Chronique ouvrière

Lorsqu’une convention collective permet de faire condamner un employeur qui viole les droits de la défense

samedi 26 janvier 2013 par Vincent VERMEIL
Cass. Soc. 9 janvier 2013.pdf

Dans cet arrêt du 09 janvier 2013 (n° 11-25646 PB), la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le Groupe Audiens contre un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 septembre 2011 (voir http://chronique-ouvriere.fr/spip.php?article401 et note Alain HINOT).

Le Groupe Audiens (qui est le groupe de protection sociale professionnelle de la culture, la communication et des médias), avait licencié pour motifs disciplinaires en janvier 2007 un salarié âgé de plus de 60 ans ayant plus de 30 ans d’ancienneté.

Devant le CPH et la cour d’appel, le salarié et le syndicat CGT du Groupe Audiens, faisaient valoir que l’employeur n’avait pas notifié par écrit préalablement à l’entretien préalable les motifs disciplinaires de la mesure de licenciement envisagée, conformément aux dispositions de la Convention collective qui prévoient que : « Le motif de la mesure disciplinaire envisagée par la direction doit être notifié par écrit à l’intéressé avant que la mesure entre en application. Tout agent doit être entendu par la direction avant une mesure disciplinaire pour obtenir la justification du motif invoqué et faire valoir ses explications » et que ce manquement à une garantie de fond entraînait l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement (alinéas 4 et 5 de l’article 34 CCN du personnel des institutions de retraites complémentaires).

Il apparaît en effet que les partenaires sociaux ont entendu obliger l’employeur à faire connaître par écrit au salarié, avant le prononcé de sa décision, les motifs envisagé de la sanction ou du licenciement et à en justifier lors de l’entretien préalable. La procédure conventionnelle instaure donc un système d’échange contradictoire, permettant au salarié de préparer sa défense avant l’entretien préalable, de prendre connaissance des preuves détenues par l’employeur au cours de l’entretien lui-même et ensuite d’apporter ses explications.

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel qui avait suivi le raisonnement soutenu par le salarié et le syndicat CGT.

Reformulant la rédaction du texte conventionnel, la Cour de cassation juge : «  qu’il résulte de ces dispositions, qui concernent l’ensemble des mesures disciplinaires, que l’employeur doit, antérieurement à l’entretien préalable au licenciement pour motif disciplinaire, notifier au salarié par écrit les motifs de la mesure qu’il envisage ; que ce texte, qui institue une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi, constitue une garantie de fond ».

Cet arrêt est important à deux titres. Il confirme la jurisprudence selon laquelle en cas de licenciement, le non-respect d’une disposition conventionnelle le rend sans cause réelle et sérieuse.

Mais surtout, la Cour de cassation retient que la notification par écrit des motifs de la sanction envisagée avant l’entretien préalable institue une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi. Elle conclut logiquement que cette disposition, plus favorable que la loi, constitue donc une garantie de fond.

Cet arrêt tombe opportunément au moment où le patronat, la CFDT, la CGC, la CFTC et le gouvernement œuvrent ensemble pour garantir une meilleure immunité judiciaire au employeurs.

Il pourrait bien annoncer une évolution de la jurisprudence. Le code du travail, que l’ANI scélérat signé le 11 janvier veut modifier notamment sur ce point, oblige l’employeur à indiquer « l’objet de la convocation », et la jurisprudence considère aujourd’hui qu’au cas où un licenciement est envisagé, la lettre de convocation doit l’indiquer de manière non équivoque.

Mais la jurisprudence de la Cour de cassation considère toujours que la lettre de convocation n’a pas à préciser les griefs retenus contre le salarié (Cass. Soc. 14 nov. 2000, n° 98-44117).

Le respect du contradictoire voudrait pourtant a minima que le salarié soit informé, dès le début de la procédure, des griefs auxquels il devra répondre.

Le fait que le salarié n’en soit pas informé est tout à fait préjudiciable à ses droits. Il sait qu’il est convoqué en vue d’un licenciement éventuel, trop souvent effectif, mais ce n’est qu’à l’occasion de l’entretien qu’il apprend les raisons de la mesure envisagée. Et lorsque l’employeur a de mauvaises raisons de vouloir licencier son salarié, combien de fois l’a-t-on vu donner dans la lettre de licenciement des motifs qui n’ont même pas été évoqués lors de l’entretien ?

La cause n’était pas entendue d’avance : le conseiller rapporteur, visiblement embarrassé, avait prévu deux projets. De toute évidence, il oscillait entre la cassation, au moins partielle, de l’arrêt de la cour d’appel et le rejet du pourvoi. L’avocat général a conclu sans la moindre ambiguïté au rejet des deux branches du moyen unique, et la Cour a heureusement suivi son avis.

Plusieurs commentaires parus à la suite de la publication de l’arrêt ont relevé que la Cour de cassation avait procédé en l’espèce à une interprétation extensive des dispositions conventionnelles en cause. Selon ces commentaires, cette jurisprudence a une portée plus large que celle de la branche des institutions de retraites complémentaires et ils invitent les employeurs à lire attentivement la convention collective avant d’engager une procédure de licenciement.

À notre avis, c’est un signal qui montre que la Cour de cassation pourrait bien opérer un revirement de jurisprudence en renforçant les droits des salariés dans le cadre de la procédure de licenciement.

La Cour de cassation, faisant droit au raisonnement sur les droits de la défense prévus par une convention collective nationale, serait bien inspirée de reprendre l’obligation pour tous les salariés en s’appuyant sur le droit international, par exemple :

L’article 27 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise : « Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales. » ; ou l’article Art. 7 de la Convention OIT n°158 : «  Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées…  » ; d’autant, que de telles dispositions existent déjà dans un certain nombre de conventions collectives nationales, locales ou d’entreprises (exemple Air France).

C’est donc le moment de contester systématiquement les licenciements qui n’auraient pas respecté, dès le début de la procédure, c’est-à-dire, la lettre de convocation, le principe du contradictoire, en n’informant pas à ce stade le salarié des griefs qui seront évoqués lors de l’entretien préalable.


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