Chronique ouvrière

CPH - Delais irraisonnables - des avocats du SAF obtiennent des condamnations exemplaires contre l’État

mardi 31 janvier 2012 par Alain HINOT
TGI Paris 18 Janvier 2012.pdf

Le TGI de Paris vient de condamner l’Etat à verser des dommages et intérêts allant de 1.500 à 8.500 €, outre une indemnité de 2.000 € pour les frais de procédure engagés, à des salariés victimes de procès prud’homaux aux délais déraisonnables ( ci-joint 02 de ces jugements du 18 janvier 2012 ) :

"Il relève du devoir de l’Etat de mettre à la disposition des juridictions les moyens nécessaires à assurer le service de la justice dans des délais raisonnables et ce délai résulte manifestement du manque de moyens alloués à la juridiction prud’homale. Le déni de justice invoqué par le demandeur est caractérisé. »

Ces jugements, qui aboutissent déjà à plus de 100.000 € de condamnations contre l’Etat ( il y a en fait 16 jugements du même jour ), sont la première tranche de 71 affaires en cours.

La prochaine audience au cours de laquelle les dossiers suivants seront plaidés, se tiendra le 15 février prochain à 13h30 au TGI de Paris.

Dans son communiqué ( dont le présent commentaire s’inspire pour le texte non gras), le SAF invite les justiciables, Syndicats, Avocats, Magistrats, Conseillers prud’hommes à être présents au Palais de Justice de Paris le 15 février prochain, pour rappeler à l’Etat que la justice sociale est une priorité qu’il ne peut continuer à ignorer !

Un cadre attend plus de 2 ans pour que son affaire soit entendue à Nanterre et en cas de départage, un an de plus est à prévoir.

Pour plaider de nouveau son dossier devant le juge départiteur, un travailleur de la Seine Saint de Denis attend plus de 03 ans.

Rappelons que la loi prévoit un délai maximum d’un mois pour organiser l’audience de départage. Aucune sanction n’est prévue et certains CPH se déclarent donc en partage de voix « sine die » (Paris, Nanterre, Bobigny, etc…).

Ceci est certainement le plus grave, car dans les délibérés entre Conseillers Prud’hommes la « menace » du départage est essentielle pour aboutir à un accord respectueux de la loi et de la jurisprudence entre l’élément salarié et l’élément employeur. Si les délais sont courts, c’est-à-dire si le délai d’un mois est respecté, le délibéré est équilibré, mais si les délais sont excessifs (au-delà de 02 ou 03 mois) , les employeurs sont en position de force. Bien souvent, les Conseillers salariés préfèrent céder à la pression des employeurs pour ne pas pénaliser le salarié en rallongeant les délais à cause d’un départage, en effet, quelques fois le salarié faisant appel plaidera devant la cour d’appel avant la date où il serait « passé » en départage.

D’où des jugements ubuesques à la limite du déni de justice et quelques fois motivés dans le sens du salarié qui est pourtant débouté in fine.

On peut alors dire que la prud’homie est « gangrenée » par les délais irraisonnables et que le paritarisme est brisé.

L’absence du délai raisonnable en départage notamment, c’est la présence invisible d’un départiteur qui donne invariablement sa voix aux employeurs.

Plus généralement, il est monnaie courante que s’écoulent au moins 10 à 12 mois entre l’audience de conciliation et l’audience de jugement, et après les plaidoiries, il faut encore patienter des mois pour obtenir le prononcé de la décision (il n’est pas rare que les délibérés soient plusieurs fois prorogés), puis l’envoi du jugement, qui prend encore le plus souvent plusieurs semaines (06 mois à Paris).

Un salarié qui demande la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée n’a pratiquement aucune chance d’obtenir un jugement avant la fin de son contrat et, exclu de l’entreprise, ne peut exiger son maintien dans l’emploi et doit se contenter d’une indemnisation, alors que le code du travail prévoit qu’il devrait être entendu en urgence dans un délai d’un mois qui n’est presque jamais respecté, à défaut de sanction.

De même, les Conseils des prud’hommes ne sont que trop rarement en mesure de trancher les contestations portant sur les licenciements économiques dans le délai de 7 mois prévu par la Loi, délai qui reste là encore théorique et sans sanction.

Devant la Cour d’appel, les délais sont souvent de deux années pour qu’une affaire soit entendue, en étant le plus souvent convoqué devant un juge unique et non en audience collégiale, l’exception devenant la règle dans la pratique des cours d’appel qui manquent de magistrats.
Le chemin de croix, CPH, cours d’appel, Cour de cassation et cour d’appel de renvoi, c’est aujourd’hui une bonne dizaine d’années.
Cette lenteur extrême des procès a un effet pervers évident sur les perspectives de négociation, les employeurs n’ayant aucune motivation à régler vite des conflits qui s’éternisent et leur donnent du temps, certains faisant d’ailleurs l’objet d’un redressement judiciaire ou d’une faillite, avant qu’une décision de justice n’intervienne.

Si négociation il y a, les salariés confrontés aux situations de précarité les plus lourdes se trouvent contraints de transiger bien en-deçà de leurs droits pour obtenir un règlement plus rapide.

L’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales garantit pourtant que : « Toute personne à droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial », la Cour Européenne rappelant que les conflit du travail « portant sur des points qui sont d’une importance capitale pour la situation professionnelle d’une personne doivent être résolus avec une célérité particulière ».

De nombreux salariés contestent donc ce déni de justice en engageant la responsabilité de l’Etat puisque l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire énonce que « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice » .

Par le passé, plusieurs condamnations de l’Etat sont intervenues. Mais il est temps que ces actions sortent de l’isolement et de la confidentialité et que le débat s’ouvre collectivement et publiquement sur ces délais excessifs qui ne sont que la conséquence du manque de moyens matériels et humains de la justice prud’homale.


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