Chronique ouvrière

Harcèlement sexuel, discrimination : la relaxe pour "défaut d’élément intentionnel" n’immunise pas contre le risque prud’homal

jeudi 2 juillet 2020 par Pascal MOUSSY
Cass. Soc. 25 mars 2020.pdf

Les agissements de harcèlement sexuel ne sont pas admis dans l’entreprise.

Il résulte des termes de l’article L. 1153-1 du Code du travail que :

« Aucun salarié ne soit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Sont assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un autre ».

Le harcèlement sexuel est également considéré comme une infraction pénale.

Les dispositions de l’article 222-3 du Code pénal y sont consacrées.

« I. Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle « ou sexiste » qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

L’infraction est également constituée :

1° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

2° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

II. Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».
Le(s) même(s) fait(s) de harcèlement sexuel peu(ven)t faire l’objet d’une saisine de la juridiction prud’homale et d’une action pénale.

I. L’arrêt du 20 mars 2020 tempère l’absolutisme de l’exigence de la preuve de l’élément intentionnel en matière de harcèlement sexuel.

Le principe de l’autorité jugée au pénal sur l’action portée devant la juridiction civile doit dès lors être appliqué et il n’est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif.

La Cour de cassation, par un arrêt du 3 novembre 2005, à l’occasion d’un contentieux prud’homal initié par une salariée dénonçant des agissements de harcèlement sexuel de la part d’un supérieur hiérarchique, a souligné que les juges statuant en matière prud’homal ne sauraient légitimement condamner l’employeur au paiement de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel lorsqu’il résulte des motifs du jugement correctionnel rendu à la suite de la plainte déposée par la salariée que la matérialité des faits de harcèlement sexuel et la culpabilité de celui auquel ils étaient imputés n’étaient pas établies (Cass. Soc. 3 novembre 2005, n° 03- 46839 ; Bull. V, n° 307).

Par un récent et remarqué arrêt du 20 mars 2020 (n° 18-23682 ; destiné à être publié au bulletin), la Chambre sociale de la Cour de cassation a néanmoins relevé qu’en matière de harcèlement sexuel, « une relaxe au pénal n’exclut pas d’office sa reconnaissance aux prud’hommes » (Liaisons sociales n° 18075 du 8 juin 2020).

Les juges du fond avaient donné suite à une demande de versement de dommages et intérêts présentée par une salariée déclarant avoir subi un harcèlement sexuel. Il leur était reproché d’être entrés en voie de condamnation alors que, par un jugement définitif, le tribunal correctionnel avait relaxé l’employeur des fins de la poursuite pour harcèlement sexuel.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi après avoir mentionné que la Cour d’appel avait relevé que le jugement de relaxe du Tribunal correctionnel était fondé sur le défaut d’élément intentionnel et en rappelant que la caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l’article L. 1153-1, 1° du Code du travail, ne suppose pas l’existence d’un élément intentionnel. « Par conséquent, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s’est borné à constater l’absence d’élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits harcèlement sexuel de la part de l’employeur ».

Dans son avis, l’avocate générale Sylvaine LAULOM a mis en évidence qu’à la différence du droit pénal, les dispositions du droit de l’Union européenne et du Code du travail ne font pas de l’intention un élément constitutif de la qualification de harcèlement sexuel.

Le harcèlement sexuel est défini par la directive 2006/54 du 5 juillet 2006 « relative à la mise en œuvre de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail » comme « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile ou offensant ».

L’article 1 de la loi du 27 mai 2008 « portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations » définit le harcèlement sexuel comme « tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

L’avocate générale a également relevé que l’intention n’est pas un élément de qualification du harcèlement sexuel au sens de l’actuel article L. 1153-1 du Code du travail. « Il suffit, en effet, que le comportement du harceleur ait eu pour effet de porter atteinte à la dignité du salarié pour que le harcèlement sexuel puisse être retenu. Le harcèlement peut ainsi être constitué indépendamment des intentions de son auteur ».

Il a enfin été souligné par l’avocate générale que le système de la preuve est différent de celui prévu par le droit pénal dans la mesure où l’article L. 1154-1 du Code du travail s’applique.

Il résulte des dispositions de cet article qu’il appartient en premier lieu au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et qu’au vu de ces éléments il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il est précisé dans le dernier alinéa que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il s’agit d’un aménagement de la charge de la preuve qui repose sur une répartition prenant ses distances avec la règle du procès pénal qui fait reposer la charge de la preuve sur la victime (voir, notamment, M. BECKERS, « Les agissements sexistes et le harcèlement sexuel », Semaine sociale Lamy n° 1713 du 7 novembre 2016, 21 et s.)

Par ces différentes constatations l’avocate générale a fait ressortir qu’on ne peut conclure à l’identité de définition du harcèlement sexuel dans le Code pénal et dans le Code du travail.

II. Une extension prévisible de la portée de l’arrêt au contentieux suscité par toute discrimination.

La portée de l’arrêt du 20 mars 2020 ne saurait être circonscrite au seul contentieux suscité par des agissements de harcèlement sexuel. Toute discrimination doit pouvoir donner lieu à l’intervention du juge prud’homal lorsqu’est intervenue une décision du juge pénal relaxant l’employeur accusé de pratiques discriminatoires après avoir considéré qu’il y avait absence d’élément intentionnel.

Les dispositions du Code du travail ne font pas de l’intention un élément constitutif de la qualification de discrimination.

L’article 1132-1 du Code du travail, qui dresse la liste des discriminations prohibées, indique que la mesure discriminatoire peut être directe ou indirecte.

