A propos de l’arrêt
"Syndicat Anti-Précarité"
Quelle place pour l’activité juridique dans l’action syndicale ?
par Karl GHAZI
La Cour de cassation a rendu, le 15 novembre 2012, une décision qui ne manque pas de paradoxes : pour dénier au Syndicat Anti Précarité (SAP) le droit de se constituer en se donnant l’action juridique pour objet principal, la confédération CGT a saisi… le juge. Lequel a rendu une décision avant tout… politique, qui confirme que l’objet d’un tel syndicat n’est pas conforme au Code du travail et, par voie de conséquence, qu’il ne peut présenter sa candidature aux élections des TPE.
Cette décision se fonde sur les statuts du SAP et sur son activité réelle (tracts), dont les objets seraient, selon la Cour, exclusivement consacrés à l’activité juridique. Le syndicat, pourtant, faisait valoir que, si le « juridique » était son objet d’action principal, il n’était pas exclusif et que nul ne pouvait s’immiscer dans le choix des modes d’action d’un syndicat. Et la lecture des statuts du syndicat confirme bien que, si l’action juridique est citée comme moyen privilégié, le syndicat n’exclut pas les formes d’actions « traditionnelles » (grève, manifestation, pétition).
Nul ne peut ignorer la judiciarisation croissante à laquelle est confrontée l’action syndicale et qui, souvent, est imposée aux organisations de salariés par les patrons.
Faut-il, pour autant, que l’action syndicale devienne principalement une activité de soutien juridique et de procédure ?
Au-delà d’un débat cantonné à la forme (les statuts), c’est la véritable question qu’il convient de se poser, à la lecture de la décision du 15 novembre 2012.
Or, la question posée, avant d’être statutaire ou juridique est politique.
Si rien ne doit empêcher un syndicat de constituer une section juridique, cette activité cependant ne doit pas devenir l’activité principale d’un syndicat, ni sa principale source de financement.
Couramment, pourtant, l’action judiciaire devient un substitut à l’action syndicale, au lieu d’en être une continuation. Un substitut dangereux, ne serait-ce que parce qu’il fait disparaître la revendication au bénéfice de la réclamation ; parce qu’il tend à faire croire aux salariés que l’action judicaire constitue une solution durable et collective à leurs maux. Trop souvent, nous avons vu les salariés d’une entreprise se syndiquer massivement à la suite d’un procès prud’homal gagné, puis la section syndicale se désagréger au premier procès perdu, lorsque la baguette magique ne fonctionne plus. L’illusion qu’il suffit d’un bon dossier pour gagner des batailles syndicales va à l’encontre d’un syndicalisme de luttes : elle semble dispenser les salariés des combats qu’ils doivent mener.
Présenter l’action judiciaire comme l’unique (ou principal) moyen de combattre « la précarité », c’est apporter une solution simpliste à une question que, de leur côté, les organisations syndicales n’ont pas résolue. Mais le fait que les syndicats n’aient pas de réponses totalement satisfaisantes ne légitime pas automatiquement la réponse « juridique ».
Organiser le rapport de forces là où les syndicats sont absents nécessiterait d’adapter le Code du travail à la réalité des entreprises d’aujourd’hui. Réintégrer les salariés « extérieurs » dans le collectif de travail, donner des droits aux salariés d’entreprises immenses éclatées dans des micro-établissements, sans délégués, voilà des batailles qui méritent d’être menées. Pour cela, le recours aux tribunaux serait totalement insuffisant car, ne l’oublions pas : nous ne visons pas que l’application des règles. Nous nous attachons, surtout, à les changer !
Opposer l’efficacité (supposée) de l’action judiciaire à l’inefficacité voire au caractère purement formel de l’action syndicale « classique » (grève, manifestation) n’a pas de sens ! L’action judiciaire, c’est la poursuite de l’action syndicale par d’autres moyens et l’on imagine mal (heureusement) des bataillons de plaignants remplacer les cortèges de manifestants.
