Chronique ouvrière

Retour sur une niche fiscale incompréhensible

dimanche 5 novembre 2017 par Claude LEVY

Cet article est constitué de la dernière mouture de l’argumentaire que nous développons avec succès devant les conseils de Prud’hommes sur cette niche fiscale incompréhensible qu’a tenté de valider le précédent gouvernement macron compatible.

En toute illégalité, les entreprises de propreté, dont la société défenderesse, pratiquent un abattement sur l’assiette de calcul des cotisations sociales des salariés de la branche en assimilant les ouvriers de nettoyage de locaux aux ouvriers du bâtiment, prétextant de la doctrine fiscale en la matière.

Cette déduction mis en place historiquement en référence à un décret du 17 novembre 1936, à une époque où les ouvriers nettoyeurs étaient souvent embauchés par des entreprises de bâtiment, ne se justifie plus aujourd’hui.

En effet, seules les industries du bâtiment, des travaux publics et de fabrication des matériaux de construction sont visées par ce décret.

Par ailleurs, dans 99% des cas, les entreprises de propreté n’ont plus aucune activité dans le bâtiment et les ouvriers du nettoyage ne supportent plus aucune charge de caractère spécial au titre de l’accomplissement de leurs missions, ce qui est une condition fixée par l’article 1 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations sociales :
« Les frais professionnels s’entendent des charges de caractère spécial inhérentes à la fonction ou à l’emploi du travailleur salarié ou assimilé que celui-ci supporte au titre de l’accomplissement de ses missions. »
Les sommes à déduire de l’assiette des cotisations de sécurité sociale au titre des frais professionnels, tels que prévus à l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, sont celles qui sont versées aux travailleurs salariés ou assimilés, à l’exception des allocations forfaitaires prévues au 2° de l’article 2 ci-dessous perçues par les personnes visées aux 11°, 12° et 23° de l’article L. 311-3 dudit code pour l’exercice de leur fonction de dirigeant.

Article L242-1 du CSS :

« Il ne peut être opéré sur la rémunération ou le gain des intéressés servant au calcul des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, de déduction au titre de frais professionnels que dans les conditions et limites fixées par arrêté interministériel. Il ne pourra également être procédé à des déductions au titre de frais d’atelier que dans les conditions et limites fixées par arrêté ministériel. »
Les entreprises ne développent absolument rien sur les éventuelles charges de caractère spécial et pour cause, il n’y en a pas !

Il résulte en outre de l’article 9 de l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles des cotisations de sécurité sociale, tel que modifié par l’article 6 de l’arrêté du 25 juillet 2005, que certaines professions peuvent bénéficier d’une déduction forfaitaire spécifique (pour autant qu’elles justifient d’éventuelles charges de caractère spécial).

Ces professions sont celles qui sont listées par l’article 5 de l’annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000.

Parmi elles figurent les « ouvriers du bâtiment visés aux paragraphes 1 et 2 de l’article 1er du décret du 17 novembre 1936, à l’exclusion de ceux qui travaillent en usine ou en atelier ».

Les salariés des entreprises de nettoyage, aujourd’hui généralement appelées entreprises de propreté, ne figurent nullement dans la liste établie par l’article précité.

Pour autant, il a pu être prétendu, jusqu’au niveau ministériel, que les entreprises de propreté devaient être assimilées aux entreprises de bâtiment.

Cette position se fonde sur le fait que l’article 1 du décret du 17 novembre 1936 vise, sous l’intitulé « entreprises de bâtiment », l’ensemble des entreprises figurant dans le sous-groupe 4 Q d du décret du 9 avril 1936, au nombre desquelles se trouveraient les entreprises de propreté sous la référence 4.945.

Il est invoqué pour s’opposer à ces demandes une lettre interministérielle du 8 nov 2012.

