Le cumul des atteintes au droit de grève par l’entreprise publique RATP
« Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » [1]
Pourtant, une fois de plus, la RATP est sortie du cadre légal. Les lecteurs de Chronique ouvrière ne seront pas surpris par le contenu de la décision jointe, prononcée le 14 mars 2013 par le bureau de jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris, en sa formation de départage.
En effet, les juges administratifs et judiciaires ont déjà eu, à plusieurs reprises, l’occasion de constater les atteintes par la RATP au droit constitutionnel de grève : sanctions disciplinaires [2] et retenues abusives des journées non travaillées [3]. Restait à finaliser la trilogie par l’établissement de la pratique par l’entreprise de mesures discriminatoires envers les agents grévistes. C’est ce qu’effectue la présente décision.
En l’espèce, un mouvement de grève fut suivi, de septembre à décembre 2000, dans l’établissement où travaillait le demandeur à l’instance. Ce dernier y prit une part active. Depuis, sa progression de carrière, qui jusqu’alors était constante, fut considérablement ralentie. Dès lors, le salarié n’eut d’autre choix que de saisir le Conseil de Prud’hommes d’une demande de reconstitution de carrière.
Le tribunal lui a donné raison. La décision est intéressante à double titre : par sa motivation de pur droit quant à l’existence d’une discrimination (I) et le soutien actif du syndicat UGICT/CGT, partie intervenante volontaire au litige (II).
I) La reconnaissance en droit de faits de discrimination
Le juge relève à bon escient que le législateur a spécifiquement aménagé à l’article L.1134-1 du Code du travail la charge de la preuve en cas de discrimination alléguée :
« Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. ».
Prenant cet article « au pied de la lettre », le Conseil a tout d’abord vérifié la participation effective de l’intéressé à un mouvement de grève. En l’espèce, celle-ci était démontrée par des « attestations précises et concordantes » de collègues travaillant au sein de la même unité.
Puis, le tribunal a validé la pertinence du panel proposé par l’agent, qui était composé de salariés placés dans une situation identique : même année de qualification, même filière professionnelle.
Enfin, le Conseil a observé que les compétences professionnelles du demandeur étaient établies par l’employeur lui-même du fait de l’absence de toute sanction disciplinaire et du contenu élogieux des comptes rendus des différents entretiens d’évaluation.
Il convient par ailleurs de préciser que la démonstration quasi mathématique de l’existence d’une discrimination opérée par la RATP s’appuyait sur l’argumentation particulièrement claire et étayée du requérant. Cela démontre, s’il en était besoin, que les avancées jurisprudentielles découlent de l’apport de tous les intervenants : le salarié, tout d’abord, qui, après avoir subi seul, pendant de longues années, les assauts de la délinquance patronale, trouve l’énergie nécessaire à demander justice contre l’oppresseur apparemment tout puissant, au prix d’une procédure chère, longue et douloureuse. Le défenseur ensuite, qu’il soit avocat ou délégué syndical, qui déploie tant d’efforts à rassembler les arguments propres à convaincre. Le juge, enfin, dans son rôle d’application du droit du travail, tout en tenant compte des principes généraux du droit, notamment l’indispensable protection de la partie faible.
Un acteur majeur ne doit cependant pas être oublié : il s’agit du syndicat, nécessaire contre-pouvoir, seule protection du salarié pendant la durée de la relation de travail contre l’arbitraire patronal.
II) L’indispensable intervention en justice des organisations professionnelles de salariés
Le syndicat UGICT/CGT (CGT encadrement) de la RATP s’était porté partie intervenante dans le cadre du litige opposant le salarié à la RATP sur le fondement de l’article L2132-3 du code du travail, lequel dispose :
"Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent."
En l’espèce, le syndicat dénonçait l’atteinte grave portée au droit de grève et au principe d’égalité professionnelle et de traitement. Il est significatif que l’UGICT ne se soit pas placée sur le terrain de la discrimination syndicale. Le Conseil a d’ailleurs relevé que le moyen tiré de l’absence d’activité syndicale était inopérant. Le cœur du litige était véritablement l’atteinte au droit de grève, que le cas particulier du salarié a permis de démontrer. Depuis plusieurs années, le syndicat soutenait les agents grévistes dans leur lutte contre la répression financière opérée par la direction à leur encontre [4]. Il s’agit de la première sanction, à notre connaissance, par le juge judiciaire de la discrimination pour fait de grève pratiquée par l’entreprise.
L’action juridique a permis d’appuyer l’action syndicale dans un domaine sensible, où l’employeur ne reculait devant aucun moyen, quitte à se placer dans l’illégalité, pour soustraire aux travailleurs leur unique possibilité défense : la revendication collective.
Outre que l’intervention syndicale renforce l’action du salarié en confirmant sa légitimité, elle permet de donner à une décision individuelle une portée collective, profitable à l’ensemble des salariés de l’entreprise et, parfois, au-delà.
Dans le cas d’espèce, le jugement du Conseil des Prud’hommes a mis en lumière les pratiques illicites d’une grande entreprise publique, célébrée comme « citoyenne », et permis de conforter un droit constitutionnel, dont l’exercice est de plus en plus remis en cause au nom des libertés économiques [5].
[1] Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
[2] MOUSSY (P), « La RATP suspendue pour excès de vitesse dans sa répression disciplinaire des agents grévistes ! », Chronique Ouvrière, http://chronique-ouvriere.fr/spip.php?article58
[3] NEBULONI (ML), « Crime de grève à la RATP : condamnation sans appel », Chronique ouvrière, http://chronique-ouvriere.fr/spip.php?article158
[4] Cour d’Appel de Paris, pôle 6, chambre 2, EPIC RATP contre Union syndicale CGT, répertoire général S09/00170
[5] MOUSSY (P), « Le droit de grève encadré par le "droit à l’information" pour permettre aux compagnies aériennes de sécuriser leur taux de profit », http://chronique-ouvriere.fr/spip.php?article465