Pourtant, le fait qu’un syndicat prône l’action judiciaire ne devrait pas rendre sa constitution illicite, du moment que ce n’est pas son objet exclusif. Le tort du SAP (ou son courage) a été de jouer franc-jeu. Car nombreux sont ceux qui pratiquent ce type de syndicalisme... en se gardant bien de l’indiquer dans leurs statuts !
Ces questions essentielles de la structuration syndicale et des modes d’actions doivent faire l’objet d’un véritable débat démocratique, plutôt que de se retrouver devant les juges. Car il suffira, sinon, pour les tenants d’un « syndicalisme juridique », d’un peu de rouerie dans les formes pour continuer d’étendre ce type de pratiques, d’autant plus facilement qu’elles constituent parfois une source importante de financement.
Un syndicat peut-il librement déclarer qu’il fait de l’action juridique un enjeu essentiel ?
par Alain HINOT
Le syndicat Ant-Précarité (SAP) a été créé en octobre 2008 par 03 syndicats (dont le principal était le « syndicat VEOLIA Transport »). Il s’est développé progressivement dans les entreprises, tout en participant aux élections prud’homales de 2008.
En septembre 2012, le SAP déposait sa candidature dans le cadre du scrutin organisé à compter du 28 novembre 2012 pour mesurer l’audience des organisations syndicales dans les TPE (laquelle audience TPE servira en 2013 à déterminer la représentativité nationale ou régionale des syndicats). La candidature du SAP était validée par le Ministère du travail et lors de la réunion de la Commission nationale des opérations de vote (CNOV) du 11 octobre 2012, la candidature du SAP n’était critiquée par aucune organisation.
Cependant, le 17 octobre 2012, la CGT saisissait le TI de Paris (15ème) d’une requête visant à l’annulation de la candidature déposée par le SAP pour le scrutin TPE.
Le SAP, recevait la requête, les pièces et conclusions de la CGT et la convocation du TI le lundi 22 octobre 2012 vers 17h00, pour une audience prévue pour le lendemain 23 octobre 2012 à 11h00. S’appuyant uniquement sur les statuts du SAP et sur sa profession de foi TPE, la CGT soutenait que le SAP n’avait pas d’activité syndicale réelle, au sens où il se contenterait exclusivement de proposer à ses adhérents et aux salariés des conseils et une assistance juridique.
Le SAP organisait sa défense dans la nuit du 22 au 23 octobre, en répondant aux critiques adverses qu’il est implanté dans une quarantaine d’entreprises (principalement en région parisienne) et il affirmait, sans être d’ailleurs contredit (mais sans avoir eu le temps de réunir les éléments de preuves), qu’il disposait de nombreux adhérents, RSS, DS et élus de toute nature au sein de ces entreprises. Le SAP expliquait par ailleurs qu’il avait présenté plus d’une centaine de candidats à l’occasion des élections prud’homales de décembre 2008 (sur 4 CPH des Yvelines et des Hauts de Seine) en atteignant des scores honorables (entre 5% et 13%) et qu’il avait même obtenu un élu au sein du CPH de Nanterre.
Mais, le SAP ne cachait nullement qu’il faisait de l’activité juridique une arme syndicale essentielle et il écrivait dans ses conclusions que : « La CGT a tendance à oublier les fondamentaux de l’action syndicale et à se désintéresser de l’action juridique, notamment lorsque celle-ci concerne personnellement les salariés ou les élus et mandatés, et à privilégier une activité de représentation auprès des pouvoirs publics ou du patronat, sans oublier évidemment les traditionnels défilés ou grèves symboliques qui, depuis plus de vingt années, occupent les foules sans donner le moindre résultat ».
