Chronique ouvrière

PSA à l’épreuve du principe d’indépendance : la "rupture de l’essai" du médecin du travail est refusée

mercredi 9 septembre 2015 par Pascal MOUSSY

Le médecin du travail est une composante essentielle des services de santé au travail, qui ont pour mission exclusive d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail.

Le médecin du travail peut intervenir dans l’entreprise pour exercer cette mission une fois qu’il a conclu un contrat de travail, soit avec l’employeur, soit avec le président du service de santé au travail interentreprises.

Ce contrat de travail peut comporter une période d’essai. La finalité de la période d’essai est présentée par l’article L. 1221-20 du Code du travail dans les termes suivants : « La période d’essai permet à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent ».

Ce qui caractérise la période d’essai, c’est la possibilité reconnue à chacune des parties au contrat de travail de rompre la relation contractuelle dans donner de motif.

Mais, dans le cas du médecin du travail, la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur pendant la période d’essai doit être soumise à l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail. La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 26 octobre 2005 (n° 03-44585 ; Bull. V, n° 306) a considéré qu’il y avait matière à application des dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés en raison du mandat ou des fonctions qu’ils exercent dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs.

Les fonctions de médecin de travail doivent en effet s’exercer sous la protection du principe d’indépendance.

Ce principe d’indépendance est posé par la convention C 161 du 7 juin 1985 de l’OIT sur les services de santé au travail. Il est réaffirmé par l’article L. 4623-8 du Code du travail (« Dans les conditions d’indépendance professionnelle définies et garanties par la loi, le médecin du travail assure les missions qui lui sont dévolues par le présent code »). Et, par un arrêt du 25 juin 2012 (n° 358108), le Conseil d’Etat souligne le caractère fondamental du « principe de l’indépendance du médecin du travail dans l’exercice de son art ».

Les premiers mois d’exercice de l’activité du médecin du travail peuvent révéler que la préoccupation de la préservation de la santé ne permet pas toujours une parfaite convergence de vue avec l’employeur, si celui-ci se laisse trop aspirer par les impératifs de la productivité. Si l’employeur annonce alors, sans donner de plus amples explications, que, finalement, le médecin du travail ne fait pas l’affaire, il revient à l’inspection du travail de s’assurer que ce n’est pas l’indépendance d’un médecin du travail mettant la santé au cœur de ses priorités qui a été à l’origine de la rupture de la relation contractuelle.

En ce qui concerne Isabelle KRYVENAC, médecin du travail embauchée pour intervenir sur le site de Metz-Borny de la société PSA PEUGEOT CITROEN, le contrôle s’est avéré des plus utiles.

Le responsable des relations sociales et humaines qui a sollicité l’autorisation de « rompre la période d’essai » du médecin du travail ne remettait pas en cause les capacités et les compétences de l’intéressée.

Il faisait état de « difficultés relationnelles » entre le médecin du travail et lui-même et d’une « difficulté de l’appropriation des modes de fonctionnement du groupe ».

Ce « mode de fonctionnement » a eu l’honneur d’un article publié dans Les Echos sous le titre « PSA : l’électrochoc Tavares »
(http://www.lesechos.fr/30/03/2015/lesechos.fr/0204267253158_psa---l-electrochoc-tavares.htm).
« Nommé, il y a un an à la tête de PSA Peugeot Citroën, Carlos Tavares a placé l’entreprise sous haute tension. Peu soucieux de son image, ce manager revendique avant tout une culture de résultat… Un an déjà que cette mécanique implacable est à l’œuvre dans la vénérable maison Peugeot. « Culture du profit » ; « esprit de compétition » ; « recherche de la performance » ; « feu sacré »… Les mots secouent chaque jour cette entreprise réputée pour sa culture consensuelle, voire paternaliste…Direct propos dans ses propos, Carlos Tavares emploie des mots simples pour être compris de tous. « Vous pouvez compter sur nous pour vous demander des choses difficiles », lance-t-il à l’adresse des syndicats à Mulhouse en annonçant la ligne d’une ligne de production. « Je ne suis pas là pour rassurer les gens mais pour leur faire comprendre que c’est leur performance qui va les protéger », explique-t-il ».

Il n’est dès lors guère surprenant que le stress ne soit pas très loin pour le salarié de PSA craignant ne pas être parmi les premiers dans la course à la performance.

L’enquête menée par l’inspectrice du travail invitée à se prononcer sur la demande d’autorisation de « rompre la période d’essai » d’Isabelle KRYVENAC a permis de faire apparaître que cette demande n’avait pas été présentée pour des raisons tenant à la compétence professionnelle de l’intéressée et qu’il s’agissant d’une mesure de rétorsion envers un exercice normal des fonctions de médecin de travail.

Il a été relevé par l’inspectrice du travail qu’il y avait eu une ingérence de l’équipe de direction et des ressources humaines dans l’activité du médecin du travail et que les propos tenus par Isabelle KRYVENAC dans le cadre de son activité avaient pu contrarier sa hiérarchie alors qu’ils relevaient de l’exercice normal de sa fonction.

L’ingérence a été particulièrement caractérisée à l’occasion de la présentation au CHSCT d’un dispositif d’évaluation du stress professionnel, appelé DESSP, pour l’année 2014.

Isabelle KRYVENAC avait préparé un diaporama reprenant les chiffres du DESSP pour Metz et y intégrant son analyse en sa qualité de médecin du travail. Ce diaporama a été jugé comme « beaucoup trop négatif » par les responsables des ressources humaines, qui ont demandé à Isabelle KRYVENAC de « parler différemment des choses au CHSCT car certains propos étaient forts » et de « rester au maximum sur la présentation standard demandée par le central RH/CDT ». A la suite de ces observations, Isabelle KRYVENAC a modifié son diaporama de présentation, qui était encore considéré comme « trop négatif »… Le médecin du travail décidait malgré tout de présenter le diaporama tel quel au CHSCT.

Moins d’un mois après, Isabelle KRYVENAC apprenait que l’essai ne se révélait pas concluant et le processus de rupture était enclenché.

L’inspectrice du travail est en toute logique arrivée à la conclusion qu’il ne pouvait être écarté l’existence d’un lien entre la demande de rupture de période d’essai et l’exercice normal par Isabelle KRYVENAC de ses fonctions de médecin de travail. Elle ne pouvait qu’opposer un refus à la demande de « rupture de période d’essai » qui lui avait présentée par PSA.

« Zéro défaut », « bien-être au travail », le souci de la « performance » mérite d’être salué. Mais la « présentation standard » n’est pas nécessairement le reflet exact de la réalité et il ne saurait être exigé du médecin du travail qu’il y adhère purement et simplement et qu’il garde pour lui ses commentaires. Le principe de son indépendance dans l’exercice de son art s’y oppose.

Annexe :

Décision de l’Inspectrice du travail, Metz le 1er Septembre 2015.pdf

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