Or le raisonnement par analogie ressortant de la lettre ministérielle en date du 8 novembre 2012 susvisée, entre les salariés du secteur du nettoyage et les ouvriers du bâtiment, pour l’application de la déduction forfaitaire spécifique, est d’autant plus nul et non avenu, au regard, des dispositions conventionnelles applicables aux ouvriers du bâtiment et concernant, le régime des petits déplacements.

En effet, il ressort de la convention collective régionale des ouvriers du bâtiment de la région parisienne du 28 juin 1993, étendue par arrêté du 9 décembre 1993, titre 3, chapitre 3, article 1er, de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment, non visées par le décret du 1er mars 1962 ( c’est à dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990 étendue par arrêté du 8 février 1991, titre 8, chapitre 1.1, article 8.11 et de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment , visés par le décret du 1er mars 1962 ( c’est à dire occupant jusqu’à 10 salariés) du 8 octobre 1990, titre 8, chapitre 1, article 8-11 que :
Le régime des petits déplacements a pour objet d’indemniser forfaitairement les ouvriers travaillant dans les entreprises du bâtiment des frais supplémentaires qu’entraîne, pour eux, la fréquence des déplacements, inhérente à la mobilité de leur lieu de travail.
Le présent régime d’indemnisation des petits déplacements comporte les trois indemnités professionnelles suivantes :

- indemnité de repas ;

- indemnité de frais de transport ;

- indemnité de trajet,

qui sont versées aux ouvriers bénéficiaires. Ces indemnités de remboursement de frais sont journalières, forfaitaires et indépendantes de la qualification professionnelle des ouvriers.
Dès lors, une évidence s’impose, à savoir que les entreprises du nettoyage qui envoient travailler leurs salariés sur plusieurs sites et qui entendent pouvoir bénéficier de la déduction forfaitaire spécifique, doivent payer aux salariés concernés, à la fois l’indemnité de repas ; l’indemnité de frais de transport et l’indemnité de trajet.

La société défenderesse ne paie aucune de ces primes, comme l’examen des bulletins de salaire ci-après qu’elle délivre le fait ressortir. Elle ne peut donc prétendre à un quelconque abattement car si on considère que les ouvriers nettoyeurs ou « agents de propreté » doivent être assimilés à ceux du bâtiment il faut que l’assimilation soit totale et non dans 1 seul sens !

Enfin, dans un arrêt en date du 20 janvier 2012 n° 10-26092, la Cour de Cassation a condamné la pratique de la déduction forfaitaire pour les salariés travaillant sur un seul site, rappelant d’une part que les ouvriers du nettoyage ne sont pas spécifiquement visés par l’article 5 de la section « traitements et salaires » du code général des impôts et d’autre part que les ouvriers du bâtiment visés par cet article ne sont pas ceux qui travaillent en usine ou en atelier, c’est-à-dire sur un seul site.

Pour tenter de contrer cette jurisprudence, simple retranscription de la loi, les ministres des affaires sociales et des finances ont rédigé la circulaire ministérielle précitée le 8 novembre 2012, adressée à l’ACOSS, afin de bloquer les actions des agents de l’URSSAF.

Aux termes de cette circulaire du 8 novembre 2012, feignant de se soucier des conditions de travail des ouvriers de la branche, les ministres concernés demandent aux agents de contrôle de ne plus retenir la condition de « multi sites » pour valider l’abattement pratiqué !

Il est annoncé comme étant une contrepartie la limitation de l’abattement à 9 puis 8% au 1er janvier 2014.

Si, pour le moment, cette lettre ministérielle risque de bloquer les agents de contrôle concernés, rien n’empêche des salariés et/ou des syndicats de contester devant les conseils de prud’hommes et/ou les tribunaux de grande instance l’application de cet abattement.

En effet une lettre ministérielle, assimilable à une instruction ou une circulaire ministérielle, n’a pas force de loi et ne s’impose pas au juge judiciaire (Cassation sociale 13 novembre 1990 n° de pourvoi : 89-12826  ; 23 mars 1982 n° de pourvoi : 80-16648).