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Le scrutin TPE, actuellement en cours, concerne des salariés qui travaillent dans des entreprises dépourvues de toute représentation syndicale et souvent plus précarisés qu’ailleurs. Or, les questions que se posent les salariés des TPE concernent principalement le droit du travail, les conventions collectives, etc… C’est ce qui rendait le résultat que pouvait obtenir le SAP totalement imprévisible, d’autant qu’il avait pu tester sa popularité lors des élections CPH de 2008.
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Au cours des débats devant le TI du 23 octobre 2012 (le juge refusant par avance tout renvoi à raison de la proximité du scrutin TPE), le SAP faisant d’abord valoir que la requête de la CGT n’était pas recevable, puisqu’une union de syndicats professionnels ne peut, selon les articles L 2133-1 CT et suivants, s’adjoindre des associations telles que l’UCR ou encore le Comité de lutte et de défense des chômeurs CGT, en sus des syndicats la composant.
Néanmoins, par jugement du 29 octobre 2012, le TI rejetait la fin de non-recevoir du SAP et épousant l’argumentation de la CGT, annulait la candidature du SAP au motif que son objet et son activité « exclusivement juridique » ne lui permettaient pas de revendiquer la qualité de syndicat.
Le SAP se pourvoyait alors en cassation faisant grief au jugement de dire, d’une part, recevable la contestation formée par la CGT et en expliquant, d’autre part, qu’il résulte clairement de ses statuts que son activité n’est pas exclusivement tournée vers l’activité juridique et enfin qu’un syndicat est libre d’utiliser l’action juridique pour la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par ses statuts, d’autant que le principe de « non ingérence » prôné par l’OIT ne permet ni aux juges, ni aux Etats, ni aux autres syndicats de s’immiscer dans les choix de stratégies et de modes d’actions d’une organisation professionnelle.
Par un arrêt du 15 novembre 2012 (n° 12-27315 PB), la Cour de cassation juge d’abord que l’objet de la CGT est conforme aux prescriptions de l’article L. 2131-1 du code du travail, « même si certains de ses adhérents n’ont pas eux-mêmes la qualité de syndicats », de sorte que la CGT est bien une union de syndicats et qu’elle avait donc qualité à agir devant le TI.
Se faisant, la haute juridiction ouvre, de façon prétorienne, à toutes les unions de syndicats, la possibilité de regrouper en sus de syndicats stricto sensu, des adhérents « personnes morales » que les articles L 2133-1 et L 2133-2 CT ne prévoient absolument pas.
S’agissant du maintien ou non de la candidature du SAP au scrutin TPE, la Cour de cassation rejette le pourvoi en s’en tenant placidement aux constatations du juge d’instance et à l’interprétation qu’il a fait des seuls statuts et de la profession de foi du SAP, alors même qu’à hauteur de cassation l’organisation apportait moultes preuves d’une activité syndicale « classique » importante, notamment dans les entreprises.
Cette façon de renvoyer à l’appréciation souveraine d’un juge unique, sans la garantie du double degré de juridiction, est d’autant plus critiquable que le Conseiller rapporteur indiquait très clairement dans son rapport : « Les statuts affirment l’action juridique comme un mode d’action essentiel, mais non exclusif » et que dans son avis l’avocat général admettait : « Que l’objet de ce syndicat est conforme aux dispositions du code du travail, qu’il ne résulte pas de ses statuts que son activité soit exclusivement tournée vers le conseil juridique, l’assistance juridique ou l’action en justice et que la possibilité pour un syndicat de donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous-seing privé au profit des personnes dont la défense des intérêts est visée par leurs statuts est prévue par la loi n°71-1130 du 31 décembre 1871 (art. 64) ».
Mais il est vrai que le juge de cassation n’est pas le juge des faits (encore qu’en matière électorale, il lui arrive quelques fois de revêtir cette casquette pour que justice soit rétablie) et il est certain, qu’en ne relevant pas l’évidente dénaturation par le juge d’instance des statuts et de la profession de foi du SAP (tract), comme cela était mis en évidence par le Conseiller rapporteur et l’avocat général, il était simple pour les magistrats du quai de l’horloge d’éviter une cassation aux effets dévastateurs.
