Chronique ouvrière

Où l’on apprend que la SAS (Société par Actions Simplifiée) n’est peut-être pas la Société capitalistique mirifique

samedi 15 novembre 2008 par Alain HINOT, Claude LEVY
Décision de la Cour d’Appel de Paris du 21 mars 2007.pdf
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Cour d’Appel de Versailles du 24 juin 2008.pdf
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Plusieurs décisions de Cours d’appel récentes, prises en matière sociale, contestent aux SAS les mêmes « souplesses » que la Cour de cassation reconnaît aux SA ou SARL en matière de « délégation de pouvoir », notamment au moment de la rupture du contrat de travail ( I ).

Par ailleurs, la loi commerciale qui reconnaît aux SAS une presque totale liberté d’organisation interne vient se heurter à certaines règles propres aux droits collectifs reconnus aux salariés par le code du travail ( II ).

La présente note tente de faire le point.

I : De l’embauche au licenciement, en passant par le droit disciplinaire :

L’on sait qu’un licenciement doit être notifié par écrit par l’employeur et être dûment motivé
( article L 1232-6 NCT - L 122-14-1 et 2 ACT ), idem pour une sanction et bien sûr un licenciement pour motif disciplinaire ( L 1332-2 NCT – L 122-41 ACT ), les deux textes visant expressément l’employeur, c’est à dire le co-contractant au contrat de travail.

Indéniablement, donc, la lettre de licenciement doit être signée par l’employeur ou son représentant légal pour pouvoir constituer l’acte de rupture du contrat.

Ainsi, le pouvoir de rompre le contrat constitue l’une des prérogatives de l’employeur, ce pouvoir ne pouvant être délégué qu’à des personnes dûment habilitées par la loi (par exemple un employeur personne physique ne peut déléguer cette faculté à aucune personne, sauf à transférer le contrat de travail lui même à cette personne physique ou morale qui sera alors dépositaire du pouvoir disciplinaire – cas des associations intermédiaires -, sauf cas de force majeure).

De la même façon qu’il ne serait pas admis qu’un salarié délègue à un parent, à un ami ou à un autre tiers, le pouvoir de rompre son propre contrat (par exemple : un salarié qui ferait prendre acte de la rupture du contrat de travail par son conseil), il ne peut être admis qu’un employeur délègue ce même pouvoir, sauf s’il s’agit d’une personne morale et que ni ses statuts ni la loi, ne bride cette faculté.

Selon l’art. L 227-6 du code du commerce (modifié par la loi n° 2003-706 dite de « sécurité financière » du 02 août 2003), la SAS (ou la SASU), n’est représentée à l’égard des tiers, que par son seul Président sauf à ce que les statuts prévoient expressément les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le Président, portant le titre de Directeur général ou de Directeur général délégué, puissent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier.

Il ne fait pas de doute, en droit, que le salarié de la SAS est un tiers au contrat de société.
La notion de tiers de l’art. 227-6 du code du commerce ne doit pas être confondue avec celle de tiers à l’entreprise, car si le salarié d’une société n’est pas un étranger à « l’entité économique » constituée par la société – comme un fournisseur ou un client -, il est par contre tiers au contrat de société.

En conséquence, seul le Président de la SAS (ou un Directeur général ou un Directeur général délégué si les statuts l’organisent), peut représenter la SAS et donc, en matière sociale, organiser la procédure de licenciement et rompre un contrat de travail.

En matière commerciale, la Cour de cassation, chambre commerciale, a déjà appliqué ce principe de représentation unique de la SAS, à l’occasion d’un arrêt rendu le 02 juillet 2002 à propos d’une action en revendication (arrêt 98-23324 n° 1313 FS-P).

A la suite de cet arrêt de la chambre commerciale du 02 juillet 2002, une circulaire du ministère de la justice du 26 décembre 2002 (n° CIV 2002-12 DI/26-12-2002 NOR : JUSC0220620C), est venue expliquer aux greffiers des tribunaux de commerce que la portée de cet arrêt « ne semblait pas » empêcher les délégations de pouvoirs au sein des SAS, mais cette circulaire précise in fine :

« Par conséquent, le rappel du principe de représentation légale tel que réaffirmé par la Cour laisse intacte la possibilité à une SAS, comme à toute autre forme de société et même comme aux commerçants personnes physiques, d’octroyer des délégations de pouvoirs aux fins de l’engager à l’égard des tiers. Simplement, la mention de celles-ci dans les statuts doit être complétée par une déclaration au RCS afin que les mentions correspondantes soient portées sur l’extrait K bis ».

Ainsi, le ministre de la justice tentait d’atténuer la portée de l’arrêt du 02 juillet 2002, en admettant la possibilité de déléguer au sein des SAS, à conditions que les statuts le prévoient, afin que cette mention puisse être portée au Kbis (publicité à l’égard des tiers).

La loi n° 2003-706 dite de « sécurité financière » du 02 août 2003 a d’ailleurs repris cette position du ministre, mais a clairement limité la possibilité de délégation afin d’engager (ou de désengager la SAS vis à vis des tiers au seul DG ou DG adjoint ).

