Chronique ouvrière

L’Union européenne, arme de destruction massive du prolétariat

lundi 10 septembre 2012 par Marie-Laurence NEBULONI

Le principe de la concurrence libre et non faussée, posé par l’acte unique européen entré en vigueur le 1er janvier 1987, constitua un tournant dans la construction de l’union européenne [1] . Issu de l’objectif d’un marché unique fixé par le Traité de Rome [2], sa principale déclinaison juridique fut de consacrer la suprématie du droit de la concurrence.

Dès lors, la messe était dite. Les inévitables altérations de tout ce qui tissait le lien social en France : conception du service public, fonction publique, protection sociale, retraites, droit du travail, n’en finissent pas de d’abaisser la qualité de vie de la population.

La concurrence est imposée à tous les niveaux : entre états membres, entre membres d’un même état, entre le public et le privé, au sein d’une même entreprise, entre écoles, au sein d’une même école….Elle était censée aboutir à une baisse des prix pour la satisfaction du consommateur.

Or, que constatons-nous ? L’appauvrissement des classes populaires associé avec un enrichissement de l’élite, l’explosion du chômage et de la délinquance, la dégradation des solidarités.

Le niveau atteint par la dette publique sanctionne le jusqu’auboutisme de la politique libérale, libérée de toute entrave, menée par les dirigeants des états membres de l’Union Européenne. Pourtant, loin d’en tirer les conséquences, ceux-ci ne savent qu’élaborer, encore et encore, des politiques d’austérité qui aggravent la situation, jusqu’à en graver le principe dans le marbre du TSCG (traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’union économique et budgétaire). Le serpent (monétaire ?) se mord la queue et tourne en rond sans jamais trouver de sortie de crise.

Mais quelles sont les conséquences concrètes pour les principaux intéressés, à savoir les citoyens, de cette folie européenne ? Face au discours dominant, imposé aux masses considérées comme incultes par des supposés sachant, nous nous proposons d’appeler à notre secours le simple bon sens aux fins, dans un premier temps, d’établir un bilan de l’intrusion de l’Europe du capital dans les fondements de notre Etat, puis, dans un second temps, de proposer de nouvelles règles européennes à caractère social

I) Les effets pervers de l’imposition des critères européens sur le tissu social français

A) L’anéantissement des acquis sociaux

Jusqu’au XIXe siècle, la grève constituait un délit pénalement sanctionné.
Le droit de grève ne fut pleinement consacré qu’à la libération, dans le préambule de la Constitution de 1946 : « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglemente ».
A peine reconnu, il fut encadré. Depuis 1963 [3]. La dernière [4] officialise la prééminence de la logique concurrentielle dans le contexte de la mondialisation sur les légitimes revendications des travailleurs [5].

Ces lois accompagnent la volonté politique de rendre la grève impopulaire. Dans l’opinion publique, elle est devenue synonyme de « prise d’otages » et les grévistes, de travailleurs à qui on n’a plus laissé d’autre choix que de cesser le travail pour être entendus, se sont vu progressivement attribuer le statut de privilégiés irresponsables. Le droit de grève est de moins en moins effectif, il est sacrifié sur l’autel de la concurrence.

L’entreprise de culpabilisation collective s’est étendue à d’autres domaines : la sécurité sociale est en déficit par la faute des malades, les retraités sont trop nombreux, les salariés coûtent cher et le code du travail nuit gravement à la santé des entreprises. Notre système de protection sociale est présenté comme le plus onéreux d’Europe, et ses bénéficiaires comme des enfants gâtés qu’il faut raisonner.

Cette propagande permet d’éviter d’envisager une autre répartition des richesses en restant sous le contrôle des marchés financiers. La baisse de la fiscalité directe est la principale cause structurelle de l’endettement dans une période où les traités européens ont obligé les Etats à emprunter sur les marchés financiers pour combler leurs déficits annuels [6]. Le financement de la protection sociale est ainsi rendu, de fait, inaccessible.

Dans ce contexte, qu’en est-il de la conception de service public, fondement nécessaire de toute vie sociale dans le cadre de l’Etat moderne selon Jean Rivero [7] » ?

B) La privatisation des services publics

Le service public à la française, incompatible avec la notion européenne de SIEG (service d’intérêt économique et général), a été contraint d’évoluer. Le domaine postal et des télécommunications en constitue l’exemple le plus symbolique. Les PTT (poste, télégraphes et téléphones), établissement public à caractère administratif dont le personnel était exclusivement composé de fonctionnaires, fut scindé en deux EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) par la loi du 02 juillet 1990 [8].

France Telecom fut transformée en SA (société anonyme) le 26 juillet 1996 [9], et La Poste le 09 février 2010 [10], au mépris de l’opposition de l’opinion publique, manifestée par une votation citoyenne organisée à l’automne 2009.

Tout au long de ce processus de privatisation, une pression importante fut constamment exercée sur les fonctionnaires, aux fins de les inciter à changer de statut.

