prévenu faisait valoir qu’elles étaient le fait exclusif du salarié car il aurait interdit la pratique des « sucettes » dont il ignorait l’usage fait dans son établissement.

La faute de la victime est effectivement un des arguments favoris de l’employeur délinquant. Il convient de rappeler à cet égard que seule la faute de la victime ayant concouru exclusivement au dommage permet à l’employeur de s’exonérer de sa propre responsabilité.

Or, une telle hypothèse est marginale et l’immense majorité des situations soumises au juge pénal démontre que c’est dans la négligence de l’employeur que se trouve l’origine de l’accident.

Selon l’article 121-3 du Code Pénal, cette négligence résulte soit d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit d’une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’employeur ne pouvait ignorer.

Le premier terme de l’incrimination peut prêter à confusion en exigeant une violation manifestement délibérée de la loi quand dans le même temps l’infraction poursuivie est qualifiée de délit non intentionnel. L’employeur poursuivi a souvent beau jeu de souligner que le constat d’une violation de la loi ne suffit pas et qu’il n’a eu aucune volonté délibérée.

A cet égard, la jurisprudence considère que l’infraction est évidemment constituée lorsqu’une prescription réglementaire n’est pas respectée (CCASS Crim 27 novembre 2001), mais aussi lorsque, bien qu’avisé ou mis en garde sur un défaut de sécurité dans l’entreprise, l’employeur ne met aucun moyen en œuvre pour y remédier (CCASS 12 juin 2007, pourvoi n° 06-88900, dangerosité d’une machine signalée à l’employeur par l’inspecteur du travail)

En toute hypothèse, l’impossibilité de démontrer une telle violation n’exclut pas que la responsabilité de l’employeur puisse être recherchée sur le fondement de la faute caractérisée.

Il sera précisé que si la citation vise l’article 121-3, le juge correctionnel pourra condamner le prévenu soit sur le fondement d’une violation manifestement délibérée de la loi ou des règlements, soit d’une faute caractérisée, peu important à cet égard que l’acte de poursuite ne vise que l’une ou l’autre de ses modalités de l’infraction.

Or, en matière d’accidents du travail, l’existence d’une faute caractérisée au sens du texte est le plus souvent constatée. La Cour de Cassation juge en effet qu’elle est constituée chaque fois que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires qui auraient permis d’éviter le dommage en omettant de veiller personnellement à l’application des mesures prescrites pour assurer la sécurité des travailleurs.

La commission de l’infraction ne résulte donc pas d’un défaut d’application d’une règle de sécurité prescrite par la loi ou le règlement mais de la carence de l’employeur dans la mise en œuvre de cette règle.

Le tribunal correctionnel du Mans a qualifié la faute du chef d’établissement de « faute délibérée », semblant mélanger ainsi les deux notions articulées par l’article 121-3 du Code Pénal.

Pourtant, il faut considérer que c’est bien la notion de faute caractérisée qui est ici visée. Le tribunal a d’abord retenu que malgré les dénégations du chef d’établissement qui prétendait ignorer la pratique interdite des sucettes, celle-ci était largement répandue et ne pouvait être ignorée des chefs d’unité et, partant, de leur hiérarchie. Il constatait ensuite que le jeune salarié intérimaire avait inévitablement reçu une formation insuffisante puisqu’il utilisait ces sucettes présentes sur la machine utilisée par l’équipe précédente. Elle en déduisait donc le caractère inopérant des consignes de sécurité vantées par la société.

Il est patent que la société RENAULT avait encouragé par son inaction une pratique officiellement prohibée mais officieusement bénéfique pour la productivité.

En condamnant le chef d’établissement et la société, le tribunal a rappelé qu’en matière de sécurité, il ne suffit pas d’établir des documents de prévention et qu’il appartient à l’entreprise et son représentant de veiller à ce qu’elles soient effectives.

Annexe : Extraits du jugement rendu le 17 novembre 2006 par le tribunal correctionnel du Mans

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Extraits du jugement rendu le 17 novembre 2006 par le tribunal correctionnel du Mans

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