Aujourd’hui les choses sont donc claires.
A l’opposé des SA ou SARL dans lesquelles la délégation est libre ( selon la Cour de cassation, parce qu’aucun texte n’encadre leur faculté de déléguer ), sans qu’aucun formalisme soit nécessaire (délégation verbale possible à l’exception de la représentation en justice et des actes de procédure judiciaire), dans les SAS, la loi encadre strictement les possibilités de délégation et oblige la SAS à une publicité par une prévision expresse au sein des statuts ( et, à notre sens, par une publication des délégations de pouvoir au « k bis », comme prévu par l’art. 1328 du code civil ).

Un arrêt de la Cour d’appel de PARIS 4ème Chambre A du 21 mars 2007 (SAS Design Sportwears c/ SA Kesslord – JCP n° 17 25 avril 2007 page 52), vient confirmer cette analyse.

Dans cette affaire opposant deux sociétés dont une SAS, la Cour a considéré que le Directeur Général d’une SAS dont la délégation de pouvoir n’avait pas été inscrite dans les statuts ne pouvait ester en justice au nom de la SAS.

Rappelons que la SAS, très « à la mode » aujourd’hui, a été créée en janvier 1994 pour faciliter les relations mère filiale dans les groupes et réduire les prétendues rigidités du droit des SA.
Dans la SAS ce qui est « simplifié » ce ne sont pas les actions ( le capital ), mais le fonctionnement ( l’organisation interne ), de la société elle même.

En juillet 1999, la loi a permis aux PME de s’organiser dans le cadre d’une SAS.
Le nombre de SAS s’est alors accrue de façon exponentielle (fin 1er semestre 1999 on comptait 2 600 SAS, après juillet 1999, 500 SAS sont créées chaque mois).
Les créations dépassent alors celles des SA.

La SAS peut n’avoir qu’un seul actionnaire (SASU), il peut s’agir d’une personne physique ou morale (l’actionnaire unique peut alors être, le seul dirigeant et le Président).

La rédaction des statuts est très libre en ce qui concerne les règles de fonctionnement, notamment pour les organes de direction.

Rien n’oblige une SAS à se doter d’un CA, d’un Directoire ou d’un Conseil de surveillance. La responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports.

La SAS peut se transformer en une autre forme de société à tout moment sans condition de délai.

Les cessions d’actions sont assujetties à un droit d’enregistrement très bas de 1 % plafonné à 3 049 € (beaucoup moins qu’une SARL ou ce même droit est à 4,80 %).
Le contrôle des conventions peut être approuvé a posteriori par les associés (lorsqu’ils existent).

Dans la SASU, le rapport du commissaire aux comptes n’est même pas obligatoire.

Le législateur a donc « libéralisé » le fonctionnement de la SAS, en faisant le choix de la responsabilité des actionnaires.

Cette confiance a cependant une limite, car à la liberté de direction, la loi répond par une exclusivité de représentation.

La SAS n’est donc représentée à l’égard des tiers que par son seul Président, lequel ne peut déléguer qu’à un DG ou un DG adjoint et à condition que les statuts le prévoient (principe de sécurisation des tiers au contrat de société).

Ainsi, la concentration des pouvoirs en une seule main (liberté de gestion interne), a pour contre partie l’exclusivité de la représentation (encadrement stricte de la gestion externe).

Il en découle qu’un licenciement prononcé par une personne non mentionnée dans les statuts de la SAS et qui a reçu une délégation de pouvoir pour ce faire, est nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse, tel que jugé à 3 reprises par la Cour d’appel de Versailles.

CA Versailles SAADNA 2/09/2008 RG 07/01839

CA Versailles LOTHAIRE 24/06/2008 RG 07/2686

CA Versailles CHARTRAIN 24/06/2008 RG 07/03835

(sur ces deux derniers arrêts voir l’article du Professeur Coeuret « Délégation de pouvoirs et décision de licencier » Semaine sociale LAMY Septembre 2008)

La SAS trouve donc ses limites dans son mode de représentation légal, qui pour l’instant ont échappé à tous les excellents juristes en droit des affaires prompts à tenter de contourner le droit social.

II. Et à propos des droits collectifs

Toujours à propos des SAS on rappellera une disposition bien peu appliquée.

Contrairement à une idée reçue qui voudrait que la transformation d’une SA en SAS supprime toute représentation des salariés au sein de la SAS, il n’en est rien.

L’article L 2323-66 (L 432-6 5ème alinéa ACT) du code du travail dispose que dans les SAS, les statuts précisent l’organe social auprès duquel les délégués du Comité d’entreprise (ceux de l’article L 2323-62 – L 432-6 1er alinéa ACT) exercent les droits définis par la présente sous section (celle relative à la participation au conseil d’administration ou de surveillance des sociétés).

Même si ces délégués n’ont qu’une voix consultative, il s’agit à l’évidence d’une formalité substantielle dont l’omission serait susceptible de priver d’effet tout projet d’ampleur d’une SAS, tel que vente, fusion, augmentation du capital, changement d’actionnaires à l’intérieur de la SAS……, à condition, bien évidemment, d’agir avant que le projet ne soit finalisé.

On pourra également invoquer un délit d’entrave au fonctionnement régulier du Comité d’entreprise (article L 2328-1, L483-1 ACT) si l’employeur n’a pas organisé l’élection des délégués prévus à l’article L 2323-62 (L 432-6 1er alinéa ACT), ou si ces derniers n’ont pas été convoqués aux séances de l’organe social précisé par les statuts de la SAS.


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