Il n’appartient pas aux Ministres de réécrire la loi à leur guise en dehors du parlement !

La Cour de Cassation dans un arrêt CARRARD (filiale de TFN) du 6/10/2016 vient de confirmer sa jurisprudence de 2012.(arrêt joint)

On relèvera que la Cour de cassation retient par application de l’article L511-1, devenu sur ce point L1411-1 du code du travail, la compétence du Conseil de prud’hommes pour ce type de demandes car il s’agit d’une obligation résultant pour l’employeur du contrat de travail (12/02/2003 n°01-40676, 28/6/2006 n°04-43969, 31/10/2006 n°05-40302).

Les sociétés défenderesses invoquent parfois un avis favorable à la pratique de l’abattement rendu par un comité d’entreprise, ou un accord d’entreprise instaurant la pratique de l’abattement. Or il y a lieu de juger qu’en matière de financement de la protection sociale, et c’est bien de cela dont il s’agit, on touche à l’ordre public social.

Au nom de quoi un employeur pourrait décider d’appliquer illégalement un abattement sur l’assiette des cotisations sociales, ce qui prive également la collectivité de recettes, au motif qu’un CE ou une DUP, ou un accord d’entreprise, l’aurait validé tout aussi illégalement ?

Les votes des comités d’entreprise ou des DUP, ou les accords d’entreprise, validant une pratique illégale ne peuvent avoir force de loi, comme n’aurait pas force de loi des décisions de CE ou de DUP ou des accords d’entreprises validant des salaires inférieurs au SMIC ou aux minimas des conventions collectives, ou encore des contrats de travail stipulant l’acceptation d’un abattement illégal ou d’un salaire inférieur au SMIC ou aux minimas des conventions collectives.

Sur ces questions le législateur n’a prévu aucune dérogation au principe de faveur énoncé à l’article L2251-1 du code du travail :
« Une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public. »
La pratique illégale de cette déduction forfaitaire est particulièrement injuste pour les salariés de la branche de la propreté, dont les salaires sont très bas, et qui subissent du fait de cette déduction une minoration de tous leurs droits sociaux, établis sur l’assiette de calcul des cotisations à savoir notamment :

-  indemnités journalières en cas d’arrêt de travail minorées de 10,9 puis 8%,
-  complément employeur et prévoyance d’arrêts de travail minorés 10,9 puis 8%,
-  allocations chômage minorées de 10,9 puis 8%,
-  allocations retraite minorées de 10,9 puis 8%.

Cette injustice, parmi d’autres, n’est nullement compensée par la légère diminution des charges salariales, de l’ordre de 17 € par mois pour un SMIC à temps complet (1 450 € x 8% x 15% et non 23% car la CSG et la CRDS ne sont pas impactées par l’abattement).

Au surplus, cette déduction forfaitaire participe à un véritable dumping social par l’externalisation de plus en plus importante, notamment, des services de l’hébergement dans le secteur de l’hôtellerie, la branche des hôtels café restaurant ne bénéficiant d’aucune déduction de ce type.

Cet abattement a causé un grave préjudice au salarié au titre de ses droits sociaux, des dommages et intérêts devront lui être alloués à ce titre.

La rémunération étant composée du salaire direct et du salaire indirect, ou socialisé, il est légitime d’attribuer des dommages et intérêts équivalents aux cotisations sociales non versées aux organismes sociaux du fait de cet abattement sur la base du salaire brut x 10% puis 9 puis 8% x 42% de cotisations sociales employeurs, ce qui représente pour un temps plein environ 65 € par mois travaillé.

Annexe 1

Cass. Civ. 6 octobre 2016.pdf

Annexe 2

CPH Créteil, 23 octobre 2017.pdf

Annexe 3

CA Paris 27 octobre 2017.pdf

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