En effet, un arrêt de cassation aurait probablement entraîné un renvoi devant un autre TI, avec nouvelle possibilité de pourvoi, de sorte que le scrutin national TPE aurait été invalidé en cas de succès final du SAP (dans l’hypothèse où il n’aurait pas pu participer au scrutin), ou dans le cas d’une nouvelle invalidation de la candidature SAP (s’il avait participé au scrutin).
En tout cas, même en cas de cassation sans renvoi, le scrutin aurait été nécessairement irrégulier (malgré le raccourcissement extrême de la procédure en cassation demandé par le SAP), car : soit il était nécessaire de repousser la tenue du scrutin afin de réimprimer les 4,6 millions de bulletins de vote et de livrets des professions de foi reliés lesquels étaient en impression depuis le 05 novembre 2012 (sans que le SAP n’y figure), d’autant qu’à compter du 13 novembre 2012 les envois aux électeurs avaient commencé ; soit le vote avait lieu sans le SAP et l’invalidation était nécessairement dans les limbes.
Que pesaient les intérêts du SAP face à de tels enjeux politiques et financiers ?
C’est donc « l’interprétation souveraine des statuts et des pièces » par le juge d’instance qui a été retenue par la Cour de cassation pour écarter, à l’économie, le SAP du processus électoral selon un syllogisme qui, niant l’évidence, avait conduit le TI à juger que « l’activité de l’organisation consistait exclusivement à proposer des services rémunérés d’assistance et de conseil juridique ».
De quoi laisser croire à ceux qui aujourd’hui s’arrogent le droit de définir quel syndicalisme officiel on doit seulement pratiquer qu’ils sont les gardiens du dogme, alors qu’ils s’éloignent, en réalité, de plus en plus des syndiqués, élus et salariés, qu’ils fonctionnent essentiellement grâce à des financement institutionnalisés et qu’ils sont quasiment absents des TPE.
Mais il apparaît clairement que cette décision ne vaut que pour le scrutin national TPE et au regard seulement des faibles éléments versés aux débats le 23 octobre 2012, d’autant que le SAP n’a pas disposé d’un délai suffisant devant le TI de PARIS 15ème pour organiser sa défense et démontrer la réalité de son implantation syndicale de terrain (désignations RSS et DS, PV d’élections, tracts, etc…). La décision qui a annulé la candidature du SAP est donc limitée au seul objet de l’instance « scrutin national TPE » (autorité relative de la chose jugée).
Il ressort cependant in fine de cet arrêt de rejet qu’une union de syndicats peut agglomérer des structures syndicales sui generis ou des personnes morales autres que des syndicats stricto sensu (associations, mutuelles, etc…) et qu’il est loisible à un syndicat de mettre en place « des services rémunérés d’assistance et de conseil juridique », à la seule condition qu’il ne le fasse pas à titre exclusif.
Ceci n’est d’ailleurs pas étonnant dans la mesure où les règles posées par l’OIT valident la notion de « syndicalisme de services » pratiquée dans beaucoup de pays sans aucune contrainte et que de très nombreuses organisations françaises de salariés (CGT, FO, CGC, CFTC et CFDT, compris), ainsi que toutes les organisations professionnelles d’employeurs, ont mis en place depuis fort longtemps des services juridiques, notamment au sein de leur unions de syndicats, qui fournissent notamment des conseils ou des assistances juridiques rémunérés en direction de leurs adhérents ou sympathisants (contrats de travail, lettres de licenciement et défense prud’homale pour les syndicats d’employeurs, conseils juridiques en direction des CE et défense prud’homale pour les organisations de salariés, par exemples) ou qui proposent des assurances de protection juridique payantes, etc.., etc…
Alain HINOT
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