Chronique ouvrière

Le travail de nuit... à la santé

mardi 29 novembre 2011 par Karl GHAZI
CA Paris 11 OCTOBRE 2011 SARL FRACAR.pdf
CA Paris 11 octobre 2011 SAS SUPERETTE PARIS.pdf

La concurrence féroce que se livrent les grandes chaînes de la distribution fait voler en éclat les limites au temps de travail dans le commerce.

Deux décisions similaires de la cour d’appel de Paris, viennent de condamner des patrons de supérettes à des amendes pour la « mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise » (SARL FRACAR et SAS Superette de Paris, 11 octobre 2011). Les motifs de ces décisions ouvrent des perspectives importantes pour combattre la dérive des amplitudes d’ouverture dans le commerce.

Le 27 janvier 2009, les services de l’inspection du travail contrôlaient une supérette parisienne, la SARL FRACAR qui exploite une enseigne « Carrefour City ». Le Procès-Verbal dressé à l’issue de ce contrôle constatait que le magasin employait 13 salariés et était ouvert au public de 7h à 23h. Au moment du contrôle, à 21h40, 4 salariés étaient occupés dans l’établissement.

A la suite de ce P.V., la SARL FRACAR était poursuivie devant le tribunal de police de Paris pour avoir commis l’infraction de « mise en place illégale du travail de nuit dans une entreprise ».

Le 17 février 2011, le procureur de la République a interjeté appel de la décision du tribunal de Police de Paris qui déclarait la SARL FRACAR non coupable des faits reprochés.

Devant la cour d’appel, la société FRACAR invoquait le fait que l’ouverture tardive correspondait aux attentes de la clientèle et qu’elle était rendue nécessaire par la concurrence. Elle prétendait, également, appliquer une convention collective du commerce alimentaire, en vigueur dans les entreprises de moins de 11 salariés, qui prévoit le travail de nuit entre 22 heures et 5 heures du matin.

Dans sa décision, la cour rappelle les dispositions du code du travail selon lesquelles (art L 3122-32 et L 3122-33) « le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociales ; la mise en place du travail de nuit est subordonnée à la conclusion préalable d’une convention ou d’un accord de branche étendu ou d’un accord d’entreprise ou d’établissement ».

La cour considère que l’activité de commerce alimentaire n’est pas inhérente au travail de nuit et que ses caractéristiques n’exigent pas, même si elle répond à un besoin d’utilité sociale, le recours au travail de nuit. Le travail de jour suffit à la satisfaction du besoin d’utilité sociale « hors du confort de la clientèle et des impératifs de politique commerciale » : ces deux derniers motifs doivent s’incliner devant les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des salariés et devant les effets nocifs du travail de nuit.
Sur l’existence d’une convention collective de branche permettant le travail de nuit, la cour d’appel précise que, même si la convention collective de 2008 était applicable en l’occurrence, ce qui n’est pas le cas puisque la SARL FRACAR emploie plus de 11 salariés, elle ne pouvait en tout état de cause plus s’appliquer en 2009 car ses stipulations sont contraires aux dispositions d’ordre public de la loi.

Elle condamne donc la SARL FRACAR à des amendes d’un montant total de 30.000 €.

La concurrence féroce que se livrent les grandes chaînes de la distribution fait voler en éclat les limites des horaires de travail dans le commerce. Sous couvert de services rendus au consommateur, le travail du dimanche s’étend de plus en plus largement, avec la complicité active des pouvoirs publics. Une dérive autrement plus grave accompagne cette augmentation des amplitudes d’ouverture vers le dimanche : celle du travail et des ouvertures nocturnes qui se multiplient sans devoir connaître de limites. L’objectif, à peine masqué, est d’ouvrir les magasins 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.
L’origine de cette course effrénée aux amplitudes réside dans la guerre que se livrent les groupes du commerce pour assurer leur croissance : sur des marchés aux progressions étales, leur chiffres ne peuvent plus croître sans qu’ils ne piquent des clients aux concurrents. Les premières proies en sont les petits commerces de centre-ville qui ne peuvent suivre le mouvement. Ils représentent encore des parts de marché importantes. Deux « tactiques » sont employées à ces fins : coller aux horaires du commerçant indépendant (commerce alimentaire) en le tuant par une guerre des prix ou bien aller encore plus loin dans les amplitudes d’ouverture, dans le commerce non alimentaire, en ouvrant pendant des plages horaires que les indépendants ne peuvent suivre, faute de personnel.

Il va sans dire que, pour mener cette guerre commerciale, les grands groupes violent allègrement les textes protecteurs des salariés, même édulcorés par un pouvoir complaisant. La Loi « Mallié » sur l’ouverture des commerces le dimanche, à peine promulguée pour régulariser des décennies d’infraction, est à son tour allégrement violée : les supérettes emploient des salariés bien au-delà de 13 heures le dimanche et seules les procédures de référé devant les TGI, assorties d’astreintes, arrivent à enrayer le mouvement. Cette violation des textes existants est encore plus répandue en matière de travail de nuit. Les horaires des magasins n’ont cessé de glisser depuis les années 80 vers des fermetures de plus en plus tardives, toujours sous couvert de services au consommateur, en réalité pour les raisons concurrentielles déjà évoquées. Le travail de nuit est de plus en plus souvent imposé aux salariés dans les Monoprix, l’habillement, les supérettes ou certaines enseignes spécialisées, les fermetures à 22 heures et parfois au-delà sont de plus en plus courantes. Certains magasins ferment habituellement à minuit ou une heure, notamment sur les Champs Elysées à Paris.

Cette fuite en avant est fortement contestée par les salariés et les organisations syndicales. Des mobilisations importantes ont eu lieu dans les grands magasins parisiens à chaque nouveau coup de boutoir visant à augmenter les amplitudes d’ouverture. Les manifestations intersyndicales se sont succédées depuis la fin des années 70 pour contester la déréglementation des horaires, aux cris de « Nocturnes, Dimanches, Jours Fériés, ça suffit ! ».
Les deux décisions du 11 octobre 2011 prennent un relief particulier au regard de cette transformation forcée de la vie des salariés du commerce.
Tout d’abord, la cour d’appel de Paris tirant les conséquences de la nocivité du travail de nuit, décide que les « impératifs » de confort de la clientèle ou de de concurrence, si souvent invoqués par les employeurs, pèsent moins lourd que la santé et la sécurité des travailleurs. Pouvoir aller acheter un yaourt 0% à minuit ne vaut pas que l’on mette la santé d’un salarié en danger : l’argument semble assez logique…

Mieux encore : de nombreux accords collectifs ont complaisamment mis en place le travail de nuit, parfois sous le prétexte d’obtenir des majorations de salaires pour les salariés. Ces accords freinent parfois l’intervention des inspecteurs du travail. Or, pour la cour d’appel, l’accord collectif ne peut déroger aux conditions fixées par la loi pour la mise en place du travail de nuit : « Le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociales ». Un accord collectif ne peut compenser l’absence de l’une des conditions requises.

Les deux décisions de la Cour d’appel de Paris constituent un double point d’appui contre ces dérives. D’autres restent inexploités, comme le décret du 31 décembre 1938, qui limite les amplitudes collectives de travail dans le commerce non-alimentaire.


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