Chronique ouvrière

Un avis d’inaptitude trop laconique peut facilement être annulé, entraînant ensuite la nullité du licenciement

jeudi 24 octobre 2013 par Alain HINOT
CE Le 1er Aout 2013.pdf

L’on sait que l’avis du médecin du travail qui décide de l’inaptitude d’un salarié, peut être contesté dans un délai de deux mois auprès de l’inspecteur du travail (article R 4624-35 CT).

L’on sait aussi que le médecin du travail est habilité, notamment en cas d’inaptitude du salarié, à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes (art. L 241-10-1 CT).

Mais l’on sait encore, qu’en cas de difficulté ou de désaccord relatifs aux proposition du médecin, la décision est prise par l’inspecteur du travail après avis du médecin-inspecteur du travail (art. L 241-10-1 CT).

Un arrêt du Conseil d’Etat en date du 01 août 2013 (n° 341604) vient opportunément rappeler ces règles et ouvrir d’intéressantes perspectives.

Une aide-comptable travaillant au sein de la société Mareyeurs des Côtes de France était déclarée définitivement inapte à tout emploi par le médecin du travail au motif qu’elle ne pouvait plus supporter l’exposition au froid. La salariée, qui estimait qu’un aménagement de son poste était possible, exerçait un recours devant l’inspecteur du travail qui par décision du 28 décembre 2006, confirmait l’avis du médecin du travail.

La salariée était alors licenciée pour impossibilité de reclassement faisant suite à la décision d’inaptitude.

Cependant par décision du 23 mars 2007, le ministre du travail, estimant que l’employeur pouvait aménager le poste en mettant fin à l’exposition au froid, annulait la décision de l’inspecteur du travail, de sorte que la salariée redevenait apte.

Sur recours de la société et par un jugement du 13 mars 2008, le tribunal administratif de Nice rejetait la demande d’annulation de la décision ministérielle du 23 mars 2007 et par un arrêt du 11 mai 2010, la cour administrative d’appel de Marseille validait ce jugement.

A ce stade la salariée était donc toujours apte, mais licenciée.

L’arrêt ici commenté du Conseil d’Etat rejette le pourvoi de la société en rappelant que l’article L. 122-24-4 CT émet une série d’obligations à charge de l’employeur et du médecin (dans sa rédaction alors applicable, devenu article L. 1226-2) : “ A l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail (...). “ et qu’en vertu de l’article R. 241-51 CT (devenu article R. 4624-24) : " l’examen de reprise du travail a pour seul objet d’apprécier l’aptitude de l’intéressé à reprendre son ancien emploi, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation du salarié ou éventuellement de l’une et de l’autre de ces mesures... “.

Le Conseil d’Etat juge qu’il résulte des dispositions précitées que le médecin du travail (ou l’inspecteur du travail en cas de recours), doit indiquer, dans les conclusions écrites qu’il rédige à l’issue de visites médicales de reprise, les considérations de fait de nature à éclairer l’employeur sur son obligation de proposer au salarié un emploi approprié à ses capacités et notamment les éléments objectifs portant sur ces capacités qui le conduisent à recommander certaines tâches en vue d’un éventuel reclassement dans l’entreprise ou, au contraire, à exprimer des contre-indications.

En conséquence, il appartient au médecin du travail ou l’inspecteur du travail lorsqu’il se prononce notamment au titre de l’article L. 241-10-1 du code du travail, de préciser les motifs pour lesquels il ne propose aucune mesure individuelle ou de rechercher si un aménagement du poste permettant au salarié d’exercer ses fonctions est possible. A défaut la décision du médecin du travail (ou de l’inspecteur du travail), encourt l’annulation avec toutes conséquences de droit.

Ainsi, un salarié licencié suite à une décision d’inaptitude annulée, comme en l’espèce, pourra ensuite saisir le Conseil de prud’homme en annulation de son licenciement, celui-ci étant fondé sur une décision elle-même nulle et donc liée uniquement à son état de santé.


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