Il ne peut qu’être relevé que ce n’est pas l’élément intentionnel qui caractérise la discrimination « indirecte ».

Selon les termes de la loi du 27 mai 2008, qui a nourri les actuelles dispositions de l’article 1132-1 du Code du travail, « constitue une discrimination indirecte une disposition , un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ».

Un ouvrage de référence nous propose un exemple particulièrement éclairant pour illustrer ce qu’est la discrimination « indirecte ».

« Il se peut que, de bonne fois, un fabricant de vêtements rémunère mieux l’activité de découpe des tissus que l’activité consistant à coudre ces tissus, et ce par tradition ou par habitude. Si, cependant, l’essentiel des salariés employés à la découpe sont des hommes, alors que l’essentiel des salariés à coudre sont des femmes, le résultat de cette différence de traitement et de payer plus, en moyenne, les hommes que les femmes. Il se peut qu’aucun sexisme n’ait été à l’origine de cette différenciation et qu’au demeurant les quelques hommes employés à la couture soient payés sur les mêmes bases que les femmes, de même que les quelques femmes employées à la coupe obtiennent le même salaire que les hommes. Peu importe. Et là est toute la portée de l’innovation. Le système de rémunération conduit à une sous-rémunération, en moyenne, des femmes et cela suffit pour qu’il soit présumé discriminatoire. La discrimination est alors dite « indirecte », en ce sens que la rémunération n’est pas directement fixée selon le sexe. Elle est fixée selon la tâche, de découpe ou de couture. Mais la répartition des sexes dans ces deux catégories est très déséquilibrée. Indirectement le résultat de ce système est de provoquer une discrimination sexiste » (G. AUZERO, D. BAUGARD, E. DOCKES, Précis Dalloz de Droit du travail, 33e éd., 901 et s.).

Il ressort également des dispositions de l’article 1 de la loi du 27 mai 2008 « portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations » que le harcèlement sexuel peut être considéré comme l’une des composantes de la discrimination.

Il a été relevé que la loi du 27 mai 2008 « généralise la règle du déplacement de la charge de la preuve ». « Cette règle, en effet, est une règle de fond, ce que la CJCE met en évidence lorsqu’elle affirme qu’une personne victime d’une discrimination apparente serait sans possibilité de faire valoir ses droits si la charge de la preuve n’était pas déplacée » (M-Th. LANQUETIN, « Discriminations : la loi d’adaptation au droit communautaire du 27 mai 2008 », Dr. Soc. 2008, 784).

Le régime probatoire applicable au contentieux de la discrimination est organisé par les dispositions de l’article L. 1134-1 du Code du travail. Il est d’abord imparti au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. Il revient ensuite à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination. Il est enfin indiqué que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il a été relevé qu’il résulte de l’évolution probatoire mise en œuvre par le droit de la discrimination que ce n’est pas au salarié se plaignant d’agissements discriminatoires de démonter l’existence d’un élément intentionnel de discriminer de la part de l’auteur de l’acte mis en cause mais que c’est à ce dernier qu’il revient de « prouver qu’il n’a eu aucune intention discriminante » (G. AUZERO, D. BAUGARD, E. DOCKES, op. cit. , 904).

Cette redistribution de la charge de la preuve n’est pas de mise dans le procès pénal de la discrimination.

« En principe, au pénal, les règles de preuve sont différentes de celles qui régissent le procès civil. D’une part, en effet la charge de la preuve repose sur le ministère public et/ou sur la victime. D’autre part, l’accusé bénéficie toujours de la « présomption d’innocence », raison pour laquelle, contrairement à l’action civile, ce n’est pas l’employeur accusé de délit de discrimination devant le tribunal correctionnel qui doit apporter la preuve de son innocence. En outre, le doute profite à l’accusé. Par conséquence, si le salarié ou le ministère public n’apporte pas de preuves suffisantes, le prévenu est relaxé. L’article 4 de la loi du 27 mai 2008 précise que l’aménagement de la charge de la preuve en faveur du salarié ne s’applique pas devant les juridictions pénales » (« La discrimination et l’égalité professionnelle », Liaisons sociales. Les Thématiques, n° 53, novembre 2017, 39 et s.)

« Il existe deux régimes différents de la preuve en matière de discrimination fondée sur la distinction entre l’infraction pénale et la faute civile. Ainsi, en matière pénale, la preuve de l’infraction incombe d’abord au ministère public qui doit établir, d’une part, l’existence d’u motif discriminatoire et, d’autre part, le lien de causalité avec la mesure défavorable. En revanche, en droit du travail, l’aménagement de la charge de la preuve impose à la partie défenderesse de prouver que sa décision contestée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (F. CHOPIN, « La lutte contre les discriminations au travail dans le code du travail et le code pénal : quelle cohérence ? », Dr. Soc. 2020, 363).

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler, à plusieurs reprises, qu’il n’y a pas de dérogation à la charge de la preuve de la discrimination en matière pénale (Cass. Crim. 3 avril 2007, n° 06-81784, RJS 7/07, n° 870 ; Cass. Crim. 17 mars 2009, n° 08-84518 ; Cass. Crim. 11 avril 2012, n° 11-83816, Revue de droit du travail 2012, 426 et s, note F. DUQUESNE).

Il n’y a donc pas identité des règles applicables dans le contentieux de la discrimination en droit du travail et en droit pénal.

La relaxe au pénal pour « défaut d’élément intentionnel » n’immunise pas l’employeur contre le risque de devoir rendre des comptes devant le juge prud’homal s’il apparaît que ses agissements laissent supposer l’existence d’une discrimination.


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