Chronique ouvrière

L’intégrité du consentement à la rupture conventionnelle doit être assurée au moment de de sa conclusion

lundi 9 février 2015 par Ghislain DADI
CA Versailles 16 décembre 2014.pdf

La 6ème Chambre sociale de la Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 16 décembre 2014 n°14/00880, rappelle en préambule et comme un principe que : « si l’existence, au moment de sa conclusion [la rupture conventionnelle], d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention, la rupture conventionnelle, qui ne peut être imposée, suppose un consentement donné par le salarié en connaissance de cause et dont l’intégrité doit être assuré ; l’employeur ne saurait l’utiliser pour détourner des garanties accompagnant un licenciement ».

Les faits étaient les suivants :

Monsieur X a été embauché par une société du bâtiment en qualité de poseur avec une ancienneté acquise depuis le 5 mai 2008 selon CDD écrit (Le contrat se poursuivait à échéance en CDI) sans formalisation écrite.

Le 5 mars 2011, à la faveur d’une réorganisation interne et sans formation préalable, la société demandait à M. X d’assurer un poste de poste commercial.

L’été passant, le 14 septembre 2011, il était soudainement convoqué dans le bureau de l’employeur pour une rupture conventionnelle car ces résultats commerciaux n’étaient, selon l’employeur, pas satisfaisant.

Lors de cet entretien informel, l’employeur lui promettait (oralement) le règlement, en plus de ses indemnités de ruptures, son préavis de 2 mois. L’employeur demandait également à son salarié de quitter l’entreprise en lui indiquant qu’il allait lui proposer de rupture conventionnelle sur la base de deux mois de préavis et d’une indemnité de licenciement.

Sur les directives du gérant et ne doutant pas, à l’époque, de la bonne foi de son employeur, M. X quittait l’entreprise (évidemment, sans demander un écrit à ce sujet).
12 jours plus tard et toujours sans nouvelles de son employeur Monsieur X se présentait l’entreprise (le 26 septembre 2011). Le gérant lui présentait alors une rupture conventionnelle qui ne reprenait pas les montants convenus (car seule l’indemnité légale de rupture était mentionnée).

L’employeur lui demandait alors de signer immédiatement cette convention. Monsieur X refusait fermement les termes de cette rupture et quittait la société. La situation financière du salarié se dégradant et les échéances de fin de mois approchant, par courrier du 27 et 28 septembre M. X écrivait ce qui venait de se produire et demandait à son employeur de se positionner soit sur un licenciement, soit sur la reprise de la négociation de la rupture conventionnelle sur les bases initialement prévus. (Indemnité de licenciement et paiement du préavis)

10 jours plus tard, la société indiquait à Monsieur X qu’il était en absence injustifiée et le mettait en demeure de reprendre le travail. Ce courrier faisait figure d’avertissement avant une procédure de licenciement disciplinaire. Le même jour, la société convoquait, par courrier séparé, M. X pour un entretien prévu le 21 octobre 2011 à une rupture conventionnelle.

Ainsi, Monsieur X recevait dans deux courriers datés du même jour un avertissement l’informant d’un proche licenciement pour faute et de la possibilité de rompre le contrat par rupture conventionnelle alors même que le loyer de novembre venait de tomber et restait à régler...

Le salarié se présentait assisté d’un conseillé du salarié lors de l’entretien préalable. En sérieuse difficulté financière, Monsieur X a été contraint de signer cette rupture le 25 octobre 2011. Notons en effet qu’entre le 14 septembre et le 21 octobre, M. X n’a touché aucun salaire.

Le contrat de travail prenait définitivement fin le 02 décembre 2011.

3 ans plus tard, la Cour d’appel de Versailles infirmait le jugement du Conseil des Prud’hommes de Poissy ayant débouté Monsieur X de l’intégralité de ses demandes et requalifiait la rupture conventionnelle en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A – Les principes antérieurs dégagés par la Cour de cassation à ce sujet

De manière ordinaire, il ne peut y avoir d’engagement valable que si, à l’instant où il s’engage, celui qui contracte, se trouve libre de toute contrainte. La validité de toute obligation suppose d’abord que le consentement ait été donné par une personne apte à exprimer une volonté lucide.

L’arrêt de la Cour de cassation du 23 mai 2013 explique que « si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ; qu’après avoir relevé que l’employeur avait menacé la salariée de voir ternir la poursuite de son parcours professionnel en raison des erreurs et manquements de sa part justifiant un licenciement et l’avait incitée, par une pression, à choisir la voie de la rupture conventionnelle, la cour d’appel qui, exerçant son pouvoir souverain d’appréciation, a fait ressortir que le consentement de la salariée avait été vicié, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision » (Cass. soc. 23 mai 2013, n° 12-13865).

Dans la même ligne la Cour a pu décider qu’est nulle la convention de rupture conclue alors que le salarié était, au moment de la signature de l’acte, dans une situation de violence psychologique en raison d’un harcèlement moral (Cass. soc. 30 janvier 2013, n° 11-22332).

B - Le vice du consentement :

L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est parfaitement orthodoxe sur le vice du consentement. Dans notre cas, pour annuler cette rupture, la Cour se place implicitement sur le terrain du vice de violence.

Cet arrêt présente un intérêt précisément sur cette question puisqu’il met l’accent sur l’inégalité des parties dans la "négociation" de la rupture conventionnelle caractérisées par les différentes pressions ou contraintes morales que peut subir le salarié (pression économique : pas de salaire, menace de licenciement faute grave, etc...), alors que lui-même n’a généralement aucun moyen d’imposer une RC à l’employeur.

Or, l’article L 1237-11 CT édicte : « la rupture conventionnelle, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties ».

La cour indique que Monsieur X s’est trouvé dans une situation de contrainte morale résultant de :

- difficultés économiques provoquées par l’employeur : L’employeur a demandé au salarié de ne plus se présenter à l’entreprise en attendant de recevoir les documents de rupture conventionnelle.

Ainsi, le salarié n’a touché aucun salaire entre le 14 septembre et le 21 octobre. Il a été placé sciemment dans une situation difficile avant de lui propose la rupture conventionnelle.

- l’effet de diverses pressions sur l’avenir du salarié dans la société : Comme le souligne la cour, une fois le salarié mis dans une situation économique difficile, « le conflit s’amplifie avec l’expression d’une menace [de licenciement pour abandon de poste] » :

Lors de l’entretien, il était mis en avant son incompétence de commercial : Monsieur X subissait des reproches sur ses chiffres commerciaux. L’intention de l’employeur de le licencier pour faute à une date future avec persistance de l’absence de ressources entre temps contribuent à établir le vice de violence.

A noter que la présence d’un conseiller du salarié lors de l’entretien préalable à la rupture conventionnelle, ignorant le conflit préexistant, ne suffit pas à purger la rupture de tout vice.


Accueil du site | Contact | Plan du site | Espace privé | Statistiques | visites : 87460

     RSS fr RSSJurisprudence commentée RSSRupture du contrat de travail   ?