Les résultats, là aussi, sont au rendez vous : La Poste détient le record de France des CDD (contrat à durée déterminé) abusifs. France Telecom a acquis une grande notoriété non pas grâce à la qualité des services proposés, mais par le nombre élevé de suicides de ses salariés, contrepartie du respect des critères européens.

L’Europe économique s’est construite sur la base de traité de Rome, l’Europe politique sur le traité de Maastricht, mais il manque une Europe sociale, qui ne pourra être mise en œuvre que par la volonté des populations.

II) Une possible refondation de l’Europe au service des peuples qui la composent

Afin de préserver les bases du modèle social européen, il est devenu indispensable d’inverser le sens de la construction européenne.

A) Le service public, corollaire de la démocratie

Selon Léon Duguit, l’État doit être conçu comme un « faisceau de services publics ». Cette conception permet d’assurer la prééminence de l’intérêt général sur les intérêts privés, de la satisfaction des besoins sociaux sur la rentabilité économique.

Il s’agit d’instaurer de rétablir les principes fondateurs d’adaptabilité (adaptation à l’évolution des techniques), continuité territoriale, égalité et laïcité mis à mal par les exigences des marchés financiers.

Il s’agit de stopper le démantèlement de la protection sociale, rendre effectif le droit à la santé, au logement, à la retraite, à l’emploi, à l’éducation.

Il s’agit de conforter les droits des salariés et, notamment, de stopper la mise à sac du droit de grève, à valeur constitutionnelle, opérée par des lois de plus en plus restrictives ne visant qu’à dépouiller les travailleurs de toute possibilité de défense contre la délinquance patronale [11].

Cette démarche s’inscrit naturellement dans l’exigence de restauration de la démocratie. Il s’agit de rendre aux peuples le pouvoir dé décision qui leur a été extorqué en imposant la voie référendaire pour chaque décision engageant leur avenir : ratification de traité, agrandissement de l’union…L’appropriation sociale des services publics qui en découlera inévitablement permettra d’assurer une cohésion des états basée sur la solidarité.

Les gouvernements successifs des pays européens ont failli à bâtir une Europe juste, efficace et démocratique. Il revient désormais aux peuples de décider et les gouvernements n’auront d’autre choix que se plier.

B) Des choix économiques à reconsidérer

Les populations n’ont pas à payer le prix de la crise, fruit des errements, pour ne pas dire de l’incompétence, des gouvernements successifs.

Les travailleurs créent les richesses, celles-ci doivent leur appartenir. Le droit de les gérer leur revient exclusivement.

La BCE (Banque Centrale Européenne) ne doit plus financer les banques privées.

Les bénéfices réalisés par les entreprises ne doivent plus être réservés aux actionnaires mais utilisés à des fins d’investissement et de création d’emplois.

Il est nécessaire d’assurer les recettes de l’Etat par une contribution de chacun suivant ses revenus au lieu d’élaborer sans cesse des lois qui exonèrent les plus riches de toute solidarité financière. Une fiscalité harmonisée dans cet esprit au niveau européen couperait court aux inévitables menaces d’évasion fiscale.

Il faut interdire les licenciements boursiers, pratiquer une réelle politique de plein emploi, laquelle mettra fin à cette situation absurde où une multitude de salariés souffrent de surmenage du fait des manques d’effectifs tandis que des millions de travailleurs sont contraints au chômage.

Il est également indispensable d’unifier par le haut le droit du travail dans tous les états membres, aux fins d’épargner aux multinationales la tentation d’installer des filiales là où l’exploitation des travailleurs est la plus facile, et interdire les délocalisations hors UE, justifiées par le seul accroissement du profit des actionnaires.

Une autre politique n’est pas seulement possible, mais également indispensable pour reconstruire tout ce qui a été détruit dans le cadre d’une Europe décidée hors et contre les peuples qui la composent [12].

[1Changer vraiment ! Quelles politiques économiques de gauche ? Les notes de la Fondation Copernic

[2Article 2 du Traité de Rome : La Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun et par le rapprochement progressif des politiques économiques des États membres, de promouvoir un développement harmonieux des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté, une expansion continue et équilibrée, une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de vie et des relations plus étroites entre les États qu’elle réunit.

[3Loi no 63-777 du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics les lois sont allées constamment dans le sens des restrictions du droit de grève dans les services publics

[4Loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à « L’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports »

[5Le droit de grève encadré par le "droit à l’information" pour permettre aux compagnies aériennes de sécuriser leur taux de profit lundi 26 mars 2012 par Pascal MOUSSY

[6Changer vraiment ! Quelles politiques économiques de gauche ? Les notes de la Fondation Copernic

[7AJDA 2010 p. 987 : « Jean Rivero et les lois du service public

[8Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom

[9Loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications

[10Loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales

[11Loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs ; Loi n° 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d’accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire ; Loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports

[12Daily motion : « La construction européenne, 60 ans après : le pari de Jean Monnet a-t-il été tenu ? » Rémi PECH


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